De la République comme projet révolutionnaire et comme promesse d'un règne du peuple.

« Dites au peuple qui vous a envoyé que nous nous honorons d’être ses représentants ; dites-lui que nous ne pouvons avoir une volonté qui ne soit pas la sienne, puisque sans lui nous ne serions rien, et nous ne faisons ici que garder la place de sa souveraineté »   . Ainsi répondit Louis Blanc à un délégué des manifestants du 17 mars. La République se définit comme représentante du peuple. Ce qui peut paraître comme un truisme au lecteur républicain qui entamera la lecture de cet ouvrage, risque de devenir une semi-réalité à la fin de ce travail. Pour Samuel Hayat, ce mot est aujourd’hui devenu insignifiant et a été progressivement vidé de ses possibilités émancipatrices. Il aspire à montrer la « signification qu’a pu avoir la République comme projet révolutionnaire, comme promesse d’un règne du peuple »   .

Le sous-titre « citoyenneté et représentation » reflète l’esprit d’un ouvrage résumant la thèse de l’auteur soutenue en 2011. Si Samuel Hayat a rédigé une thèse de sciences politiques, le lecteur comprendra aussi sa sympathie pour les acteurs du mois de juin. Les problématiques abordées se trouvent donc au croisement de l’histoire et de la science politique : comment les acteurs de 1848 ont-ils défini leur République ? Comment la théorie a-t-elle été mise en pratique une fois au pouvoir ? Comment les multiples profils de républicains ont-ils cohabité ? Et surtout, jusqu’à quel point un régime doit-il approfondir la notion de représentation avant de se prétendre républicain ? Certes, à aucun moment (sauf dans les deux dernières phrases de la conclusion) l’auteur ne s’écarte de 1848 ou ne livre une impression personnelle, mais le lecteur qui aura entamé la lecture de la première page en vue de satisfaire sa curiosité sur 1848 se retrouvera avec une multitude de questions liées aux régimes républicains actuels.

 

Les espoirs de Février

 

Samuel Hayat reproche une vision trop souvent téléologique quand on étudie les événements de 1848. Pour mieux comprendre cette Révolution, il faut cesser de la placer comme une étape entre les Ière et IIIème Républiques afin de saisir la promesse de rupture contenue dans l’idée républicaine. C’est d’ailleurs pour l’auteur une idée que nous avons perdue dans notre propre appréhension de la République. Si tous les acteurs de Février voyaient ce régime comme le règne du peuple, c’était la manière de représenter ce peuple qui n’avait pas été définie.

Pour l’auteur, la rencontre entre républicains et ouvriers s’est faite sous la monarchie de Juillet car ces derniers ne se reconnaissaient pas dans son système censitaire. Le mouvement républicain, avec la campagne des banquets, aspirait alors à donner une plus grande place aux travailleurs. La République apparaissait ainsi comme un projet de refondation radicale du monde social.

Une fois la République instaurée se posa la question de savoir comment mettre en place le règne du peuple. Aux débuts du régime, se formèrent des institutions complémentaires dans l’exercice du pouvoir, mais concurrentes dans l’idée de représentation du peuple. Si pour le Gouvernement provisoire les citoyens étaient représentés par l’État – et à partir de ce moment n’avaient plus à prendre part aux décisions – , pour les clubs, il fallait aller plus loin et ils formèrent peu à peu un pouvoir séparé prétendant agir et parler au nom du peuple.

Malgré la prétention à l’universalité, les pratiques d’exclusion furent dès le départ reconduites envers les étrangers, les femmes mais aussi les citoyens de province   . On aurait d’ailleurs aimé que l’auteur approfondisse cette idée de centralité du peuple parisien au détriment des citoyens de province.

 

Deux républiques

 

Dès le départ, deux républiques étaient en concurrence : l’une était représentée par l’Assemblée, organisée par la constitution de novembre et trahie par Louis-Napoléon Bonaparte, alors que l’autre prit le nom de « République démocratique et sociale » et justifia la prise d’armes de juin.

