Une étude solide et ambitieuse permettant de comprendre les défis auxquels sont confrontées aujourd’hui les bibliothèques universitaires.

Quels peuvent être aujourd’hui le rôle et la place des bibliothèques dans une société marquée par le développement exponentiel des ressources numériques ainsi que par une évolution rapide du rapport au livre et à la lecture ?

Publié sous la direction de Frédéric Saby et de Florence Roche, respectivement directeur et responsable du département du public du SICD2 Grenoble   , L’Avenir des bibliothèques : l’exemple des bibliothèques universitaires tente de répondre à cette question, qui préoccupe tous les professionnels de la documentation, en se concentrant sur le cas des bibliothèques universitaires, dont les problématiques sont sensiblement différentes de ce que l’on peut observer dans les bibliothèques de lecture publique. L’ambition affichée est essentiellement théorique, mais les auteurs se fondent sur une solide expérience du terrain pour étayer leur propos.

Le monde universitaire, et notamment le monde universitaire français, a connu des mutations considérables depuis une quarantaine d’années. Il s’agit, en premier lieu, de la massification de l’accès à l’enseignement supérieur à partir de la fin des années 1960 et de l’évolution du profil des étudiants, qui sont de moins en moins des “héritiers” (au sens de Bourdieu et Passeron) maîtrisant les codes de l’univers académique. Les bibliothécaires, aussi bien que les enseignants, doivent s’adapter à ce nouveau public, souvent désorienté au moment de son entrée à l’université.

En ce qui concerne le rapport à la documentation, d’autres changements sont également intervenus au cours des dernières décennies : l’érosion des pratiques de lecture “traditionnelles” au profit de formes de lecture plus fragmentaires s’est ainsi traduite, dans les BU, par une diminution régulière de l’activité de prêt de documents, tandis que la montée en puissance des ressources numériques, qui peuvent être consultées à distance, pose désormais de manière différente la question du rapport à la bibliothèque en tant que lieu.

Si les fantasmes de disparition des collections papier (voire des bibliothèques elles-mêmes) qui étaient régulièrement exprimés au tournant des années 2000 semblent moins d’actualité aujourd’hui, il n’en demeure pas moins que l’organisation des bibliothèques doit être repensée en profondeur pour s’adapter aux nouvelles attentes des usagers : “La logique ancienne de la bibliothèque, avec ses collections rigoureusement constituées et portées à la connaissance du public par des modes d’accès eux-mêmes rigoureux […], ne répond plus à l’attente spontanée de ce public”   .

Du point de vue institutionnel, le vote de la loi LRU en 2007, suivi de l’accès de la totalité des universités françaises aux responsabilités et compétences élargies (RCE) entre le 1er janvier 2009 et le 1er janvier 2012, possède également des conséquences importantes, dont les effets commencent à peine à se faire sentir. Auparavant, le budget des services communs de la documentation (SCD) et la masse salariale correspondant aux emplois de fonctionnaires affectés dans les BU étaient fléchés. Ils provenaient directement du ministère, qui était l’interlocuteur naturel des directeurs de SCD. Avec les RCE, au contraire, ce budget et cette masse salariale sont gérés directement par l’université de rattachement, qui peut donc être amenée, en fonction de ses besoins, à supprimer certains postes pour les redéployer ailleurs. Cette situation renforce l’implantation des bibliothèques au sein des universités, mais les oblige aussi à rendre compte de leurs activités auprès de leur nouvelle tutelle. Dans un contexte de réduction des dépenses publiques, il leur faut donc, plus que jamais, apporter la preuve de leur utilité en montrant que les services qu’elles offrent répondent aux attentes et aux besoins des publics qui les fréquentent.

Afin de s’adapter à leur nouvel environnement, les bibliothèques universitaires doivent donc placer l’accueil du public au centre de leurs préoccupations. C’est la thèse de l’ouvrage, qui est affirmée avec force à plusieurs reprises : “L’attention au public et à ses attentes, au moment justement où ces attentes deviennent multiformes, complexes, voire contradictoires, va prendre le pas sur les autres fonctions de la bibliothèque, en particulier sur le développement des collections, entendu dans le sens classique et habituel d’accroissement d’un fonds déjà existant”   . Un tel projet suppose non seulement de bien connaître le public cible, grâce à des enquêtes à la fois qualitatives et quantitatives, mais aussi de modifier les représentations que les bibliothécaires se font encore souvent de leur métier et des usages “légitimes” d’une bibliothèque : à côté de la consultation des collections universitaires, la recherche d’un espace de travail, d’un lieu de détente ou d’un endroit où retrouver ses amis, l’accès à Internet ou la lecture de magazines sont autant de besoins auxquels il convient de répondre. Les bibliothèques, en somme, doivent “créer du lien”   .

Cela ne signifie cependant pas qu’il leur faille renoncer à être des lieux de savoir. Au contraire, l’enjeu, pour elles, est d’inventer de nouvelles modalités d’“articulation entre la collection et la bibliothèque”   , en particulier à travers le développement de services aux usagers permettant non seulement de satisfaire les demandes des étudiants et des enseignants-chercheurs, mais également de mieux faire connaître la richesse des collections, aussi bien papier que numériques. C’est à cette condition, et à cette condition seulement, que les BU pourront préserver leur mission humaniste : “Dans ses nouveaux contours, la bibliothèque doit rester ce lieu, hybride, mais unique, d’une transformation personnelle par l’ouverture vers tous les possibles”   .

Clair et documenté, L’Avenir des bibliothèques témoigne du souci louable de replacer systématiquement chaque analyse ou réflexion dans son contexte, ce qui conduit parfois à des redites, mais permet aussi d’envisager tous les paramètres des problèmes soulevés. Bien sûr, certains points pourraient être complétés : le développement des politiques de site, par exemple, qui figure dans la nouvelle loi sur l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), crée pour les structures documentaires de réelles opportunités : grâce à leur tradition de coopération inter-établissements, les bibliothèques sont en effet bien placées pour mener des projets à l’échelle d’un site et bénéficier éventuellement du soutien ponctuel de l’État, comme cela a été le cas en Alsace lors des dernières négociations contractuelles.

L’ouvrage dirigé par Florence Roche et Frédéric Saby n’en constitue pas moins une excellente synthèse des défis que rencontrent aujourd’hui les BU et apporte des éléments de réponse convaincants aux professionnels qui s’interrogent sur la manière d’inscrire leur action dans un contexte en pleine mutation. Les auteurs, répétons-le, ne proposent pas des recettes toutes faites, mais un cadre de réflexion à adapter aux circonstances propres à chaque établissement. Ils n’hésitent pas non plus à aborder des sujets délicats, notamment à propos de l’identité professionnelle de certaines catégories de personnels (magasiniers, bibliothécaires assistants spécialisés) qui seront probablement amenés, au cours des prochaines années, à abandonner une partie de leurs tâches actuelles (qu’il s’agisse de l’entretien des collections en magasin ou du catalogage) au profit de la relation au public.

Pour toutes ces raisons, on ne peut que recommander la lecture de ce livre à ceux qui travaillent déjà en bibliothèque ou à ceux qui se destinent à une carrière dans ce domaine, dont l’avenir, s’il est envisagé avec suffisamment de clairvoyance, sans sous-estimer les difficultés qui ne manqueront pas de se présenter, n’a aucune raison d’être particulièrement sombre