"Pas juste des efforts mais des efforts justes", "la cohérence", "la vérité", "la justice", "le redressement du pays"… Pierre Moscovici maîtrise les éléments de langage censés donner une stature présidentielle à François Hollande. Il durcit même le ton contre Nicolas Sarkozy et sa politique d’insécurisation : "nous ne le lâcherons pas." Alors que François Hollande a rencontré hier les auteurs du Plaidoyer pour une gauche populaire, Pierre Moscovici veut montrer la détermination du candidat à renouer avec les classes populaires et sa grande sérénité face au combat politique qui s'ouvre. Explications exclusives pour nonfiction.fr de sa stratégie de campagne.

 

 

Nonfiction.fr- Pierre Moscovici, commençons par évoquer un instant la primaire, ce moment politique particulier. Selon vous, est-ce que la victoire de François Hollande et la défaite de Martine Aubry résultent d’une bonne campagne du premier, qui a su faire preuve de charisme, ou est-ce que cela relève de structures sociologiques plus profondes, qui disent quelque chose sur la base électorale de la gauche ?

Pierre Moscovici- Sans doute les deux. Je pense que François Hollande a emporté la primaire parce qu’il a su gagner sa liberté et poser un certain nombre d’actes sur ses priorités, qui n’ont pas varié. Très tôt, il s’est emparé du thème de la jeunesse, très tôt, il s’est emparé du thème de l’éducation et de la cause de la jeunesse, très tôt, il a mis en avant la réforme fiscale, très tôt, il a expliqué que les temps étaient difficiles et qu’il faudrait faire des efforts. Pas juste des efforts mais des efforts justes. Je crois en effet que c’est cette liberté- qui n’est pas une distance, puisqu’il a été premier secrétaire du PS pendant onze ans- par rapport aux jeux et enjeux d’appareil qui lui a donné cette force et lui a permis de nouer un lien direct avec les Français. Quand Dominique Strauss-Kahn est sorti du jeu, François Hollande, qui avait su se poser en outsider et avait affirmé sa détermination à être candidat quoi qu’il arrive, est devenu le favori. Il a su rassembler autour de lui, c’est ainsi que des gens comme moi l’ont rejoint. Il a su ouvrir sincèrement ses équipes à ceux qui l’ont choisi alors et ne l’avaient pas soutenu initialement, puisque je suis aujourd’hui son directeur de campagne sans avoir été un de ses partisans de la première heure. Ensuite, il a évidemment tenu le choc. Il a nettement gagné cette primaire parce qu’il a montré qu’il avait l’esprit délié, la "présidentialité" la plus forte, et parce qu’il était davantage préparé que d’autres, alors que la première secrétaire, Martine Aubry, est partie plus tard, même si elle n’a pas fait une mauvaise campagne. Maintenant, il est le leader.

Deuxièmement, François Hollande a tenu un langage à la fois de vérité et de gauche. Il n’a pas caché aux Français la difficulté de la situation, il n’a pas cherché à les séduire par je ne sais quelle promesse. Il a tout de suite dit : "Si nous l’emportons, nous réduirons les déficits publics dans ce pays. La dette est l’ennemie de la gauche. Se désendetter, c’est un enjeu de souveraineté. Il faut retrouver des marges de manœuvre pour agir, financer les services publics etc". C’est donc la première fois qu’un discours mendésiste, un discours de vérité, l’emporte dans une compétition interne au PS, où les confrontations sont d’habitude propices à la surenchère. Cela dit effectivement beaucoup sur l’électorat de la gauche, sur sa lucidité et sa disponibilité pour affronter une période difficile. De la même façon, le débat sur le nucléaire a été structurant dans la primaire, comme il l’est dans la présidentielle. Martine Aubry avait proposé la sortie du nucléaire, François Hollande a revendiqué la fin du tout-nucléaire, ce qui est différent, mais aussi l’attachement à la pérennité de cette énergie. Je crois en effet que c’est un choix très identitaire, la sociologie du vote l’est aussi. J’observe d’ailleurs de manière paradoxale qu’on disait Martine Aubry "plus à gauche" et qu’elle a réalisé ses meilleurs scores dans les centres-villes. François Hollande était plus fort sans doute dans la ruralité et la "France profonde", comme on dit, mais aussi dans les quartiers populaires et ouvriers.

