Tous les jeudis, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Aujourd'hui, le divorce de Brad Pitt et Angelina Jolie nous replonge au coeur de l'indissolubilité du mariage au Moyen Âge...

 

Il y a quelques semaines, Brad Pitt et Angelina Jolie annonçaient leur divorce. Hollywood – et la terre entière – était en émoi. Pas que les divorces ne soient pas fréquents dans le cinéma, mais ce couple était devenu le symbole d’un amour qui devait être éternel. Mais pourquoi vouloir que les mariages durent toujours ? Pendant longtemps au Moyen Âge, cela n’a pas été le cas. La conception, de laquelle nous héritons, qu’un mariage est censé durer « jusqu’à ce que la mort les sépare » n’est en réalité que le résultat d’une évolution pas si évidente, impulsée par l’Église chrétienne.

 

La polygamie pour tous ?

L'indissolubilité du mariage et le fait même qu'il soit reconnu comme un sacrement par l'Église sont le résultat d'un long processus, qui ne trouve son point d'aboutissement qu'au milieu du Moyen Âge, et encore. Jusqu'au XIIe siècle, le statut du mariage chrétien est en réalité assez flou. Les rites de formation d'un couple sont divers en Europe et l’Église n'en a pas le monopole ; les unions laïques ainsi célébrées ne sont en rien indissolubles. Elles peuvent être rompues par l'une ou l'autre des parties, qui peuvent ensuite chercher un autre compagnon ou une autre compagne. Ce fut un combat de tous les instants pour les prêtres chrétiens, encore jusqu'au Xe ou XIe siècle : il s'agissait de convaincre la population et surtout les chefs occidentaux qu'il ne fallait plus changer d'épouse mais au contraire la garder pour toute une vie, ce qui était un changement brutal et incompréhensible pour bon nombre de peuples nordiques ou hispaniques qui pratiquaient couramment la polygamie.

 

Guillaume le Conquérant, un bâtard ?

Le travail de persuasion a été long et les unions non reconnues par l’Église perdurent pendant tout le Moyen Âge. Un exemple fameux est celui de Guillaume le Conquérant, dit le Bâtard par ses détracteurs, car sa mère était la concubine du duc de Normandie, sa « frilla », c'est à dire son épouse selon le rite nordique. L'appellation de « bâtard » relève cependant d'un malentendu : Guillaume n'était pas considéré par les Normands comme un bâtard, mais comme le successeur légitime de son père, car l'union de celui-ci avec la mère de Guillaume, Herlève, était reconnue par la société, même si elle ne l'était pas pas l’Église. Ce qui n'empêche pas le père de Guillaume d'avoir par la suite au moins une autre frilla, après avoir marié Herlève à un de ses seigneurs, selon le rite chrétien.

Si Guillaume le Conquérant est appelé « Bâtard » par certains, c'est cependant qu'il y a des choses qui commencent à changer dans les mentalités des sociétés médiévales occidentales. L’Église va progressivement obtenir le monopole de la consécration des unions entre un homme et une femme. C'est finalement en 1184 que le mariage sera qualifié pour la première fois de sacrement, c'est-à-dire reconnu comme un signe de la grâce divine. Pendant le XIIIe siècle, l’Église précise sa doctrine, ses rites : elle réaffirme la nécessité de la publication des bans, de l'accord des deux futurs époux, de la consommation charnelle ; elle réaffirme l'interdiction de l'inceste et précise les règles interdisant le mariage de parents charnels ou spirituels (parrains, filleuls...) trop proches. Moyennant le respect de toutes ces règles, le mariage devient alors absolument indissoluble.

 

L’indissolubilité du mariage en théorie, et le divorce en pratique

L'indissolubilité du mariage chrétien a posé des problèmes aux chefs goths et francs au début du Moyen Âge. Elle en a également posé plus tardivement, à un moment où l’Église avait alors suffisamment assis son monopole sur le mariage pour pouvoir en partie imposer sa loi. Ainsi Philippe Auguste (1180–1223) eut quelques soucis avec la papauté après la mort de sa première épouse et son remariage avec Ingeburge de Danemark. Le lendemain de la cérémonie et de la nuit de noces, le roi expédie sa nouvelle épouse dans un monastère et décide de faire annuler son mariage. Or, l'annulation n'est pas accordée par le pape, qui considère Ingeburge comme l'épouse légitime du roi et comme reine de France. L'affaire s'aggrave quand le roi obtient de l'assemblée de ses barons de pouvoir se remarier avec une autre femme, Agnès de Méranie. Le roi est alors bigame aux yeux de l'Église, avec une épouse légitime cloitrée et une maîtresse reconnue à la cour de France. Après la mort d'Agnès en 1201, Philippe doit finalement céder et autoriser Ingeburge à reprendre son titre de reine de France.

Un pape opiniâtre, en l’occurrence Innocent III, a permis de faire plier un roi de France face à la doctrine de l’Église qui proclame l'indissolubilité des liens du mariage, même si en réalité la situation de bigamie a perduré tant qu'Agnès vivait. Plus tard, un autre roi, Louis XII, parvient en 1499 à faire annuler pour non-consommation son mariage avec Jeanne de France, fille du roi Louis XI, boiteuse et difforme, et ce malgré les protestations de son épouse. La réalité est tout aussi ambiguë dans les autres strates de la société. On sait que dans les villes et villages de la fin du Moyen Âge, la cohabitation non sanctifiée par le mariage était courante. Il est difficile de chiffrer le phénomène en l'absence de sources suffisantes. Mais l'étude du cas de Montaillou par Emmanuel Le Roy Ladurie a montré que dans ce village occitan, le concubinage concernait 10 % des ménages et était vécue au grand jour. Des contrats de concubinage existent même dans toute l'Europe occidentale, officialisant une sorte d'union civile, avant que cette union ne soit célébrée par l'Église, si elle l'est jamais... Cette forme laïque d'union est en règle générale plus lâche et se délie sans passer par la difficile procédure de l'annulation du mariage, inaccessible pour la plupart, et extrêmement difficile même pour un roi.

Est-ce à dire que la doctrine de l'indissolubilité du mariage dans l'Église catholique est un leurre ? Non, certainement pas. Cette doctrine est au contraire d'autant plus chère à l'Église qu'il lui en a coûté, du temps et de l'énergie, pour la mettre en place, malgré toutes les ambiguïtés et les échecs dont cette histoire est parsemée. Il s'agit d'une doctrine théologique avant tout, qui a tenté de se traduire dans la vie quotidienne, mais qui en réalité n'a jamais été appliquée dans toute sa rigueur. Un bel idéal, jamais atteint. Aujourd'hui comme au temps de Philippe Auguste, la question est de comprendre comment l'idéal peut s'adapter aux réalités humaines.

 

Pour aller plus loin :

- Jean-Claude Bologne, Histoire du mariage en Occident, Paris, Hachette, 2005 [1997].

- Georges Duby, Le Chevalier, la femme et le prêtre, Paris, Hachette, 2002 [1981].

- Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975.

 

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