Outre l'intégralité des écrits sur l'art de Michel leiris, cette édition présente un travail universitaire soigneusement établi par Pierre Vilar.

L´édition qui vient d´être publiée rassemblant les écrits sur l´art de Michel Leiris peut induire en erreur le lecteur mal averti : il ne s´agit pas simplement de l´intégralité de ses écrits sur l´art mais, peut-être avant tout, d´une édition universitaire soigneusement établie par Pierre Vilar, professeur à l´université Paris-Diderot et spécialiste de l´œuvre leirisienne, à laquelle il a par ailleurs consacré sa thèse. Dans ce gros livre de plus de 600 pages s´entrelacent par conséquent deux différentes masses textuelles : d´un coté, les écrits de Leiris, organisés, pour la plupart, en six sections dédiées à Masson, Miró, Giacometti Picasso, Lam et Bacon ; de l´autre, les doctes commentaires de Pierre Vilar, de l´introduction générale (un long essai sur la structure double de l´image chez Leiris) jusqu´à une conclusion qui suit l´ordre des rencontres de l´écrivain avec différentes figures du milieu artistique (peintres, galeristes, critiques), en passant par six autres sections qui, pour chaque artiste abordé par l´ethnologue, proposent des essais où sont étudiées ses spécificités et à auxquels sont ajoutées précieuses indications bibliographiques.

Le pari est amplement réussi. Leiris avait un goût sûr  pour la peinture – surtout figurative - et une écriture qui refusait le double écueil caractéristique des écrits de ce genre : le simple exercice d´admiration ou la grandiloquence qui oublie un peu vite les tableaux pour sombrer dans les joliesses du style, faisant de l´œuvre commentée un simple tremplin pour un beau texte littéraire. Le cliché d´un Leiris autobiographe et nombriliste s’écroule, si besoin en était, à la lecture de ses textes, qui se plient tous à la singularité de chaque artiste et suivent par conséquent un chemin qui leur appartient en propre. Ce regard tourné vers le dehors devient rapidement une passion de comprendre déployée par la force analytique et ostensive de son verbe : sur Francis Bacon par exemple, il écrit véhémentement «Violenter, faire craquer les aspects de surface, recomposer à son gré, n´est-ce pas ici le moyen le plus naturel de faire l´amour avec les choses et de les pénétrer jusqu´au cœur?»   et formule l´hypothèse d´un réalisme supérieur, d´un réalisme non pas de la représentation mais de la présence, catégories qui ont été reprises par Gilles Deleuze dans son fameux ouvrage sur le peintre anglais,   ce qui est un indice extrêmement significatif de la pertinence du Leiris écrivain de l´art.

Pourtant, ce pouvoir de la raison et de l´écriture ne doit pas nous faire oublier que ses textes sont nés en grand part de rencontres dans la vraie vie et qui ont parfois donné lieu à d´étroites amitiés. Cette édition fait la parte belle à tous ses rencontres et Pierre Vilar nous propose en conclusion une très intéressante galerie des figures rencontrés par Leiris : on y voit ainsi se succéder tour à tour le galeriste Kahnweiler, le grand historien de l´art Carl Einstein ou encore Fernand Léger et Marcel Duchamp, aussi bien que les grands maîtres à l´origine du regard de Leiris sur l´art : Goya et Manet. Ce petit panthéon portatif, intitulé « Miroir de la peinture », est esquissé avec grâce par le spécialiste de Leiris sur un fond exhaustif de recherches biographiques et bibliographiques : on y trouve tout, du plus insignifiant déplié d´exposition sur un certain artiste  aux secrets familiaux et aux aventures sous l´Occupation, des liens tissés au hasard des rencontres jusqu´aux affinités électives que le temps a mystérieusement tissées entre certains de ces personnages.

La prose incandescente d´un grand écrivain sur ses artistes préférés, servi par l´étude rigoureuse et minutieuse de Pierre Vilar, voilà en somme ce que recèle cette édition, longuement attendue par les inconditionnels de Michel Leiris