Indiscutablement, les dernières manifestations en Europe en soutien aux Palestiniens de Gaza – que ce soit à Barbès, Sarcelles ou encore à Berlin et Vienne – ont montré que quelques centaines de jeunes, voire de moins jeunes, ont saisi l’occasion pour donner libre cours à leur antisémitisme. Celui-ci prend sa source dans différents milieux, selon qu’il s’agisse en France des dieudo-soraliens plus ou moins conspirationnistes, des Loups gris turcs en Allemagne ou encore de ceux qui, sous couvert « d’antisionisme », ne reconnaissent pas la légitimité de l’Etat israélien. Inversement, force est de reconnaître que des représentants officiels des communautés juives européennes ont à nouveau fait le choix de soutenir aveuglément la coalition entre la droite et l’extrême droite en Israël et que des membres de la Ligue de défense juive et du Betar ont ouvertement tenu des propos racistes à l’encontre des manifestants pro-Palestiniens.

Les réseaux sociaux se sont enflammés et l’accusation d’indignation sélective ou de « doubles standards » en défaveur d’Israël a refait surface, souvent formulée par des défenseurs de la politique belliciste israélienne. Si de nombreux humanistes, juifs ou pas, s’intéressent plus au conflit israélo-palestinien qu’à ce qui se passe au Tibet, au Soudan du Sud, à Mossoul ou à Ghardaïa, c’est pour tout un ensemble de bonnes raisons que l’on peut rassembler en trois points.

Premièrement, Israël est un pays doté d’institutions démocratiques, même si la démocratie y demeure clairement imparfaite (Arabes considérés comme des citoyens de seconde zone qui n’ont pas les mêmes droits que les Juifs pour l’achat de terrains, discriminations envers les non-religieux pour les actes d’état civil comme le mariage ou le divorce, etc.). De ce fait, la politique israélienne est comparée à celle d’autres démocraties occidentales, comme les pays de l’Union européenne ou d’Amérique du Nord (qui ne sont pas exempts non plus de scories importantes dans leur fonctionnement !). Lorsque le ministre des affaires étrangères, Avigdor Liebermann, déclare qu’il faut à présent boycotter les magasins des Arabes israéliens   et avant cela qu’Israël pourrait en finir avec les Palestiniens comme les Américains l’ont fait avec les Japonais, sous-entendu avec l’usage de l’arme atomique   , on ne le compare pas à un illuminé servant un mollah iranien ou un El Assad en Syrie, mais aux ministres des affaires étrangères de nos pays... et il n’est pas difficile de sentir ici poindre l’indignation. Même chose lorsque le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, qualifie les Palestiniens supposés avoir assassinés les trois jeunes israéliens « d’animaux à forme humaine »   , appelant ouvertement à la vengeance et non à la justice. Ces propos ne sont pas dignes d’un chef d’Etat. C’est précisément parce que nous estimons qu’Israël est plutôt une démocratie qu’on n’accepte pas venant de sa part ce qu’on ne relèverait sans doute même pas si cela venait de la Corée du Nord.

De ce fait, les attaques menées par le Hamas sont bien évidemment inadmissibles et ne méritent pas de grandes discussions : il ne viendrait à personne l’idée de justifier les tirs de roquettes et celles-ci sont d’ailleurs heureusement généralement contrées par le ‘Dôme de fer’ israélien. Mais du côté de la seule-démocratie-du-Moyen-Orient, comment accepter l’utilisation de bombes à fléchettes   ? Si le but de l’attaque israélienne est de toucher les cadres du Hamas ou de détruire les tunnels, pourquoi de telles munitions ? L’histoire des attaques israéliennes ces douze dernières années, en réponse à des tirs de roquettes ou des attentats, nous montre bien que la solution militaire est à la fois vouée à l’échec, désastreuse sur le plan humanitaire, et qu’elle ne fait qu’aiguiser les haines des deux côtés.

Deuxièmement, tant qu’Israël sera l’Etat juif de la planète, il sera compréhensible que les Juifs se sentiront concernés de près par ce qui s’y passe et ce qui s’y dit. Il ne faut pas être étonné si des personnalités aussi diverses que Noam Chomsky, feu Stéphane Hessel   , Norman Finkelstein, Woody Allen et tant d’autres suivent de près ce qui se passe dans ce pays : c’est un peu le leur. Si Israël se définit comme le pays des Juifs et que l’on se définit soi-même comme juif, il est compréhensible que l’on suive de plus près ce qui se passe dans ce pays plutôt qu’à Mossoul, dans les favelas de Rio ou à Sanaa.

Dernier point, la question de l’efficacité et de l’empathie. Les populations juives d’Europe et particulièrement de France, tout comme d’Amérique du Nord, sont nombreuses. De nombreux nationaux ont des amis israéliens ou même de la famille dans ce pays. Tous les jours, même lorsque la situation n’est pas si tendue, nous avons des contacts avec des amis israéliens ou avec de la famille. Il est donc bien compréhensible que l’on s’intéresse plus à ce qui se passe dans ce pays plutôt qu’à la Guerre des cartels en Colombie ou aux manquements aux droits de l’Homme au Tibet. C’est une question d’empathie pour ce que vivent nos amis (ou ceux de nos concitoyens) mais aussi une question d’efficacité. Lorsque nous écrivons sur Israël, nous les humanistes de gauche osant porter un regard parfois critique sur la politique israélienne (juifs ou pas), que ce soit dans des articles ou en présentant des films, des artistes, nous avons un petit effet, même s’il est très modeste – il ne faut pas se faire d’illusion – sur ce que pensent et votent les lecteurs, en Israël, aux Etats-Unis ou en Europe.

Voilà en quelques lignes pourquoi cette accusation d’indignation sélective est particulièrement inepte