Dans le volume que les Editons Hermann consacrent à la republication d'un recueil de conférences des années 1970 (Art et science : de la créativité, 1970, Paris, 2012), tout un pan de la discussion concerne les rapports entre science et musique. Après avoir discuté de la notion de créativité, les auteurs des conférences se sont concentrés sur des disciplines particulières. Et chacun de travailler la question à partir des mathématiques, de la logique, de l'invention, de la méthodologie, …

Pour rendre compte de l'une des points de vue et de l'une des discussions, nous choisissons donc la musique. C'est d'abord Jean-Claude Risset qui produit une communication fort intéressante sur la question : "ordinateur et création musicale". Pour ceux qui ne connaissent pas le compositeur nous conseillons de se rendre sur Internet et de consulter les éléments mis à notre disposition soit sur le site de Risset, soit sur d'autres sites.

En tout cas, s'agissant de rapprocher (ou non) création scientifique et création artistique, les orateurs en arrivent à une première considération à reconsidérer : il semblerait bien que la création scientifique recherche une continuité, opposée à la notion de discontinuité qu'on trouve dans les arts. On sait que cette considération a d'ailleurs largement évoluée depuis cette époque.

C'est Hubert Jaoui qui voit alors dans la dialectique continuité-discontinuité une convergence avec entre les arts et le développement de la créativité scientifique. Il affirme que la créativité artistique est en train de nier toutes les règles préexistantes, de même que tout un mouvement de créativité scientifique vise à libérer les créateurs de toutes les lois établies, et ceci par exemple par la réunion d'équipes pluridisciplinaires où l'on introduit consciemment des éléments perturbateurs qui ne connaissent pas la règle du jeu, qui jouent faux et qui apportent la nouveauté que l'on recherche.

Et Jean-Claude Risset de répondre : Il est certain que la musique cherche des voies radicalement nouvelles. Mais, ajoute-t-il, je ne pense pas que la démarche scientifique soit vraiment parallèle. Et il complète : je ne pense pas d'ailleurs que la créativité scientifique vise à libérer les créateurs de toutes les lois établies. Le matériau de la création scientifique est moins malléable que celui de la création artistique. En physique, dit-il encore, les nouvelles lois doivent englober les anciennes comme cas particuliers ou comme cas-limites.

Risset se réclame en théorie de Chomsky, et en musique de Xenakis. En référence à ces deux auteurs, il précise que l'utilisation de l'ordinateur en musique force, en tout cas, le compositeur à s'interroger sur les processus qu'il met en œuvre, consciemment ou non. Il lui faut s'interroger sur les processus de méta-composition (notion de Xenakis).

Dans ces passages auxquels nous référons, de l'ouvrage cité et publié par Hermann, nous retrouvons d'ailleurs, aux côtés de Risset et Xénakis, des figures de la musique dont on parle sans doute trop peu de nos jours, au sein des débats arts et sciences : Philippot, Pierre Barbaud, André Riotte, … De Pierre Barbaud, on lira, si l'on veut prolonger cette archéologie : La musique, discipline scientifique, Paris, Dunod, 1968.

Hubert Jaoui reprend alors la parole, pour répondre à cet égard que l'on essaie dans les sciences de dépasser les règles ou les lois précédentes, en les intégrant, à partir d'une domination d'un ensemble de disciplines.

Enfin, pour terminer son exposé, Risset affirme : "l'intervention de l'ordinateur en musique est toute récente. Elle a déjà joué un rôle créateur, permettant que cela soit qui autrement n'eut pas été, et elle promet de stimuler la création musicale, tant au niveau des principes compositionnels qu'à celui de la réalisation sonore". Voici alors la conclusion à laquelle il arrive, pour ceux que désespèrent cette interaction ordinateur-musique : "Nanti de cet acolyte puissant mais neutre, le compositeur aura beau faire participer profondément l'ordinateur ) la genèse de la musique, lui déléguer ses pouvoirs de créateur : il lui restera, plus entière, la responsabilité"

 

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