Un recueil de 10 articles vient de paraître en anglais, suite à un colloque qui s’est tenu à Paris, en 2003. Son thème : les sciences vues de la rue, au XVIIIe siècle. Plus précisément les auteurs s’interrogent sur les relations des sciences avec le grand public, et à la manière dont ce grand public, y compris les artistes, est fasciné par les sciences. On y découvre des conférenciers scientifiques qui parcourent le pays, et proposent au public de se faire l’observateur momentané des expériences de laboratoire. Les frères Montgolfier, ainsi, proposent de faire monter des ballons dans l’air en dévoilant les secrets de l’ascension.

Ce ne sont pas les savants de laboratoire qui viennent ici en avant, mais les épigones, les demi-savants qui se convertissent à la pédagogie populaire. Et ce sont eux qui rencontrent les peintres et les artistes de tous les coins de France qui, eux, de leur côté, sont avides de connaissances nouvelles, dressés qu’ils sont par la lecture de l’Encyclopédie.

On découvre ainsi, dans cet ouvrage, la vitalité d’un public non spécialisé en science, mais principe constitutif des foules observatrices et curieuses. Et surtout, ce public apprécie la traduction sensible des données scientifiques. C’est d’ailleurs ce pour quoi de nombreux artistes les accompagnent, qui, avec leurs armes propres, vont eux aussi populariser les expériences et les résultats scientifiques. Des gravures, des tableaux vont alors faire pénétrer dans le public toute une idéologie de la science et de la vérité, mais aussi du progrès.

Les auteurs décrivent un Boulevard du Temple, et un Palais Royal dans lequel ces confrontations se réalisent. Bien sûr, le reste du pays n’est pas ignoré. Un des auteurs s’intéresse à un de ces transmetteurs grâce à la pédagogie desquels une certaine idée esthétisée de la science pénètre le corps social. Il est nommé Martin Berschitz. Il passe pour « électricien ». Il se fait itinérant, et donne des séances de confrontation avec les phénomènes curieux et attrayants. Il monte des expériences répétables. Attire des foules. Se lie à des artistes qui en font le portrait avec ses appareils, et répandent ainsi cette image de la science que le XIXe siècle saura faire fructifier.

Un autre auteur rappelle, un peu en marge de ce débat, que le peintre Fragonard était un spécialiste de l’anatomie, et qu’il utilisait pour son public comme pour lui-même des cadavres d’animaux et d’humains. On dispose d’une importante documentation concernant ce peintre, dans ce rôle. Autant dire que Fragonard réunit d’une certaine manière arts et sciences en une même personne, et ceci au moment même de la fracture qui sépare définitivement les deux domaines d’activité. Mais contrairement à d’autres peintres des époques antérieures, qui sont donc les contemporains d’une absence de séparation, Fragonard est contemporain de la séparation et l’assume.

Pour conclure, le volume nous offre des considérations générales sur les rapports des savants et du public intéressé ou cultivé. Les auteurs travaillent à reconnaître ces séparations ou cette division du travail qui ne se contente pas de séparer arts et sciences, mais dans chacun de ces domaines introduit de nouvelles divisions : entre les savants, les pédagogues des sciences et le public, comme entre les artistes, les marchands, les critiques et le public.

Le théâtre du monde est désormais peuplé en quelque sorte d’un théâtre de la science et d’un théâtre de l’art, deux scènes qui se rencontrent, qui peuvent s’épauler, mais aussi s’ignorer, ou qui vont s’ignorer progressivement.

Nous y reviendrons en commentant l’actuelle exposition de la Fondation Cartier (en janvier, en adressant nos vœux à nos lecteurs)

 


* Bernadette Bensaude-Vincent et Christine Blondel (dir), Science and Spectacle in the European Enlightenment, Farnham, Surrey and Burlington, Vt.: Ashgate Publishing Ltd., 2008.