Le 8 mars 2012, la Haute Autorité de Santé a publié ses recommandations " sur le traitement et la prise en charge de l’autisme ". Ces dernières prescrivent des " interventions fondées sur une approche éducative, comportementale et développementale ", et délégitiment les traitements psychanalytiques et psychothérapeutiques de cette maladie en les renvoyant au nombre des " interventions globales non consensuelles ". Cette publication a renvoyé dos à dos les partisans d’une approche comportementaliste de l’autisme, soutenus par la Haute Autorité de Santé et de nombreuses associations de parents d’enfants autistes, et les partisans d’une approche psychothérapeutique. Dans ce contexte, le Docteur Hervé Bentata, chef du service de pédopsychiatrie au Centre Hospitalier de Saint-Denis, favorable aux approches psychothérapeutiques, répond aux questions de nonfiction.fr

Nonfiction.fr - Actuellement, que savons-nous de l’autisme ?
 
Hervé Bentata - Le mot "autisme" a été créé par Bleuler probablement à partir du terme d'auto-érotisme mais avec l'intention de faire disparaître la dimension de sexualité qu'a ce terme freudien. Pour Bleuler, l'autisme constituait un des signes de la schizophrénie. Par la suite l'autisme est devenu une maladie de l'enfant marquée essentiellement par le repli sur soi et les difficultés de communication donc  une forme particulière de psychose de l'enfant  

La maladie autistique a été popularisée par L. Kanner qui en a décrit la forme la plus extrême et précoce. De multiples praticiens et chercheurs des deux côtés de l'Atlantique ont tenté de proposer des étiologies à cette affection ainsi que des modalités de traitement. Les théoriciens et praticiens de la psychanalyse ont amené des contributions multiples et dominantes dans la première moitié du XXème siècle. La pédopsychiatrie européenne et particulièrement française a repris  la part positive de l'étiologie environnementale et l'a intégrée dans une étiologie multifactorielle complexe et dynamisante (non réductrice) tout en développant des structures de soins bien équipées en moyens et tentant d'être au plus près de la population avec la politique dite de secteur. Ces structures de soins ouvertes à l'ensemble des enfants présentant des troubles de la personnalité graves ont promu des soins alliant l'abord psychologique, éducatif, pédagogique et rééducatif. Cela concerne un effort dans le domaine sanitaire alors que le secteur médico-social est resté peu développé et manque de places pour accueillir les enfants qui en relèvent.

Avec la généralisation de la classification américaine des maladies mentales un double renversement s'est progressivement imposé : à la fois le champ de l'autisme s'est largement agrandi faisant rentrer dans son giron toutes les psychoses de l'enfant, les dysharmonies de la personnalité et enfin le syndrome d'Asperger. On parle maintenant de "TED"   et de "spectre autistique". De même la causalité de telles affections a été rapportée de plus en plus exclusivement à des atteintes organiques du cerveau liées à un défaut génétique.

Malheureusement le spectre autistique est devenu cliniquement si vaste qu'il recouvre des cliniques très différentes, hétérogènes et très probablement aussi des causes multiples autant environnementales qu'organiques. Il existe certainement des causes génétiques à l'autisme; mais on ne sait si elles sont les mêmes pour les différentes formes d'autisme. De plus, ces causes suspectées - qui à ma connaissance n'ont jamais été formellement prouvées scientifiquement - sont éminemment complexes car elles font référence à une génétique moderne qui n'est plus une génétique du chromosome ni même directement de gènes mais de modifications croisées sur plusieurs gènes ou sous-gènes. Il s'agit ainsi d'une génétique de susceptibilité : si vous avez ces gènes vous avez un risque majoré d'être atteint par la maladie. De ce fait, d'autres causes doivent êtres réintroduites, des causes d'environnement qui rouvrent le champ des causes toxiques, infectieuses, immunologiques mais aussi des causes de la relation et de l'affect, c'est-à-dire les causes "psy"!

Nonfiction.fr - Les traitements psychanalytique, comportementaliste, et cognitiviste sont souvent présentés en opposition les uns aux autres. Qu'est-ce qui différencie ces approches de l’autisme ? Sont-elles antithétiques ou peuvent-elles s’avérer complémentaires ?

Hervé Bentata - Du fait de l'hétérogénéité de ce que recouvre maintenant le terme autiste, il est difficile de donner des réponses univoques sur quel type de traitement appliquer. Les pédopsychiatres français dans leur ensemble recommandent des prises en charge combinées, une approche "intégrative" et réévaluée en fonction du développement de l'enfant. Il n'y a donc pas à mon avis de traitement psychanalytique de l'autisme  au sens d'une cure classique sur divan et isolée d'autres traitements, mais des prises en charge psychothérapiques (s'appuyant sur les concepts et découvertes psychanalytiques) qui visent à permettre à l'enfant une relation avec l'autre, avec son thérapeute et à réduire ses angoisses  (à travers le plus souvent la médiation d'activités de jeu). Ces thérapies reposent sur le fait que les symptômes des enfants autistes, leurs difficultés cognitives comme leur comportement (agitation, retrait...) ne sont pas purement liés à des déficits mais à des impasses affectives dans leur développement avec des angoisses souvent massives; que ces enfants ne sont pas de pures machines cassées...

Cette idée est basique et devrait constituer un socle commun de consensus mais elle est battue en brèche par les comportementalistes qui cherchent une position hégémonique et excluante de tout autre traitement, se battant contre un adversaire largement imaginaire (la "psychanalyse") et s'appuyant sur des études de résultats statistiques dont on commence à percevoir les limites et les biais scientifiques.

