Une synthèse des modèles et thèses principales concernant la notion d’action, qui n’est pas réduite à un catalogue des approches de l’action.

Nous sommes prévenus d’emblée, par l’auteur : l’ouvrage condense des observations, des expériences, des lectures. Cet auteur, ancien recteur d’académie, professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne, membre de l’Institut, prend pour objet l’action, et l’explore grâce à ces trois sources.

Avant d’entrer dans le thème, soulignons qu’il s’agit bien d’un "précis", ce qui signifie exposé succinct, voire abrégé concernant tel ou tel objet. C’est à cela qu’il convient de penser lorsqu’on explore d’emblée la table des matières de l’ouvrage, ainsi répartie : Diversité de l’action (I), unité de l’action (II), entraves de l’action (III), métaphysique de l’action (IV). En quelque sorte, une démarche tout à fait classique et destinée à éclairer un problème – ici, les caractères universels de l’action – pour un public qui toutefois doit demeurer informé sur le plan universitaire pour suivre le propos de l’auteur.

De l’action donc ? Qu’en est-il ? Suspendons pour l’heure, l’idée de travailler sur le succès de l’action (sur le pragmatisme, si l’on veut), dont on sait qu’il dépend en grande partie de la sensibilité des agents à des croyances, des institutions, et des pratiques. Écartons, de surcroît, l’idée de confondre l’action avec un comportement plus ou moins mécanique ou un geste. De même, il ne saurait être question de l’identifier à un comportement quelconque, d’autant que celui-ci n’a aucun impact sur le cours des choses et ne mérite donc pas le nom d’action, d’autant moins par ailleurs qu’il laisse inchangé celui qui l’accomplit et ne le met aucunement en question.

Ceci précisé, le terrain de la discussion s’éclaire. On parlera d’action dans le seul cas où un événement qui a pour auteur un individu, rompt le cours du temps et constitue à ce titre un commencement. L’action modifie, même de manière limitée, le monde extérieur, change, même légèrement, son auteur, et enfin, révèle des valeurs auxquelles ce dernier adhère, non en paroles, mais par les actes qui les accomplissent.

Forts de cette définition, nous pouvons avancer dans la construction du problème que l’auteur souhaite traiter, au demeurant, moins "qu’est-ce que l’action ?", que le rapport entre le sujet de l’action et la réalité : l’agent, du seul fait qu’il s’aventure, voit et touche une face inconnue de ce qui est, le monde, et ce dernier n’a plus pour lui ni l’aspect ni la consistance qu’il avait avant qu’il entre dans le jeu. On comprend alors pourquoi, à partir d’un tel parti pris, l’auteur récuse les deux approches les plus courantes de l’action, non parce qu’elles sont impossibles (il s’en sert), mais parce qu’elles sont trop unilatérales :
- Le mode dramatique : disons littéraire. La représentation de l’action est en effet constante dans les romans et autres ouvrages. Depuis les Grecs jusqu’à nos jours, la représentation de l’action suscite l’émotion et approfondit d’une certaine manière notre compréhension de l’homme.
- Le mode mathématique, dont l’auteur discourt longuement en prenant, du moins au début de l’ouvrage, Pascal comme modèle de cette approche, le Pascal de l’adresse à Fermat. Il est donc question d’une modélisation mathématique de l’action, édifiée à partir d’un schéma causal qui, à la lumière de l’expérience, et des lois connues, indique comment une situation initiale étant donnée, l’emploi de certains moyens est susceptible de conduire à tel but.

Le premier chapitre reprend l’analyse à partir de la diversité des actions. Il contribue, d’ailleurs, à donner au lecteur une sorte de panorama des écoles philosophiques concernant l’action. Pour restreindre ce compte rendu à l’essentiel, relevons les attributs de l’école française de l’action (dont Maurice Blondel fut un des tenants les plus connus) :
- Un sens de l’opacité des affaires humaines, dite par les auteurs "naturelle", qui requiert par contrecoup un effort de lucidité ;
- Un discernement de l’esprit, constitutif de ses thèses ;
- Un apport spirituel venu d’ailleurs : de la mystique chrétienne souvent ;
- Une connaissance de soi qui ne conduise pas au solipsisme ;
- Une compréhension du rôle du temps dans l’action ;
- Un sens de la composition (des actions) ;
- Un sens de l’histoire ;
- Un sens de la modélisation de l’action (mathématique), pour évoquer un dernier critère retenu par l’auteur (qui en ajoute encore 3).

