Une étude honnête qui renouvelle l’intérêt de lire l'écrivain toscan Boccace.

Pour le septième centenaire de la naissance de Giovanni Boccace (1313-1375), la moindre des choses était de renouveler l’étude biographique du conteur florentin. Après avoir mis à la disposition du public ses œuvres complètes à la Bibliothèque nationale de France, dont elle traduit pour lors des extraits, Marina Marietti   en profite pour conquérir un lectorat plus large que celui des italianisants et des universitaires. C’est un humaniste que son étude présente en deux parties auxquelles s’ajoutent des annexes, une bibliographie et un index des noms propres.

La vie de Boccace commence avec celle du père, un marchand banquier originaire de Certaldo qui exerce son métier en France comme beaucoup de ses compatriotes ; tout cela pour rappeler le mythe de la naissance parisienne que le fils avait lui-même entretenu dans deux écrits de jeunesse, alors qu’il est né à Florence où il apprend le latin, la poésie d’Ovide et celle de Dante ; dans les dernières années de sa vie, il écrira sur la Divine Comédie. Sa vocation narrative est en tout cas précoce.

À Naples, le commis continue d’apprendre son métier de marchand conformément à la volonté paternelle, même s’il refuse d’embrasser une carrière lucrative. À la cour du roi Robert d’Anjou (1309-1343), où il se sent bien, Boccace incarne la culture toscane. Ce milieu napolitain regorge d’érudits et d’artistes, de traducteurs et de scribes ; à la bibliothèque royale, le jeune homme découvre l’œuvre de Pétrarque. Il suit les cours d’un poète toscan, ami de Dante, et commence à rédiger des poésies (Rime) dans lesquels il introduit le principe de l’amour destructeur ; paraît pour la première fois le personnage de Fiamette (la “flamme”), à l’époque où l’étudiant en droit cultive un style élégiaque dont témoigne son premier texte poétique en langue latine : l’Élégie de Constance. Dans sa jeunesse, Boccace est également amené à fréquenter les bas-fonds de la ville qui l’inspirent. De la narration en vers, il passe aussi à la narration en prose. L’“infatigable créateur de mètres et de genres”   rédige le Filostrato – “abattu par l’amour” – puis le Ficolo dont la matière est empruntée aux légendes troyennes ; c’est dans cet ouvrage-ci que trouve place la première invective contre la gent féminine.

De retour à Florence, “la signature de Giovanni di Boccacio da Certaldo se double de l’appellation désormais habituelle dans son œuvre d’"ennemi de la Fortune"   . Boccace écrit alors le De Canaria où domine le thème de l’esprit marchand. Avec l’Ameto, il introduit le genre bucolique dans la littérature italienne ; avec l’Amorosa visione, il se met encore plus à l’école de Dante. La Fiametta, un modèle de récit romanesque, est louée en Italie pour sa langue et sa grammaire ; mais le renom de Boccace va au-delà des Alpes. À l’époque, le chroniqueur est déjà père et se met au service d’un seigneur de Ravenne dont il épouse le parti antinapolitain ; puis il rentre à Florence où sévit la grande pandémie de peste dont il rend compte. C’est le rapide succès du Décaméron, œuvre charnière, où la réalité ouvre à la fiction notamment par le biais de la nouvelle ; M. Marietti écrit quelques pages substantielles sur cette œuvre majeure, rédigée dans les années 1349-1351, que Vittore Branca a appelée l’“épopée des marchands”.

À Florence, Boccace héberge son maître Pétrarque ; naît une solide amitié. Entre-temps, il s’engage dans la cité-État ; plus tard, il embrassera l’état de clerc. Ses missions civiles le font voyager. Au monastère du Mont Cassin, il découvre deux codex de la plus haute importance pour la connaissance de l’Antiquité ; il a l’occasion d’approfondir ses connaissances en matière de mythologie. Il rédige aussi les biographies d’auteurs contemporains ; l’illustre sa Vie et mœurs de François Pétrarque, Florentin. S’en voient renforcés le culte de la poésie ainsi que la conviction d’un renouveau culturel ancré à Florence sous le signe de Dante ; son engagement citoyen le rapproche en fait de ce dernier dont il écrit la vie en langue vulgaire. De nouveau chez Pétrarque lors d’un séjour milanais, Boccace prépare ses principaux ouvrages latins : Généalogie des dieux, De casibus, De mulieribus. Vivement intéressé à une traduction d’Homère, le Florentin ouvre sa demeure aux représentants de la nouvelle culture.

Pour des raisons politiques, celui qui est devenu prêtre s’exile à Certaldo. Le poids de la chair lui pèse, c’est le début d’une crise mystique. Un nouveau séjour napolitain l’accable, séjour réparé par sa venue à Venise auprès de Pétrarque. C’est l’occasion pour la biographe de rappeler les épîtres dont Boccace fut un remarquable auteur. Ce dernier publie alors le Corbaccio (“corbeau”, en ancien toscan) ; dans le bestiaire médiéval, l’oiseau était la figure de l’amour qui consume les yeux et le cerveau des amoureux. Il retrouve encore Pétrarque, cette fois à Padoue ; il recopie les dernières œuvres latines de son ami sous l’impulsion duquel il réunit ses églogues dont le modèle est Virgile. La vieillesse se passe studieuse, consacrée à la poésie. Il apprend tristement la mort de l’ami, son aîné d’une dizaine d’années ; la sienne n’allait pas tarder.

C’est sur le rôle que Jean Boccace a joué dans la civilisation que se conclut la biographie de M. Marietti : “C’est d’abord la littérature en langue d’oc et d’oïl qui entre en force dans sa production narrative”   . L’ensemble donne à voir un être tourmenté. Ce brasseur de cultures est un homme qui appartient déjà à la Renaissance. Mais c’est la poésie qui définit selon lui une œuvre écrite en vers comme en prose ; le conteur est un versificateur qui manie avec élégance l’hendécasyllabe, “le grand vers de la poésie italienne”   . Cette étude se lit aisément, plus à la fin qu’au début d’ailleurs où foisonnent les explications historiques. Il était temps d’en finir avec une image réductrice de l’auteur du Décaméron