Des approches psychothérapique et cognitiviste de qualité peuvent tout à fait fonctionner en parallèle mais aussi en complémentarité. Elles ne sont pas antithétiques puisqu'elles prennent en compte des aspects différents des enfants ; toutefois il paraît difficile d'adjoindre d'autres approches aux thérapies comportementales puisqu'elles se fondent justement sur l'exclusion de tout ce qui fait la particularité d'une personne, de sa pensée et de ses sentiments.

A ce niveau il faut donc s'opposer aux traitements comportementalistes qui sont particulièrement réducteurs et fonctionnent dans un pur dressage avec récompense et punition. Ils se heurtent ainsi de front aux angoisses des enfants, et aux mécanismes de défense et de protection contre ces angoisses. De ce fait, le traitement comportemental nécessite une forte intensité pour forcer ces défenses et est souvent d'un bénéfice peu durable s'épuisant dès l'arrêt, car allant à contre sens.
De ce point de vue, les traitements cognitivistes sont de bien meilleure qualité puisqu'ils se fondent sur les caractères particuliers de la pensée et de la cognition de l'enfant autiste et vont tacher de mettre en place des apprentissages et des modes de communication en rapport avec ces particularités. Ces traitements me paraissent utiles tant qu'un enfant ne peut pas utiliser le support de la voix et du langage dans sa communication de façon fonctionnelle. (c'est un peu comme proposer à un enfant de compter avec ses doigts tant qu'il ne peut pas compter de tête).

Pour ce qui concerne la prise en charge des enfants autistes, le plus efficient est de différencier les enfants qui peuvent et bénéficient d'être scolarisés en milieu scolaire banal moyennant des aménagements plus ou moins importants, de ceux qui ne le peuvent pas. 

Une intégration scolaire de qualité c'est-à-dire suffisante en temps et avec des moyens d'accompagnement adéquats des enfants pendant les cours, est le traitement de choix. Il doit être complété par les prises en charge nécessaires en individuelle (orthophonie, psychomotricité, psychothérapie) ; comprendre un soutien des parents et des enseignants. Voire de penser à la souffrance de la fratrie pour laquelle la maladie n'est pas sans conséquences psychologiques parfois désastreuses. Mais cela ne peut pas concerner tous les enfants, loin s'en faut. 

Les enfants qui sont trop en retrait du point de vue communicatif   avec souvent de façon associée des difficultés de comportement massives   bénéficient plus d'une insertion dans une institution spécialisée et adaptée à leurs difficultés particulières   . Il s'agit donc d'organiser dans ces institutions un cadre facilitant la socialisation, l'éducation et les apprentissages scolaires auxquels je rajouterai les apprentissages culturels et artistiques. Comme dans le premier cas, on adjoindra autant que de besoin rééducation orthophonique, psychomotricité, psychothérapie.

Nonfiction.fr - La presse, tant généraliste que spécialisée, évoque un retard français quant à la prise en charge des autistes. Le retrait de l’Etat est incriminé,  mais des médias come le Nouvel Observateur se font également l'écho de certaines associations de parents d'enfants autistes en fustigeant la psychanalyse et son hégémonie dans le traitement de l'autisme, principale cause, pour eux, de ce retard...

Hervé Bentata - Certains psychanalystes, probablement loin de la clinique, ont pu croire posséder la vérité de l'autisme et prendre des positions réductrices et excessives. Ce n'est plus le cas depuis longtemps du moins dans le champ que je connais le mieux qui est le service public de pédopsychiatrie.

La psychanalyse tient au plus près de ce qui n'est pas rationnel, scientifique chez l'homme mais qui est pourtant ce qui le meut et l'émeut le plus: amour, sentiment, sexualité, culpabilité... Avoir un enfant malade est une terrible souffrance pour des parents, pourquoi certains d’entres eux refusent-ils de voir aussi la souffrance de leur enfant? Parce que malgré eux ils se sentent coupable de sa maladie. Tout parent se sent coupable de ce qui arrive à son enfant; or cette culpabilité ils l'entendent dans les moindres regards ou paroles des soignants  

Néanmoins, il n'y a pas de traitement souverain de l'autisme; le retard français tient plus au déploiement de moyens suffisants particulièrement de places pour accueillir les enfants autistes en institution, mais aussi de moyens suffisants pour permettre des intégrations scolaires en quantité et qualité suffisantes   .

Je pense que les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) sont catastrophiques. Elles vont à contre sens me semble-t-il de la majorité des avis du corps des pédopsychiatres français. Elles me paraissent  influencées par un lobby anti-psy sous prétexte de scientificité alors qu'il apparait que ce combat pour les méthodes comportementales est en train de devenir un combat d'arrière-garde dans les autres pays qui vont probablement bientôt faire marche arrière sur la validité scientifique et recommandable de telles pratiques ! Ces recommandations de la HAS montrent aussi bien les limites de l'évaluation et du consensus dans le champ de la psychiatrie.

En outre, les conditions offertes par les pouvoirs publics pour mettre en place de nouvelles structures ne permettent qu'à des entités financières importantes de répondre aux appels d'offre pour des créations de nouvelles structures. La petite initiative associative ne peut plus suivre. Les recommandations actuelles de la HAS vont encore accroitre les difficultés puisque elles favorisent les thérapies comportementales, extrêmement couteuses en moyens humains, alors qu'à mon sens des structures moins spécialisées, des instituts médic-éducatifs classiques aménagés font un aussi bon travail voire un meilleur avec des moyens parfois dramatiquement insuffisants.

Enfin, ces recommandations, entérinant l'aspect organique de l'autisme, tendent  à réduire l'importance d'une prévention,  d'une détection et d'une prise en charge précoces de l'autisme qui, nous le savons avec l'initiative Préaut, donnent des évolutions tout à fait intéressantes et durables (avec bien moins de moyens qu'il en faudra par la suite)