Tel est l’espace français de l’action, dans lequel l’auteur fait entrer sa propre exploration. On voit comment cette "école" aboutit à faire de la décision le moment le plus crucial de l’action. Cette nouvelle notion, la décision, fait l’objet de nombreux travaux philosophiques. Elle est toujours accompagnée de recherches sur les questions de l’autorité, ainsi que sur les stratégies, les buts et les ressorts de l’action.

L’auteur conduit le même type d’analyse concernant l’école anglaise (elle est vue ici par le regard de Joseph Conrad), ainsi que l’école allemande (vue ici au travers de la trilogie Wallenstein de Friedrich von Schiller et ce héros qui ne cesse d’agir en expliquant les raisons de son action).

Le chapitre II, "Unité de l’action", pose la question de l’existence d’invariants de l’action. Existe-t-il des traits qui se retrouvent dans toutes les actions individuelles et collectives, sans distinction d’époque, de culture, de religion ? L’auteur teste cette hypothèse. Voici le modèle à partir duquel il déploie son analyse :
- Existe-t-il un moule unique de l’action, un ensemble de caractères communs ?
- Les invariants de l’action concernent-ils seulement l’action individuelle ou y a-t-il des invariants de l’action collective ?
- Les valeurs de l’action font-elles partie de la structure de l’action ?
- Quand une action exige une pluralité d’agents, comment agréger les préférences individuelles pour dégager un choix collectif ?
- Quels effets le hasard a-t-il sur la structure de l’action ?
- Y a-t-il des traits nouveaux de l’action qui s’imposent aujourd’hui dans le monde entier ?
- Les invariants anthropologiques de l’action prennent-ils une importance plus grande ?

Pour chaque question, l’auteur apporte des réponses, nous y renvoyons le lecteur. Il reste vrai qu’il n’y a d’action que si une discontinuité se produit dans la cours des événements, que si un agent initie quelque chose. L’action, à cet égard, contribue à une mise à l’épreuve, elle révèle à l’agent de quelle étoffe il est fait. Mais si l’action met l’agent à l’épreuve, son exécution dépend de la structure de l’univers.

En ce point débute une belle étude des mathématiques sociales de Pascal (1654) à Nash (1953). L’intérêt de l’ouvrage est de ne jamais oublier qu’une pluralité d’approches de l’action demeure possible. Le lecteur découvrira dans ce passage l’essentiel de cette modélisation de l’action qui a des conséquences jusqu’à nos jours dans les modèles mathématiques du "sujet rationnel" (par exemple de l’économie).

Venons-en alors au problème des entraves possibles de l’action (chapitre III). L’auteur discerne plusieurs entraves possibles et les regroupe en trois sections (qui pourraient d’ailleurs être complétées). La première section concerne la connaissance du monde : pouvons-nous agir si nous ne savons pas dans quel type de monde nous nous lançons ? Afin de concrétiser son propos, l’auteur s’attarde sur un cas contemporain, le problème des OGM (et par conséquent celui de l’action "pour" ou "contre" les OGM). Il construit, sur cette base, une réflexion classique, qui consiste à rappeler qu’on rencontre deux obstacles à l’action dans toutes les situations de ce type : l’identification des causes des peurs (qui peuvent aussi évidemment cacher des intérêts) ; la proposition de procédures fiables pour tester les technologies récentes (et donc les biotechnologies, si on revient sur la question des OGM). En un mot, l’absence de connaissance fabrique des mythes, et les mythes peuvent susciter des peurs, relativement à l’action.

