L’artiste a travaillé en résidence sur le territoire du CERN, il a été invité en 2012 sur celui du Synchrotron par le Centre de Culture Scientifique, Technique et Industrielle de Grenoble. Il a créé à cette occasion un Thinkrotron, un accélérateur de pensée. Cette oeuvre se décline en un triptyque : Mnémosyne, exposée sur le Plateau de l’Hotel de Région, La Chambre d’écho, exposée au Museum de Grenoble, et 844 m d’art.

À ce propos, une première question se pose, qui vaudrait pour toute proposition de travail croisé Arts et Sciences : dans quelle mesure la volonté de travailler en résidence à tel ou tel endroit (ici un centre de recherche scientifique, mais cela vaut aussi pour une résidence en milieu scolaire, ....) tient-elle à une nécessité de l’œuvre ou de la trajectoire de l’artiste ? On sait que la surface d’échange entre arts et sciences est délicate à cerner, et que l’on doit éviter de procéder par substitution (l’artiste imitant le scientifique ou le scientifique imitant l’artiste). Ici, le travail de Mulot présente l’intérêt de relier le sens de la recherche scientifique à la quête de l’artiste. C’est donc moins l’œuvre qui est artistico-scientifique que la démarche qui articule arts et sciences.

Une autre question se pose que met en avant, avec brio, la section Veduta de l’actuelle Biennale de Lyon (" Entre-temps ... brusquement, et ensuite "). Son directeur Abdelkader Damani précise d’emblée qu’il serait vain de se demander si Laurent Mulot est sculpteur, photographe, artiste installateur, artiste vidéo, land artiste ... Parce que cet artiste use de tous les procédés et parce qu’il déploie justement de nouvelles pratiques. Et c’est là que nous retrouvons le rapport Arts et Sciences : il pratique l’Absence en créant des Centres d’Art contemporain Fantômes (à propos desquels l’historien et critique Paul Ardenne forge l’expression : " artiste expéditionnaire ", cf. le site Web correspondant de l’artiste), la Commémoration en élevant des " monuments " à la mémoire des neutrinos (Aganta Kairos), l’interstice entre le monde quantique et le monde du quotidien (Augenblick), ...
Dans le livret qui accompagne l’exposition, des chercheurs scientifiques prennent la parole pour énoncer, de leur point de vue, leur approche du travail de l’artiste et des résultats présentés. L’un (Jean-Paul Martin) nous entretient de la question de l’infiniment petit, en citant les particules élémentaires, à propos desquelles il ajoute : " Laurent Mulot assimile les constituants élémentaires à des fantômes, mais aussi à la liberté : celle qui permet à l’Homme d’entendre cette " mélodie secrète " de l’univers ". L’autre (Thierry Stolarczyk) nous entretient des surprises que ce rapport avec un artiste provoque : grâce à Laurent Mulot, " à la surprise du physicien, la particule évanescente, dénuée de presque tout, se retrouve porteuse d’une charge émotionnelle et ouvre une nouvelle fenêtre d’observation sur l’Humanité ".
    

En ce qui concerne Augenblik (un instant, le clin d’œil envoyé et reçu par l’œil au même instant), la rencontre Arts et Sciences est plus percutante encore. Si chacun sait plus ou moins ce qu’est un accélérateur de particules, il est intéressant d’observer qu’on peut en détourner l’image. L’artiste en effet, transforme l’accélérateur en une gigantesque fabrique de l’imaginaire, un théâtre souterrain qui raconte une histoire à la vitesse de la lumière. Encore, du côté de l’accélérateur scientifique n’y a-t-il pas de spectateur ! L’artiste change la donne : ces images de collision des particules qu’il a eu l’occasion de prendre en main, il en fait " les métaphores de spectateurs, et d’un spectateur partageant les mêmes lieux sans jamais se voir ".
 

Si l’accélérateur de particules se trouve sous terre, invisible, l’artiste propose une installation bien visible, qui interroge le milieu entre expérience souterraine et paysage public local. Comme si dans un même monde se rencontraient deux formes de présences différentes : deux formes d’enjeux, de réalisations, assurant le devenir du monde.
Ce n’est pas seulement que l’artiste introduit de la poésie dans une recherche scientifique qui souvent est mal connue par le public ou suscite des craintes, mais il détourne des processus scientifiques pour mieux interroger le monde humain, invitant à se promener dans ce monde en mettant au jour des énergies ignorées