Cette dichotomie se retrouvait dans les trois grandes institutions prétendant incarner le peuple après février : le Gouvernement provisoire, la Garde nationale et la Commission du Luxembourg. Le Gouvernement provisoire fut installé comme une autorité révolutionnaire dans laquelle on retrouvait les représentants des différents modes de lutte contre l’Ancien Régime derrière Louis Blanc, Crémieux ou Lamartine. Si pour certains, il devait se contenter de rétablir l’ordre et préparer les élections, pour Blanqui et Raspail ce régime légitime devait révolutionner le pays conformément aux volontés des insurgés de février. Dans cette même logique, la Garde nationale, estimant incarner le peuple et avoir permis la victoire de l’insurrection, s’ouvrit à toutes les classes et intégra ainsi tout citoyen masculin. Pour autant, cette institution soulevait le même dilemme relevé par Philippe Bourdin sous la Révolution : s’agit-il d’une force au service du peuple ou d’un outil de maintien de l’ordre ? Dilemme qui ne sera d’ailleurs jamais résolu. La Commission du Luxembourg apparait finalement comme la seule institution inédite. Créée le 28 février, elle devait réfléchir aux moyens de transformer les rapports sociaux pour faire disparaître la misère. Pour autant, les délégués de la Commission ont échoué à jouer un véritable rôle politique que ce soit par la rue ou par les urnes.

Le 4 mai, quand s’installa l’Assemblée nationale élue au suffrage universel masculin, le fossé continuait à se creuser entre ces deux tendances.

 

Finir la Révolution ou sauver la République

 

Pour une large partie de l’Assemblée nationale, les élections en firent la seule représentante de la parole du peuple. Prétendant détenir le monopole de cette représentation, le peuple devait rentrer chez lui car il n’avait plus de raison de se mêler de politique. Dès le 15 mai, éclatèrent des émeutes à Limoges et Rouen dans lesquelles furent tués des ouvriers au nom de la défense de la République. De plus, la nouvelle Assemblée ne défendit que timidement les pays européens participant au printemps des peuples. Samuel Hayat montre bien le lent divorce entre l’Assemblée aspirant à retrouver un climat politique stable alors qu’un mouvement plus populaire incarné par les clubistes exprimait son soutien aux manifestants de Limoges et aux Polonais. La manifestation populaire organisée le 15 mai fut alors vue comme une atteinte à la souveraineté nationale, l’Assemblée étant la seule à pouvoir parler et agir au nom du peuple.

L’affrontement trouva son aboutissement tragique dans la répression de l’insurrection de juin 1848 suite à la fermeture des ateliers nationaux. Ici l’auteur rejoint François Furet pour qui ces journées ne sont pas une révolution de la faim comme l’a prétendu Marx. Les motifs politiques et économiques l’emportent sur les causes sociales. Les insurgés –  tout comme Cavaignac disposant des pleins pouvoirs à partir du 24 juin à la tête des unités réprimant ces mêmes insurgés – pensaient défendre légitimement la République, « mais ce n’est pas la même république dont il est question »   .

 

Comme le souligne l’auteur, il s’est bien joué quelque chose en 1848 autour de l’idée de République   . Si 1848 marque l’événement fondateur de la République comme règne de l’élection, les journées de juin posent une rupture dans l’histoire de l’idée républicaine. Clubs et journaux ont alors des difficultés à subsister tandis que Proudhon apparait à ce moment comme l’un des derniers représentants du mouvement ouvrier français. Samuel Hayat retranscrit avec efficacité les enjeux politiques et sociaux qui se jouèrent entre février et juin ; il replace ainsi l’événement dans son contexte en retranscrivant l’inaccessible unité du mouvement républicain. Pour autant, il entend donner aux conflits de 1848 une clé de lecture du système politique actuel et conclut : « Pour cette raison, cette opposition entre la République et son double n’appartient pas à un passé révolu. Le legs de la République démocratique et sociale se trouve dans les mouvements, les dispositifs ou les expérimentations qui contestent l’hégémonie du gouvernement représentatif ; ce n’est qu’en s’appuyant sur eux que l’on pourra retrouver les possibilités émancipatrices de l’idée de République »   . Cet appel replace ce travail dans une perspective relevant plus des sciences politiques que de l’histoire