La deuxième section s’attache au problème en quelque sorte inverse. Celui de la sacralisation de la science, ou encore celui du positivisme le plus répandu de nos jours. Vue par l’auteur, cette question est appréhendée au travers des propositions d’Edmond Husserl. On peut cependant généraliser : il reste vrai que la sacralisation des sciences constitue un autre aveuglement que le précédent, et par conséquent aussi un autre obstacle à l’action, puisqu’on remet toute action entre les mains des seuls savants (on pourrait évidemment traduire cela aussi en termes politiques, ce que l’auteur, malheureusement, ne fait pas). À l’encontre du positivisme, l’auteur prend une position "réaliste" : elle consiste à se donner les moyens de connaître par les causes le déroulement des processus (naturels, pour revenir aux OGM). Il faut donc, affirme-t-il, gagner le pari du réalisme, en analysant les processus.

La troisième section s’intéresse aux "maux de l’âme". On l’a compris, l’action requiert l’individu tout entier, elle lui révèle des forces dont il ne soupçonnait pas l’existence en lui, mais aussi des faiblesses qui risquent de le paralyser. Les affections de l’âme, en ce sens (depuis les phobies et obsessions, donc les pathologies, jusqu’aux mythes, cf. ci-dessus), altèrent le comportement, et par conséquent l’ouverture sur l’action. La vraie difficulté en ce sens, est de comprendre que les maux de l’âme minent la confiance en soi et en autrui. C’est surtout cela qu’il faut retenir dans une analyse de l’action. Si l’on avait entièrement confiance dans un autre, par exemple, on agirait selon sa propre raison et les conseils reçus et l’on guérirait, ou du moins on pourrait agir. De là, les analyses entreprises par l’auteur sur la fonction du thérapeute ou de l’entraîneur.

C’est alors que l’ouvrage se termine sur la "Métaphysique de l’action" (chapitre IV). L’originalité de cette partie de l’ouvrage tient à ce que l’auteur s’y fait moins analytique, comme dans les parties précédentes. Il évite même, par certains côtés, de recadrer sa réflexion par rapport à la tradition métaphysique en son entier. Il va directement à son but, la question de l’art du commencement dans l’action. Commencement et liberté du sujet, sont les deux traits majeurs de cet aboutissement. L’auteur rappelle les éléments fondamentaux du débat : en grec, un même verbe, arkhein, signifie "commencer" et "commander". Seul commence celui qui, parce qu’il est en mesure de commander, réunit les conditions d’un commencement. Ce rappel est nécessaire pour la discussion qui suit (d’ailleurs plus généralement aussi), puisque l’auteur nous conduit alors de Saint Augustin à la question de la communion des saints. La réflexion ne se cantonne pas au religieux. Elle laïcise les termes du débat, afin de faire entrer dans le jeu, la notion d’interaction d’abord, puis celle d’intersubjectivité.

De ce fait, ce "précis de l’action" peut souligner pour la dernière fois que l’action n’a pas lieu hors d’un monde et hors d’un monde social. Les hommes sont faits pour vivre dans des sociétés. Reste, bien sûr, à savoir si ce sont des sociétés ouvertes ou des sociétés closes qui les réunissent (pour évoquer à la fois Bergson, et Popper, qui n’est pas cité).

Que conclure de tout cela ? Comme tout précis, l’ouvrage récapitule en fin de parcours les acquis de sa propre réflexion. Pour qu’il y ait action, il faut donc d’abord qu’il y ait commencement. L’homme doit parvenir à maîtriser la causalité. Il doit saisir la différence de plan potentielle entre les objectifs les mieux conçus et l’exécution de l’action. Il doit comprendre que l’action transforme non seulement le monde extérieur mais ceux qui s’y livrent. Enfin, l’action est, le plus souvent, interaction. Les caractères fondamentaux de l’action apparaissent sous la forme de conditions nécessaires de l’action. Enfin, il n’est pas impossible de recourir à des modèles d’action.

Soulignons à nouveau que cet ouvrage est de facture universitaire. S’il n’est pas difficile à suivre, il implique toutefois la maitrise de connaissances philosophiques. Enfin, il est marqué au sceau d’une théologie de référence qui peut ne pas satisfaire non plus le lecteur.  Autrement dit, il faut garder en tête l’idée selon laquelle on pouvait autour de l’action et des mêmes auteurs disposer d’autres références