 

"L’électorat de gauche ne se trompera pas. Entre Sarkozy et Hollande, il ne manquera pas une voix, que ce soit celles de Mélenchon, Joly ou les autres."

 

Nonfiction.fr- N’y a-t-il pas un décalage entre cet électorat de la primaire sensible à ce discours mendésiste, de centre-gauche, peut-être social-démocrate, mais somme toute relativement restreint, et l’électorat de la gauche à l’élection présidentielle ?

Pierre Moscovici- "Mendésiste" ne veut pas dire "centre-gauche", mais "social-démocrate" sans doute. Trois millions de votants, c’est un échantillon très large. François Hollande a fait 56%, et même un peu plus, Martine Aubry a fait presque 44%, et le PS s’est rassemblé. Tous les électeurs de la primaire seront derrière François Hollande. J’irai même plus loin : tous les électorats de gauche seront derrière lui, la plus grande partie au premier tour, et la totalité au second tour. J’avoue que les attaques portées par les uns et les autres me laissent de ce point de vue là assez indifférent. L’électorat de gauche ne se trompera pas. Entre Sarkozy et Hollande, il ne manquera pas une voix, que ce soit celles de Mélenchon, Joly ou les autres. En revanche, ce n’est pas leur rôle de participer à discréditer le principal candidat de la gauche, celui qui sera au second tour. Qu’ils utilisent plutôt leur énergie et leur talent face à la droite ! Je n’ai donc pas d’angoisse sur le rassemblement de la gauche. François Hollande ne s’est pas déplacé sur une aile, mais il a occupé ce qui est aujourd’hui le centre de la gauche – et non le centre-gauche. Il n’est pas centriste de gauche, mais central à gauche. Ce qui est sensiblement différent.

 

Nonfiction.fr- Abordons maintenant la phase qui s’est ouverte depuis la fin de la primaire et qui devrait se clore en janvier avec le véritable lancement de la campagne présidentielle. On a une impression de ressac : les candidats à la primaire étaient très présents dans les médias, aujourd’hui, Nicolas Sarkozy remonte dans les sondages. Comment analysez-vous cette séquence politique ?

Pierre Moscovici- Plusieurs remarques. D’abord, ce ressac est un effet naturel. On ne peut pas avoir une vie politique éternellement centrée autour d’un seul parti. Pendant deux mois, les socialistes ont occupé les écrans, pratiquement seuls. A tel point que nous avons accumulé une avance tellement considérable dans les temps de parole qu’aujourd’hui, nous le payons par, sinon une absence, du moins une moindre présence dans les médias. La primaire a été un formidable succès, y compris un succès télévisé. Qui aurait misé sur trois millions d’électeurs ? Je faisais partie des plus optimistes, de ceux qui pariaient sur un million cinq cent mille à deux millions d’électeurs. J’en connais qui disaient de cinq cent mille à un million. Personne n’imaginait plus de deux millions. On s’est retrouvé dans un état de grâce, avec des chiffres qui n’avaient pas de sens. 36%, 39% pour le candidat socialiste au premier tour, ça n’existe pas. Même François Mitterrand l’année de sa réélection n’avait pas de tels sondages. Il y a donc un effet de correction.

 

"Rien n’est atteint. Je suis très frappé par le fait que les fondamentaux sont extrêmement solides."

