L’armement médiéval du XIIIe au XVe, entre données archéologiques et fonctions symboliques.

Paru aux éditions Loubatières, Le costume militaire médiéval. Les chevaliers catalans du XIIIe au début de XVe siècle est le fruit d’un travail mené sur plus de sept ans entre la Catalogne française et espagnole par Sylvain Vondra. Afin d’analyser l’évolution du costume militaire, l’enquête se base principalement sur l’étude des sculptures funéraires (dalles, gisants, priants) tout en convoquant des sources diverses, comme les sceaux, qui permettent de compléter la panoplie de l’armement tout en affinant la datation. L’archéologie ayant finalement fourni relativement peu de matériel militaire, l’historien peut – et doit ! – utiliser également les sources textuelles (chroniques, inventaires, testaments…) afin d’appréhender au mieux l’univers militaire médiéval.

 

La Catalogne médiévale

 

La Catalogne recèle un nombre suffisamment important de sculptures funéraires et de sceaux pour qu’une telle étude soit envisageable. Afin d’inscrire ces données dans leur contexte historique, l’auteur ne manque pas d’esquisser une brève histoire de la Catalogne médiévale. Intégrée au royaume franc après la prise de Barcelone en 801, la Catalogne est par la suite unifiée en 878 par Guifred Le Velu qui rassemble les différents comtés, avec Barcelone pour « capitale ». Dans la foulée, il fonde la célèbre abbaye de Ripoll (880). Mais du IXe au Xe, les comtes successifs s’émancipent progressivement de la tutelle franque, avant de s’en affranchir totalement après le sac de Barcelone de 985 et la non-intervention des Francs. D’après certains historiens, un esprit de « pré-croisade » se forme durant le XIe siècle avec des expéditions épisodiques contre les musulmans.
Il faut attendre 1137 pour que l’Aragon et le comté de Barcelone forment une seule et unique couronne, alors aux mains de Raimond Bérenger IV. La Catalogne connaît une expansion particulière sous le règne d’Alphonse Ier (1162-1196) qui met la main sur le Val d’Aran et affermit sa présence en Provence. Son successeur Pierre II d’Aragon (1196-1213) est couronné par le pape Innocent III en 1204 et songe à bâtir une principauté méditerranéenne avant de trouver la mort à Muret contre les croisés de Simon de Montfort. C’est alors que les souverains catalano-aragonais redirigent leur poussée vers le sud. Jacques Ier (1213-1276) dit « le Conquérant », s’empare de Majorque, Ibiza et Valence et jette les bases de ce que certains qualifierons de « nation catalane ».

La fin du XIIIe siècle est marquée par une tentative de la part des Français de mettre la main sur la Catalogne, sans toutefois y parvenir. Le XIVe siècle est mouvementé. Des compagnies catalanes s’en vont lutter contre les Grecs et les Turcs et mettent la main sur les duchés d’Athènes et de la Néopatrie (1319-1379). Durant ce siècle, la Catalogne est une puissance commerciale majeure dans l’espace méditerranéen. En 1410, après une période de troubles, le dernier membre de la maison de Barcelone, Martin Ier, meurt. C’est l’avènement des Trastamare. La fusion avec le reste des états hispaniques se fera sous Ferdinand II le Catholique (1479-1516).

 

De haut en bas : développements de l’armement défensif

 

