Une analyse de géographie électorale qui montre comment se répartissent les votes FN sur le territoire national et à une échelle micro-locale.  

L'ouvrage d’Hervé Le Bras, Le pari du FN, a pour objectif d’analyser et de documenter la répartition géographique du vote en faveur du parti dirigé par Marine Le Pen. Le démographe et historien constate ainsi au travers d’une trentaine de cartes et d’infographies qu’il y a d'énormes disparités selon les régions et que ces différences sont relativement stables depuis la création du parti.

Qui vote Front national et pourquoi ? Les protestataires, les racistes, les exclus, les islamophobes, les antisémites ? Comme le lecteur le pressent, cette seule grille de lecture serait bien trop simple et n’est pas suffisante pour saisir correctement les enjeux. 
Au-delà des discours de l'extrême-droite sur son électorat et des sondages nombreux sur le sujet, cet ouvrage permet d’observer et d’expliquer la géographie réelle d’un vote qui s’est peu à peu normalisé, à tout le moins dédiabolisé.


De quoi le vote FN est-il le nom ?

 

Les cartes révèlent à une échelle très fine et précise le trouble ressenti par de nombreux Français autour de réalités sociologiques tangibles : disparition des relations de voisinage, expulsion des métropoles face au coût du logement, blocage de l'ascension sociale. Le Front national paraît dès lors pour certains l'unique moyen de changer la donne.
Pour expliquer les raisons du vote FN, on avance souvent les thèmes de l’insécurité et de l’immigration, renforcés par les attentats et la question migratoire en provenance du Moyen-Orient. Or, Hervé Le Bras montre bien que les causes sont antérieures. Le principal essor du FN se situe en réalité entre 2010 et 2014 : des régionales aux européennes, il est ainsi passé de 18,5 % à 26 %, vote qui n’est pas seulement contestataire, même s’il correspond également à l’expression d’un sentiment anti-européen. A titre d’exemple, le XIe arrondissement de Paris où ont eu lieu les attentats de novembre  est l’arrondissement parisien qui enregistre le plus bas score de ce parti aux dernières régionales de 2015 (7,49 %).
De façon globale, on constate que le FN progresse d’autant plus fortement qu’il est déjà bien implanté dans la région : c’est le cas du Nord-Pas-de-Calais et de PACA, où il passe respectivement entre les deux scrutins de 35 % à 41 %, et de 34 % à 41 %. A l’inverse, il progresse beaucoup moins là où il était moins présent : en Bretagne, seulement 0,3 % d’augmentation et 0,1 % en Pays-de-la-Loire.
 

Comment expliquer les cartographies ?


Hervé Le Bras évoque un phénomène de contagion puisque sur les cartes, le vote frontiste semble se propager comme une épidémie. À titre d’exemple, dans la vallée du Rhône, ce vote épouse presque exactement le relief : les plaines et les vallées des fleuves sont des zones de circulation, donc de rencontres entre les populations. En revanche, dans les contreforts des Alpes ou du Massif-Central, ces échanges sont plus faibles. Un phénomène identique s’observe dans la vallée de la Garonne, où le cours du fleuve de Toulouse à Bordeaux correspond à une zone de force du vote FN.
Cette « contagion » d’ordre géographique est portée par la nature même de ce parti, jouant socialement et idéologiquement sur des ambigüités. Le FN s’appuie sur des idées toutes faites, qui se répandent de territoires en territoires.
 

Y a-t-il un portrait-robot de l’électeur FN ?


L’ouvrage montre bien qu’il s’agit en réalité d’un électorat très varié, qu’il n’y a pas d’électeur type. Si dans certaines régions des corrélations restent présentes (vote pied-noir dans le sud-est de la France), il faut remarquer que 16 % des cadres et des professions supérieures votent FN sur l’ensemble du territoire.
Plus que la condition sociale « objective », ce qui rassemble les électeurs de ce parti, c’est un sentiment de déclassement, le ressenti de ne pas s’en sortir dans le contexte de crise et de ne pas avoir d’avenir. Le FN recrute dans une population large, comprenant des zones de force chez les artisans et commerçants, la classe moyenne inférieure et la classe populaire supérieure. Ce ne sont donc pas les plus pauvres qui votent FN, ces derniers étant plus abstentionnistes. Les chômeurs ne sont ainsi pas plus frontistes que le reste de la population.
 