 

Un deuxième effet a joué : la crise et la mise en scène de Nicolas Sarkozy comme capitaine courageux. Cela l'aide par rapport à l’électorat de droite, je ne pense pas que ça l’aide vis-à-vis de l’électorat en général. Puis, il y a eu l’accord entre EELV et le PS, qui était nécessaire et qu’il faut assumer, même si, reconnaissons-le, la communication n’a pas été parfaite. Au final, rien n’est atteint. Je suis très frappé par le fait que les fondamentaux sont extrêmement solides. Nicolas Sarkozy reconstitue son électorat de premier tour, un peu au détriment du Front National, mais il n’a pas gagné un iota en termes de rassemblement au second tour. Les scores potentiels de François Hollande y tournent toujours entre 57% et 60%. Cela veut dire que l’attente du changement demeure massive, puissante dans ce pays. En fait, je la crois irrésistible. Et François Hollande a bâti avec les Français un rapport très solide. Bref, d’un côté, il y a la résistible ascension de Nicolas Sarkozy- et contrairement à ce que dit Jean-François Copé, parler ainsi n’est pas le comparer à Hitler, c’est juste du français- et de l’autre, il y a les atouts très forts du candidat socialiste, qu’il faut tenir. Cela ne veut pas dire que les choses sont assurées, garanties. Il peut y avoir des resserrements, mais je suis très frappé par l’écart entre une sorte de buzz inquiet, fébrile, et une structure très solide.

 

Nonfiction.fr- Vous êtes confiant parce que vous vous appuyez sur ces fondamentaux. En tant que directeur de campagne, malgré tout, comment gérez-vous cette période assez particulière ?

Pierre Moscovici- L’enjeu des semaines qui viennent est celui de la consolidation. On est sorti du ressac. La correction a été faite. La négociation avec les écologistes est digérée. Quelques fronts ont été ouverts mais on ne va pas vivre là-dessus éternellement. Et l’essentiel pour les Français n’est pas là, il est ce qu’on leur dit sur l'emploi et le pouvoir d’achat, le logement ou la santé... François Hollande est en campagne, il assume sa responsabilité de futur chef de l’Etat. On doutait – ou plutôt on feignait de douter - de sa position sur le droit de veto de la France au conseil de sécurité à l’ONU ? Il a dit de manière très claire qu’il n’était pas question de revenir dessus. Il a dit de manière très claire ce qu’il voulait en matière énergétique. Il poursuit aussi ses rencontres avec les Français, et s’exprime sur les sujets qui les concernent, comme l’industrie et le pacte productif. Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté. Il y a pu avoir des débats, avec Terra Nova ou d’autres. J’ai exprimé à Olivier Ferrand, de manière amicale, mon désaccord sur l’idée de "nouvelle France". Je n’y crois pas du tout. La gauche ne peut pas, ne doit pas se désintéresser du sort des catégories populaires. Ce n’est pas notre seul électorat, mais il est tout-à-fait fondamental.

 

"Nous ramènerons sans arrêt Nicolas Sarkozy à son bilan, nous ne le lâcherons pas."

 

Nonfiction.fr- N’était-ce pas une faute politique de Terra Nova ?

Pierre Moscovici- C’était une erreur, pas une faute. Simplement, je ne suis pas en accord avec cette analyse, car cela n’a pas atteint la conscience profonde du pays. Tout ceci se déroule dans le contexte de la crise, dont il faut sortir et à laquelle Nicolas Sarkozy n’est pas capable de répondre. L’épisode de l’accord avec EELV sera vite oublié. François Hollande avance avec détermination, alors que Nicolas Sarkozy, comme d’habitude, en a trop fait : dans le dénigrement, dans l’autopromotion, dans la brutalité. Nous le ramènerons sans arrêt à son bilan, nous ne le lâcherons pas, car un président qui aime à se présenter comme un grand homme, un chef de l’Etat indispensable ou irremplaçable, mais qui a en réalité aggravé la dette de 500 milliards d’euros et augmenté les impôts de 75 milliards d’euros pendant son quinquennat, dans une situation d’insécurité où il y a plus de quatre millions de chômeurs, et qui est assimilé à l’échec européen, n’a pas de leçons à donner aux autres. Il est peut-être le capitaine, mais alors il est sur le Titanic et il a lui-même troué la coque.