C’est dans le cadre de ce contexte historique riche que Sylvain Vondra entrepend l’étude du costume militaire. Il s’intéresse d’abord à l’armement défensif. La tête, particulièrement exposée aux coups, reçoit en priorité des protections essentielles. Le casque forgé d’une seule pièce, ou heaume, apparaît au cours du XIe siècle. À côté, on retrouve un type avec une variante qui consiste à rajouter une pièce métallique au niveau du nez. C’est au cours du XIIIe siècle que les premiers heaumes cylindriques font leur apparition : la partie haute du casque, ou timbre, devient de plus en plus ovoïde afin de parer au mieux les coups. Durant le bas Moyen Âge, le « chapel » de fer s’impose finalement. Mais l’image d’Épinal du chevalier coiffé du Grand Heaume durant la guerre doit être nuancée. D’un poids dépassant fréquemment les 4 kg, il est peu adapté aux longues chevauchées. S’il pouvait être porté momentanément lors des affrontements, il semblerait qu’il ait été davantage prisé lors des tournois et des parades. De plus, les nombreux récits relatant des blessures infligées au visage viennent conforter l’idée que le port du heaume n’était pas systématique. À l’occasion de certaines parades, comme le laisse penser le sceau de Jaume II (1299), le heaume pouvait être peint, le plus souvent en reprenant les couleurs héraldiques de son porteur. Sur les sculptures funéraires les combattants sont fréquemment représentés avec leur casque, ce qui laisse la possibilité d’observer les protections portées en dessous de celui-ci. Les plus simples sont faites de cuir et parfois de mailles. La protection du cou apparaît d’une manière plus évidente à partir du XIIIe siècle à travers la gorgière. D’abord en mailles, elle est par la suite élaborée à partir de plaques métalliques.

Le terme de « cotte de mailles », tant utilisé de nos jours, n’est quasiment jamais employé durant le Moyen Âge. Selon les régions, on lui préfère les termes de broigne, haubert ou haubergeon qui sont plus techniques et permettent des nuances. Le haubert en mailles treslies va connaître un grand succès. Au cours du XIIe siècle, il s’allonge à tel point qu’il en vient à recouvrir la tête et parfois les mains. Il est parfois rembourré d’une cotte de cuir particulière : le gambison. Sur les sculptures funéraires et lors des parades, il n’est pas rare que le haubert soit recouvert d’une tunique faite de tissu, la cotte d’armes qui devient un des supports privilégiés pour l’héraldique. Quant à l’efficacité du haubert nous pouvons dire, d’après les récits et l’archéologie, qu’elle fut toute relative. La Chanson de la croisade albigeoise précise que les carreaux d’arbalète traversent le haubert « comme un sac de paille ». Face à cela, au tournant du XIIIe-XIVe siècles, on prend l’habitude de fixer sur la maille des plaques de cuir bouilli puis durci à la cire. Au XIVe une étape est franchie lorsque des plaques de métal remplacent celles de cuir, c’est la naissance de la «  cotte de plates » .

Enfin, le bouclier constitue un des éléments clés de l’armement défensif médiéval. Du XIIe au XIVe siècle, la chevalerie occidentale utilise des écus aux formes variées. Puis à mesure que l’armure se perfectionne, la taille de l’écu tend à diminuer. Les sceaux de l’élite guerrière catalane permettent de suivre cette évolution de près. En amande au milieu du XIIe siècle, l’écu tend à devenir triangulaire avec sa pointe arrondie vers le milieu du XIIIe siècle, tandis que les premiers écus armoriés apparaissent à la fin du XIIe siècle. A la fin du XIVe, un type nouveau apparaît, que l’on qualifie de targe. Ici, l’écu est de forme rectangulaire et possède une encoche afin d’y poser le fût de la lance avant de lancer une charge.

 

Le chevalier, son épée et sa monture

 

Parmi l’armement offensif, c’est bien sûr l’épée, arme chevaleresque par excellence, qui ouvre le bal. Les termes alors employés pour la décrire sont forts nombreux et d’une précision minutieuse : pour ne désigner que ce que nous qualifions de « poignée », on compte sept termes bien distincts (goutte, pommeau, soie, fusée, garde, quillon et écusson) ! De manière générale, les épées des gisants catalans possèdent deux types de pommeaux : ceux en olive et d’autres ronds. Certains peuvent être ornés d’armoiries. Elément central de l’identité chevaleresque, l’épée est mise en avant, et son fourreau et le baudrier qui le porte peuvent faire l’objet d’ornementations particulièrement soignées. Alors, des motifs héraldiques ou ornementaux viennent appuyer la symbolique de l’épée. A côté de cette grande sœur, on retrouve fréquemment la dague qui, lors des affrontements, servait en général à porter le coup de grâce.

