À l’affiche du Théâtre de la Ville ce début du mois de mai avec « Vortex Temporum », du compositeur de musique spectrale Gérard Grisey, l’actualité d’Anne Teresa De Keersmaeker est également celle de la publication d’un second volume avec la philosophe, musicologue et dramaturge Bojana Cvejic intitulé En attendant et Cesena, Carnets d’une chorégraphe   . Avec les trois dvd qui accompagnent ce recueil d’entretiens, de croquis, et de photographies de Michel François, l’ensemble vise à « déchiffrer l’écriture poétique de la danse », tant pour délivrer des clefs de savoir-faire pour les artistes que pour « faire-savoir » et ouvrir des portes à un plus large public, aux yeux duquel la danse contemporaine reste parfois un domaine cloisonné   . Si le premier ouvrage Fase, Rosas danst Rosas, Elena’s Aria et Bartók, Carnets d’une chorégraphe   revenait sur les premières pièces des années 80 de la chorégraphe flamande, celui-ci décortique la narration formelle (presque géométrique des mouvements) et méta-narrative, soit la trame suivie par l’association de la mélodie et de son expression physique dans les pièces En attendant et de la pièce Cesena présentée à La Cour des Papes en 2011 pour le festival d’Avignon.

À l’occasion d’une rencontre le 29 avril dernier sur la grande scène du Théâtre de la Ville, les deux co-auteures sont revenues sur une série de concepts fondamentaux, notamment « my dancing is my walking » (« ma danse est ma marche »). Le pas serait dans les chorégraphies de De Keersmaeker, comme dans la danse en général, l’acte élémentaire, l'essence de la relation entretenue à l’espace et au temps. Les variations infinies, entre le rythme et la posture du corps, composent la référence obsessionnelle de déconstruction de l’artiste belge : de la tentative de l’envol à la chute. C’est également la relation fondamentale que l’homme entretient avec son humanité : la tension verticale de la colonne qui mène à la marche (ou plutôt la démarche) et qui le diffère de l’animal dont le déplacement est structuré par l’horizontalité du tronc. L’exercice pendulaire du pas est alors la lecture première, la grille phénoménologique de captation du mouvement. À l’instar de la philosophie de Bergson au sujet du temps, Anne Teresa De Keersmaeker semble appréhender la temporalité par sa qualité plutôt que de l’apprécier sur une échelle mathématique stricte. Cependant, comme elle a pu le démontrer dans Cesena où elle se confronte à la musique du XIVe siècle, et plus récemment dans « Vortex Temporum », sa relation à la transcription d’une partition rythmiquement complexe est primordiale, entre l’écriture d’une temporalité non-linéaire et une tentative de transcription figurative auxquelles les musiciens comme les danseurs participent. Elle le réaffirme elle-même sur la rosace d’exercice des planches du Théâtre de la Ville: « la musique est mon premier partenaire ».

Pour clore la trilogie d’ouvrages pédagogiques et de réflexions sur la danse, un dernier volume est en projet et portera cette fois sur une autre structure d’expérience : celle des interprètes et leurs imaginaires lorsqu’ils « répondent aux questions que posent le chorégraphe ». Une nouvelle manière de s’approprier et représenter le temps