Les raisons du vote FN sont principalement d’ordre socio-économique


Certes, une partie de l’électorat du FN vote bien pour ce parti car ces personnes disent ne pas aimer les « Arabes », les « Juifs », les « Roms », les étrangers. Mais le basculement contemporain se situe sur un autre référentiel.
En effet, l’évolution de l’économie de ces trente dernières années a entraîné une bipolarisation des emplois, entre postes très qualifiés et postes peu qualifiés. Entre les deux pôles, les emplois intermédiaires ont eu tendance à ne plus exister ou à être beaucoup moins importants. Or, sur cette même période, la France a connu une forte montée du niveau des diplômes : en 1982, 25 % des ouvriers avaient un bac, CAP ou BEP, aujourd’hui ils sont 70 % à en disposer. C’est là une des causes de ce sentiment de déclassement.
Parallèlement, les salaires les plus faibles ont augmenté sur la période grâce à l’évolution du Smic, mais ceux des « moyennement » diplômés ont subi la loi de l’offre et de la demande. C’est ainsi dans les régions où ce problème est le plus aigu, comme le Nord-Pas-de-Calais, la région PACA et le Languedoc-Roussillon, que le FN enregistre ses meilleurs scores. Au-delà des thématiques populistes de l’immigration et de l’insécurité, le FN a donc su prendre avec efficacité la posture d’un rempart contre ces angoisses.
 

Une géographie du FN stable : une sur-représentation au Nord, à l’Est, dans le Sud-Est ou dans la vallée de la Garonne, des régions qui résistent dans le Grand Ouest


À la lecture des documents présentés dans l’ouvrage, on constate que la carte d’implantation du FN n’a pas bougé depuis des années, ce sont les taux qui ont augmenté au fil du temps. Cette carte se superpose bien à la France de la précarité, avec une analyse qui est confirmée : ce ne sont pas les plus fragiles socialement qui votent FN, mais ceux qui les côtoient et redoutent de basculer dans la précarité.
De même, les écarts observés entre les grandes villes votant peu FN et les zones rurales ou périurbaines votant plus fortement FN se sont accentués lors des derniers scrutins.
À l’opposé, des régions qui traditionnellement votent peu FN, comme la Bretagne ou l’ouest du Massif Central, continuent à résister, même si certaines villes moyennes ont vu leur score augmenter. Là encore, les différences s’accentuent entre grandes villes et zones rurales ou périurbaines. La France est de plus en plus éclatée, avec ce sentiment pour ceux qui vivent loin des grandes villes et des zones dynamiques de se sentir bloqués géographiquement. Le rêve français du « pavillon pour tous » ne semble pas avoir tenu toutes ses promesses, aux yeux d’un électorat qui dit voter FN plus par rejet que par adhésion.
 

Questionnements sur les réussites de l’implantation du FN pour ses opposants

 

En conclusion, c'est donc bien un certain type de territoire péri-urbain qui est corrélé au risque d’un vote substantiellement plus élevé en faveur de l’extrême-droite. 
La présentation de cette géographie électorale du vote FN est très précise et instructive, dans la mesure où elle est le résultat d'un réel travail approfondi d’études cartographiques.

Dans ce contexte, aux opposants politiques et associatifs du FN de se saisir d’un tel matériau, pour mieux proposer des réponses efficaces à cette implantation réussie sur des pans entiers du territoire de la République. Il n’est pas encore écrit que la vague bleu Marine doive submerger l’élection présidentielle de 2017

 

Rencontre autour du livre, à Paris le 18 mars :

« Religion, politique, la tentation des extrêmes ? »
Rencontre avec Hervé Le Bras, Laurence Hansen­Love, Maider Deschamps
Salon du livre de Paris
18 mars, 17h-18h
Porte de Versailles, Pavillon 1
Square Square Savoir & Connaissances S-67

 

À lire aussi sur nonfiction.fr :

« Extrêmes droites de France et d'ailleurs » par Sylvain Boulouque, une lecture croisée de :

- Alexandre Dézé, Sylvain Crépon, Nonna Mayer, Les faux-semblants du Front National : sociologie d'un parti politique, Presses de Sciences Po, 2015

- Nicolas Lebourg, Jean-Yves Camus, Les droites extrêmes en Europe, Seuil, 2015

« Les droites extrêmes en Europe », entretien avec Nicolas Lebourg et Jean-Yves Camus, par David Navaro