Y a-t-il chevalier sans cheval ? L’équipement militaire médiéval ne se limite en tout cas pas à l’homme pour se déployer sur sa monture. Dans la culture médiévale, les éperons sont étroitement associés à la chevalerie. En acier, en bronze ou en cuivre, ils font d’ailleurs partie de l’équipement donné au chevalier lors de son adoubement. Quant aux « éperons dorés », même si on en connaît quelques spécimens, ils semblent là-aussi faire davantage partie du registre romanesque, dès l’époque médiévale. Intégrés aux gisants, les éperons apparaissent alors comme des signes de l’appartenance à une classe sociale bien définie, celle des nobles combattants.

Comme l’ont fait remarquer de nombreux spécialistes de la chevalerie tel Jean Flori, la vie et la mort du chevalier sont étroitement liées à celles de sa monture. Cela, les combattants à pied l’avaient bien compris et n’hésitaient pas à assener des blessures à l’un comme à l’autre. Ainsi, au cours du XIIIe, les protections vont se perfectionner. Les chroniqueurs de l’époque, tel Pierre des Vaux-de-Cernay, mentionnent même la présence de « chevaux bardés de fer » sur le champ de bataille. Les zones sensibles comme la poitrine, le flanc, la croupe ou la tête vont être recouvertes de pièces de cuir ou de métal. Au fil des siècles, le costume militaire médiéval finit ainsi par recouvrir le chevalier et sa monture dans le but de les rendre imperméable aux assauts de leurs ennemis.

Servies par une édition de qualité qui laisse une grande place aux illustrations (photographies, croquis, cartes…), les descriptions claires et érudites données par Sylvain Vondra n’en sont que plus pertinentes. Elles gagneraient pourtant à être davantage analysées historiquement : les gisants sont analysés comme tel, sans jamais être mis en parallèle avec la vie de celui qui est représenté, et leurs commanditaires ne sont que trop rarement pris en compte. Avons-nous finalement affaire à une véritable histoire du costume militaire tirée de la « simple » observation de sculptures funéraires, ou à la projection largement impensée de représentations dont l’histoire resterait à écrire ? À quel point coïncident les tenues militaires réellement employées et les projections symboliques du costume militaire utilisées dans un contexte de célébration d’une classe sociale alors de plus en plus concurrencée ? Par ailleurs le gisant s’inscrit dans un contexte architectural qui accentue cette dimension symbolique dans laquelle il trouve son sens et sa raison d’être. Si ces questions demeurent ouvertes, il ne fait aucun doute que l’ « étude archéologique » rigoureuse de Sylvain  Vondra fournira un appui particulièrement solide à qui voudra les explorer.

 

Excursus – Le Livre de l’ordre de chevalerie de Ramon Llull

 

Personnage fascinant, Ramon Llull (1233-1316) est né à Majorque dans une famille noble catalane. A douze ans il vit à la cour et apprend le maniement des armes et l’art de trobar. Par la suite il deviendra sénéchal du roi avant de vouer sa vie au Christ. Auteur d’une œuvre importante, il connait une large diffusion durant tout le Moyen Âge. Dans son Libre del Ordre de Cavalleria, composé vers 1275, il attribue à chaque élément du costume militaire une signification. Sylvain Vondra ouvre ses chapitres en citant Llull. Nous en avons sélectionné quelques passages. Pour le casque il écrit que « le heaume est donné au chevalier pour signifier la pudeur (…) De même que le heaume protège la tête, le plus haut membre et le plus essentiel dans l’homme, la pudeur défend le chevalier – le plus haut métier qui soit, après celui de clerc – d’être enclin aux faits vils ». De même « l’écu est donné au chevalier pour signifier le métier de chevalier, car, comme le chevalier place l’écu entre son ennemi et lui, le chevalier est au milieu entre le roi et son peuple. ». Pour terminer on peut évoquer le cas de l’épée qui « est faite à l’image de la croix, pour signifier que, comme notre Seigneur Jésus-Christ vainquit, sur la croix, la mort en laquelle nous étions par le pêché de notre père Adam, le chevalier doit vaincre et anéantir les ennemis de la croix avec l’épée »