Alors que nous sommes censés achever un grand débat sur la transition énergétique, un collectif d’artistes espère encore prolonger les discussions sans s’enfermer dans des polémiques. Ce collectif, HeHe, fondé en 1999, est composé de Helen Evans et Heiko Hansen. Il propos, dans le cadre du Voyage à Nantes, 2013, une installation : Réchauffement domestique, qui mérite notre attention, relativement à cette rubrique « Arts et Sciences ». Cette installation poétise le débat sur les gaz de schistes et notre vulnérabilité écologique. Elle est déposée dans un ancien parc du couvent des Oblates.

L’installation puise sa source dans les images spectaculaires du film Gasland (Josh Fox), montrant une personne surprise par le feu mis à l’eau qui coule de son robinet. Elle développe le propos, autour de la notion d’énergie, et autour des techniques de fracturation hydraulique.

Mais l’installation, sur deux étages dans une maisonnette, ne se réduit pas au visuel, pour le spectateur. Elle ne se cache pas, elle-même, de vouloir provoquer des débats, et de pousser chacun à s’emparer du sujet, à partir de la connaissance des faits et des questions énergétiques. Déjà à Liverpool, ces artistes avaient travaillé sur l’exploitation des gaz de schistes. Dans un cas comme dans l’autre, elles proposent une concertation publique avec les habitants locaux. Notons toutefois que ces deux installations diffèrent moins par leur contenu, que par le contexte de référence. Au Royaume-Uni la position officielle est favorable à l’extraction du gaz de schistes. Tandis qu’en France, la position est inverse.

Du point de vue artistique, il est surtout question de créer une démarche. Et de la prolonger par un jeu de participation qui concerne moins l’installation même que la possibilité de multiplier les documents de référence, les rapports d’expériences, les traces diverses qui pourront être consultées n’importe quand et alimenter les débats. Les artistes affirment vouloir d’abord réunir les ingrédients d’une dramaturgie (un sujet, le feu, la cité, les expertises, l’opinion publique).

L’installation ne se contente pas d’évoquer des problèmes techniques : peut-on réaliser cette extraction proprement ou non ? Elle va plus loin, elle s’inquiète scientifiquement de cette question et appelle à multiplier les connaissances des roches, des gaz, des possibilités énergétiques. La question écologique n’est pas réductible aux seules questions techniques environnementales. Les artistes elles-mêmes ont du se convertir en expertes dans un domaine qui n’était pas le leur. Sans généraliser leurs apprentissages, elles soulignent que la connaissance scientifique, dans ce débat, est centrale.

Évidemment, ce collectif HeHe ne néglige pas non plus de s’interroger sur la pratique artistique elle-même, dans la mesure où elle souhaite corréler arts et sciences. Il ne cherche pas à confondre les arts et les sciences, mais à les placer en interrogation réciproque. C’est la pratique artistique qui conduit ici à une volonté de formation scientifique et non l’inverse. Il y a bien un vecteur de travail qui ne néglige pas les compétences des uns et des autres. Il n’empêche, au sein même du rapport arts et sciences, ce collectif relève ceci : tant qu’on livre les débats aux experts, ou à un seul parti pris, le débat ne peut avoir lieu. L’intérêt des arts sur ce plan, dès lors qu’ils font fructifier une surface d’échange avec une autre pratique, ici les sciences, est de permettre d’éviter l’instrumentalisation ou des arts ou des sciences. L’initiative artistique ne consiste pas à imposer une perspective, mais à multiplier les perspectives afin d’ouvrir les spectateurs aux débats.

Dès lors, aussi, les artistes nous rappellent que l’art n’est pas divertissement. L’art est une manière de penser, sous un autre mode. En l’occurrence ici, penser c’est accepter de se poser des questions et apprendre à s’aventurer dans des débats avec des connaissances

 

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Crédit de l'illustration : Collectif HeHe, Réchauffement domestique, Parc des Oblates, Nantes, création temporaire Le Voyage à Nantes 2013 © Bernard Renoux / LVAN