La flamboyante artiste Maria Klonaris s'est éteinte le 13 janvier 2014. Sa mort a séparé le duo qu'elle formait depuis les années 1970 avec Katerina Thomadaki. "Klonaris/Thomadaki" : ainsi signaient-elles leurs oeuvres, pour sceller leur union créatrice. Originaires de Grèce, issues du théâtre d'avant-garde et de la performance, elles immigrent à Paris et se dirigent vers le cinéma expérimental, puis vers l'installation et le numérique. Leurs œuvres sont marquantes par leur somptuosité plastique, qui peut rappeler les films de Werner Schroeter et de Stan Brakhage (bien que ces artistes ne soient pas leurs influences), et les forces primordiales qu'elles réveillent, puisées aux images originelles des mythes et aux gestes rituels ancestraux. Ce sont même jusqu'aux forces cosmiques – comme dans leur film Selva (1981-3) au lieu de tournage sylvestre ou leur vidéo Pulsar (2001) en partie constituée d'imagerie astronomique – qu'engagent la danse et l'extase, dont des formes équivalentes ne semblent pouvoir se trouver qu'au-delà de l'Occident moderne. L'énergie de la performance de Maria Klonaris dans Pulsar, vidéo à la plastique électrique, est l'un des plus récents témoignages de la puissance de son inspiration, qu'elle continuera de partager avec les spectateurs futurs des œuvres réalisées par Klonaris/Thomadaki. Leurs films, parmi lesquels sont souvent retenus Unheimlich I : Dialogue secret (1977-9) et Unheimlich II : Astarti (1979-80), constituent des contributions parmi les plus fortes au cinéma expérimental français – bijoux précieux et incandescents tournés au format pourtant modeste du 8 mm. Ces trésors ont récemment été restaurés et transférés en 35mm par les Archives françaises du Film du CNC et projetés à la BNF, laquelle conserve également un Fonds Klonaris-Thomadaki qui comprend la totalité des publications par elles et sur elles, et des éléments audiovisuels de leurs oeuvres éphémères (performances et installations), en plus de leurs films. Ceux-ci sont volontiers comparés, par les historiens et théoriciens du cinéma, aux films de Gregory Markopoulos ou Téo Hernandez, même si ceux de Maya Deren s'y apparentent peut-être plus profondément. Klonaris/Thomadaki se distinguent par leur liberté absolue à l'égard des modes, c'est-à-dire de tout ce qui est passager et superficiel dans le monde de l'art ; néanmoins, leur capacité à œuvrer aux sources d'une anthropologie des images, pour une véritable archéologie des formes et des gestes, dans un art profond et personnel, s'allie à merveille aux nouvelles technologies et configurations de l'art contemporain, comme dans leurs installations multimédia. Leurs installations-environnements, souvent in-situ, ont donné lieu à de nombreuses expositions internationales, dans des musées, comme au Centre Georges Pompidou à Paris ou à la Tate Modern de Londres, aussi bien qu'avec le soutien d'institutions culturelles helléniques. L'importance de leur oeuvre pour le patrimoine artistique de l'humanité fait regretter la fin de Klonaris/Thomadaki en même temps qu’éprouver une reconnaissance profonde pour l'œuvre considérable qu'elles ont ensemble constitué. Comme après la fin de Straub-Huillet, épreuve que Jean-Marie Straub a réussi à surmonter en continuant, seul, l'oeuvre intransigeante réalisée avec Danièle Huillet, après son décès qui a mis fin à leur union créatrice, Katerina Thomadaki devra trouver la force de poursuivre, malgré la tragique séparation, son oeuvre fondée avec Klonaris-Thomadaki.