 

Nonfiction.fr- Lorsque l’on regarde l’organigramme officiel de l’équipe de campagne, l’on peine à trouver des hiérarchies claires et efficaces dans le circuit décisionnel. La nature soi-disant consensuelle de François Hollande semble se retrouver dans la composition de cette équipe, certes sans doute subtilement équilibrée, mais peut-être moins à même de constituer la machine de guerre requise pour une campagne présidentielle ?

Pierre Moscovici- Je ne suis pas d’accord avec la façon dont on présente parfois cet organigramme. D’abord, il n’est pas nombreux, il est détaillé. On a mis en évidence ce qui relève des fonctions de campagne : la trésorerie, la logistique, les élus, etc. Au fond, quand je regarde d’autres organigrammes, y compris celui de Nicolas Sarkozy en 2007 ou celui d’autres candidats socialistes dans le passé, je m’aperçois que vous avez quatre porte-paroles, vingt pôles thématiques, le tout paritaire, un directeur de campagne, un responsable de l’organisation, un secrétaire général, un responsable de la communication, un mandataire financier etc. Les présidents des groupes parlementaires sont présents. Ce n’est donc pas une armée mexicaine ni une armée hollandaise. C’est une équipe en fait relativement resserrée qui se présente à certains égards comme un shadow cabinet.

Ensuite, je ne suis pas attaché aux hiérarchies. J’ai présenté cette équipe en tant que directeur de campagne. Dans une campagne, il faut de la verticalité- le directeur de campagne est là pour donner des impulsions et pour animer- mais aussi de l’horizontalité. Nous sommes tous au service du candidat. Je ne conçois pas du tout une équipe de campagne comme une administration centrale, ça n’aurait pas de sens. Est-ce que c’est une machine de guerre ? Oui, c’est une machine en guerre pour l’emporter. Mais pas avec le côté mécanique, brutal, à certains égards déshumanisé, de la droite. Nous ne les envions pas sur ce point-là, il faut qu’on ait notre style aussi. François Hollande insiste beaucoup sur la convivialité et l’esprit d’équipe, ça correspond à son tempérament comme au mien. A gauche, il y a plus d’égalitarisme, en tout cas de respect, y compris dans les relations interpersonnelles. Il n’y a pas de chef de droit divin ou de petit chef qui insulte les autres. Cela ne signifie pas pour autant que nous sommes incapables d’être cohérents ou disciplinés, de parler et d’agir d’une seule voix.

 

"François Hollande a dit la vérité des comptes publics. Cela signifie que son engagement de réduire les déficits publics en deçà de 3% en 2013 sera tenu, je dirais presque quoiqu’il en coûte et quoiqu’il arrive."

 

Nonfiction.fr- Oui, mais cette machine se doit d’être rapide. Par exemple, il a fallu un peu de temps avant que le candidat n’ait une position officielle sur la proposition de référendum de l’ancien Premier ministre grec Papandréou.

Pierre Moscovici- Non, ce n’est pas exact. Nous avons adopté une position immédiate, respectueuse de la démocratie et préoccupée de l'avenir de l'Europe. Ce qui est exact, c’est que la situation a évolué à toute vitesse, notre position aussi. Qui pouvait penser à ce qui arriverait ? Nous avions en tous cas communiqué rapidement notre point de vue.

 

Nonfiction.fr- Quelle sera la place d’Arnaud Montebourg dans la campagne ?

Pierre Moscovici- Comme toutes les personnalités politiques essentielles du Parti socialiste, il sera associé à la campagne.

 

Nonfiction.fr- De quelle manière ?

Pierre Moscovici- Comme un leader consulté, mobilisé, écouté en un mot. Vous aurez l’occasion de voir des déplacements communs, des apparitions télévisées. Ce sera un soutien fort. Nous avons besoin dans cette campagne de l’équipe dont nous parlions, ce que vous appelez la "machine de guerre." Et autour, il faut, de manière classique, un conseil des élus, un conseil politique où se retrouvent les principales personnalités socialistes, Martine Aubry, Laurent Fabius, Ségolène Royal, Bertrand Delanoë… ainsi que nos amis radicaux de gauche, autour de Jean-Michel Baylet. Ensuite, il faudra que tout cela se démultiplie sur le terrain, comme sur les plateaux de télévision, où chacun sait que beaucoup se joue.

