Une somme (814 pages), dont il conviendra de discuter dans un autre cadre, vient d’être publiée par Les Presses du réel. Elle porte sur l’expérience sociale et politique des Nouveaux Commanditaires, largement muée en héroïne de la démocratie moderne à partir d’articles élogieux. L’ouvrage, Faire art comme on fait société, Les Nouveaux Commanditaires (Dijon, Les Presses du réel, 2013) est réalisé à l’initiative de la Fondation de France, elle-même abritant les structures des Nouveaux Commanditaires.
   
Par ces Nouveaux Commanditaires, il faut entendre un protocole de commande d’œuvre à disposer en public, conduit à partir d’une demande d’un individu, d’un groupe d’habitants ou de citoyens, ou d’une communauté professionnelle, par un médiateur susceptible d’orienter la demande vers tel ou tel artiste ou de raffiner les objectifs de la commande. Un nombre d’œuvres très important, déposées sur le territoire, prouve, en tout cas, que ce protocole est vivement apprécié.
   
Pour l’heure, il porte sur les arts. Mais la question que pose un des articles publié dans cet ouvrage est celle de savoir si une telle procédure pourrait s’étendre aux sciences. Si oui, il faudrait alors en conclure que des institutions de même type peuvent structurer les deux domaines qui font, par ailleurs, l’objet de recherches en surfaces d’échanges – ici, il pourrait être question d’un parallèle entre l’autonomie du scientifique et celle de l’art -, ainsi que nous le montrons depuis que cette rubrique existe sur non-fiction.
   
L’article en question s’intitule : Les Nouveaux Commanditaires : pour les sciences aussi ? Il s’agit d’un entretien entre Bruno Latour, par ailleurs président du comité culture de la Fondation de France, Anne Pongénie et Xavier Duroux.
   
Si l’on dépasse un début d’interview un peu superficiel et hésitant, on arrive à l’énoncé de quelques points essentiels. D’abord, l’idée que le protocole des Nouveaux Commanditaires ne dépendrait pas de son objet premier. Les procédures engagées pourraient donc se reproduire dans d’autres cas. Il resterait cependant à savoir en quoi et comment les négociations entre population (locale), médiateurs et artistes, peuvent être traduites dans des négociations entre population, médiateurs et scientifiques. Sur quel objet (la recherche ? les conséquences de la recherche ? les choix de priorité ?), avec quels médiateurs (des médiateurs scientifiques, des experts ?), et quels scientifiques dès lors que les sciences se développent par équipes et hiérarchies. Sauf à envisager que le protocole viendrait bouleverser une donne, ou des modèles qui datent souvent du XIXe siècle, et dans lesquels le commanditaire est le plus souvent l’Etat ou une entreprise qui finance des programmes de recherche en espérant en tirer des bénéfices à long terme.
   
Certes, l’expérience (et non plus de protocole) des Nouveaux Commanditaires renvoie à de nombreux problèmes : quel espace critique ? quel rôle pour le médiateur ? comment se composent les associations demanderesses ? Et d’autres questions. Malheureusement, lorsque les interlocuteurs les prennent en charge, ils n’arrivent plus à assumer le parallèle avec les sciences.
   
Un seul point semble satisfaire Bruno Latour : " Le programme des Nouveaux Commanditaires a une importance particulière en France, parce que, précisément, il permet d’agir en dehors de l’Etat [...]. " Le parallèle devrait donc être repris sur ce plan. Pourtant, l’interview n’approfondit pas cette idée, ni ses conséquences sur la notion de service public de la connaissance.
   
Restent encore deux points majeurs soulevés par les propos, sans pour autant aller jusqu’à en développer tous les aspects. Le premier concerne le sens artistique dans l’espace public et sa traduction possible en un sens scientifique dans l’espace public. Le second concerne le rapport d’une hypothétique commande scientifique avec le bien public, si d’aventure ce rapport traverse entièrement l’expérience des Nouveaux Commanditaires.
   
Ce bref article puisé dans la somme concernée n’a pas la prétention de couvrir toutes les dimensions du problème. Il suggère cependant qu’au niveau des institutions (artistiques et scientifiques) une véritable surface d’échange pourrait se constituer. Il faudrait maintenant y réfléchir plus longuement. Il conviendrait de mieux cerner l’objet d’une telle commande en matière scientifique (un objet de recherche ? un développement populaire du savoir ? une reconnaissance d’une science ancrée dans la société ?...). Mais l’idée est émise. Elle doit circuler