 

Nonfiction.fr- Plus spécifiquement sur les thèmes économiques, on sait que François Hollande s’est entouré d’une équipe de haut niveau avec entre autres Philippe Aghion, Karine Berger, Jean-Paul Fitoussi ou des membres des Gracques comme Stéphane Boujnah et Jean-Pierre Jouyet. Dans le contexte actuel, cette équipe agit-elle comme une cellule de crise pour parer au plus pressé ou comme un laboratoire d’idées capable d’avancer des propositions innovantes pour l’après-crise ?

Pierre Moscovici- Les deux. Nicolas Sarkozy est président de la République, il est surtout candidat. Ou plutôt il base sa candidature sur son statut de président de la République. Il dispose de l’appareil d’Etat, il est par définition la source de l’information, il la produit, il l’utilise. C’est plus difficile pour le candidat de l’opposition, il faut de la réactivité, il faut être informé, il faut savoir ce qui se passe pendant tel sommet européen ou tel réunion bilatérale et connaître la situation de différents pays. Donc il est exact que ce groupe, à la fois formel et informel, fonctionne comme une cellule de crise qui a déjà été réunie deux fois en séminaire. Mais il est composé d’économistes de grand talent, qui ont vocation à faire des propositions. La grande difficulté pour avancer des propositions, c’est le caractère extrêmement mouvant de la situation. Qui peut dire aujourd’hui de quoi nous hériterons ? Où en sera la zone euro ? On rentre dans les deux semaines à venir dans une phase tout-à-fait décisive, presque existentielle pour cette zone. Je suis évidemment favorable à la défense de la zone euro, à son existence. Je pense que son délitement ou sa défaisance serait une régression historique considérable. C’est un problème auquel nous sommes confrontés. En mai 2012, est-ce que le triple A existera encore, non seulement formellement mais réellement ? Quelle sera la croissance ? L’OCDE vient de déclarer que ce serait 0,2% l’an prochain pour la zone euro. 0,2%, rendez-vous compte ! Nos propositions doivent donc être à la fois structurelles et adaptables à la situation et à ses contraintes. François Hollande a dit la vérité des comptes publics. Cela signifie que son engagement de réduire les déficits publics en deçà de 3% en 2013 sera tenu, je dirais presque quoiqu’il en coûte et quoiqu’il arrive. Il y a cette double équation, conjoncturelle et structurelle. Et nos propositions pour y répondre, à court, à moyen et à long terme, car nous ne pouvons pas vivre éternellement dans cette crise. Mais il faut faire face à cette situation tellement mobile et mouvante.

 

Nonfiction.fr- Sur la partie structurelle, jusqu’à quel moment peut-on dans une campagne innover intellectuellement et sortir la bonne idée ? N’y a-t-il pas un moment où on arrête, et on défend le programme qu’on a adopté ?

Pierre Moscovici- En réalité on peut innover assez tard, mais il faut donner sa cohérence tôt. La force de François Hollande, c’est justement qu’on connaît sa cohérence. Depuis le début, il dit trois choses qui seront sans doute développées différemment, appropriées par lui et assimilées à lui :

- La vérité : "oui, nous vivons une situation de crise, et oui, il faut faire des efforts pour stabiliser nos finances publiques."

- La justice : il a dit un jour : "il faut donner un sens à la rigueur". Cette expression voulait insister sur le fait qu’il ne s’agit pas juste d’efforts, mais d’efforts justes. Cela concerne la réforme fiscale, un axe structurant, mais aussi l’éducation, facteur essentiel de réduction des inégalités.

- Le redressement du pays, que Nicolas Sarkozy a abaissé dans son rang, sa cohésion sociale et son vivre-ensemble. Le redressement passe notamment par la jeunesse, par un pacte productif reposant sur l’industrie, l’innovation et la transition énergétique.

Vous parliez d’idées nouvelles : je crois pour ma part qu’il faut surtout une très grande constance, ne pas trop varier. L’idée, la proposition de rupture ou de "disruption"- pour parler comme un publicitaire- c’est bien. Mais la cohérence, l’effet de structure- savoir qu’avec François Hollande, on a quelqu’un de rassurant, de rassembleur, de compétent - c’est fondamental.

 

"Il ne faut pas tant la promesse illusoire d'une rupture que de la maîtrise, du contrôle, de la régulation et de l’humanisation de ce système."

 

Nonfiction.fr- Faut-il privilégier cette cohérence dans un moment où l’on sent un besoin de rupture ? Est-ce que François Hollande peut porter une idée de rupture vis-à-vis d’un système qu’on a tendance à vouloir rejeter, et d’un président qui se veut protecteur ?

Pierre Moscovici- Le terme de "rupture" a été galvaudé par Nicolas Sarkozy. Il est vrai qu’il y a une violence, une radicalité, un mécontentement, une insatisfaction dans la société. Les socialistes ne peuvent pas proposer de maintenir les choses de manière immuable. Je suis élu d’une circonscription ouvrière, vendredi dernier, j’étais aux portes d’une usine, Peugeot Scooters, à Mandeure. J’ai ressenti une puissante et sourde colère chez les ouvriers contre une forme de mondialisation et de financiarisation. Il faut tenir compte de cela. Mais il ne faut pas tant la promesse illusoire d'une rupture que de la maîtrise, du contrôle, de la régulation et de l’humanisation de ce système. Ce sont des sujets dont la gauche social-démocrate, socialiste, doit s’emparer. On ne peut pas se contenter d’être dans l’accompagnement. Tout l’enjeu du pacte productif est d’aller au-delà de cette logique de l’accompagnement. Comment relance-t-on l’industrie dans notre pays, en ouvrant des perspectives aux couches populaires et à cet électorat ouvrier dont on sait qu’il lui est arrivé de s’égarer, vers le Front National en 2002, vers Nicolas Sarkozy en 2007 ? C’est un enjeu, non pas seulement électoral, mais sociologique, presque idéologique. Mais nous ne devons pas abandonner le thème de la protection du "made in France" à Nicolas Sarkozy. C’est un thème profondément de gauche. Je trouve d’ailleurs que c’est un thème erroné venant de lui, qui a menti et trahi quasiment toutes ses promesses- "travailler plus pour gagner plus", "le président du plein emploi", "le président de la France qui se lève tôt". Au contraire, Nicolas Sarkozy a donné un formidable sentiment d’insécurité à tout le monde. Il a donné l’impression qu’il se préoccupait de lui-même, pas des autres. Il n’a protégé personne, à part ses amis du Fouquet’s, les plus puissants et les plus fortunés de ce pays. Nicolas Sarkozy n’est pas le président protecteur. La protection sociale, c’est toujours la gauche. La droite, et la droite dure notamment, c’est l’insécurisation. Donc le sérieux, la crédibilité, le changement, la protection, ce sont des thèmes dont nous allons nous saisir. Nous ne les laisserons pas à un candidat président qui les a abîmés, trahis.

 

Nonfiction.fr- En tant que directeur de campagne, y a-t-il une ou deux idées spécifiques que vous comptez défendre personnellement lors de cette campagne ?

Pierre Moscovici- Je suis très en phase avec ce que fait François Hollande. Et je ne suis pas actuellement dans l’affirmation d'une sensibilité. Lorsque je l’ai rejoint au mois de juin, nous avons eu une discussion de fond à ce sujet. J’avais écrit, avec de nombreux amis, un texte que je lui ai adressé. Il en a tenu compte, nos préoccupations sont identiques. L’idée de pacte productif rejoint par exemple le socialisme de la production, ou l’idée d’une offre productive qui se développe, d’une nouvelle compétitivité non pas au sens productiviste mais appuyée sur l’innovation et la connaissance. Cette idée me convient. Au début des années 2000, à l’époque où nous travaillions ensemble, Dominique Strauss-Kahn et moi-même parlions de socialisme de la production. Combattre les inégalités à la racine, c’est aussi une idée qui me convient. Donc je ne suis pas dans un débat de sensibilités, aujourd’hui, je suis directeur de campagne de François Hollande et je me sens, sur le plan intellectuel, parfaitement à l’aise avec lui.

 

Nonfiction.fr- La semaine dernière se tenait à Bruxelles la convention du PSE. François Hollande était absent, ce qui a été vécu comme une déception. Vous qui tenez à l’idée européenne, est-ce que ce n’est pas votre rôle de directeur de campagne d’inciter le candidat à privilégier ce thème ?

Pierre Moscovici- Sur l’Europe, il n’y a aucun problème. François Hollande était hier à Bruxelles, il a rencontré le groupe socialiste européen, le président de la Commission européenne. Il sera dimanche et lundi l’invité d’honneur du SPD, car le lien franco-allemand est fondamental, même s'il ne saurait se confondre avec la relation déséquilibrée entre Angela Merkel, qui décide, et Nicolas Sarkozy, qui suit. Là, il avait une raison majeure de ne pas se rendre à Bruxelles, les obsèques de Danièle Mitterrand. J’aurais aimé que François Hollande aille saluer Poul Rasmussen, qui a beaucoup travaillé, et les autres camarades du PSE. Il l'avait prévu. Mais sa place était à Cluny, avec la famille socialiste.

 

"On ne se renouvelle vraiment qu’au pouvoir. Dans l’opposition, on a plutôt tendance à se translater."

 

Nonfiction.fr- Revenons à la campagne de François Hollande. Il a été premier secrétaire du PS et sait l’importance d’associer Solférino à une campagne et les limites de cette association. Quel sera vraiment le rôle du PS dans cette campagne ?

Pierre Moscovici- En effet, François Hollande a été premier secrétaire du parti suffisamment longtemps, notamment pendant deux campagnes présidentielles, celles de 2002 et de 2007, pour savoir que quand il n’y a pas une harmonie parfaite entre l’équipe du candidat et le parti, c’est très compliqué. On m’objectera que cette configuration est particulière puisque le candidat et la première secrétaire étaient les deux protagonistes du second tour de la primaire. C’est exact. On m’objectera aussi que leurs tempéraments politiques et personnels sont très différents. Qui pourrait le nier ?

Mais nous sommes aujourd’hui rassemblés. Martine Aubry, après sa défaite, a tout de suite pris le cap du rassemblement et elle souhaite, sincèrement, la victoire de François Hollande. Elle conserve sa personnalité, sa façon de faire, sa façon de penser, sa façon d’être. En même temps, je n’ai pas de doute sur sa volonté de contribuer à la victoire de François Hollande. Ce préalable n’est pas inutile. Il est même fondamental, car on a peut-être eu le sentiment à d’autres moments que la situation était plus ambigüe. Nous avons organisé la campagne de façon à ce que nous puissions nous appuyer sur le parti, pour qu’il n’y ait pas deux campagnes mais une seule. Je vais prendre quelques exemples : d’abord, François Lamy, le plus proche collaborateur de Martine Aubry, est dans l’équipe de campagne chargé des relations avec le parti. Il assiste à tout, au conseil stratégique, etc. Ensuite, nous avons déjà fait une réunion avec Harlem Désir - également membre du conseil stratégique - l’équipe de campagne et le secrétariat national. Nous en ferons d’autres. Enfin, toute une série de fonctions est mutualisée : le financement de la campagne du candidat et la trésorerie du parti fonctionnent ensemble au quotidien ; la cellule Internet du parti sera très sollicitée ; le courrier sera rédigé en appui sur le parti ; la chef du service de presse du parti est aussi chargée de la presse du candidat. L’organisation des meetings sera forcément en partie partagée, même s’il faudra que le candidat ait sa propre équipe, son propre ton, sa propre communication et sa propre signalétique. Bref, nous avons bâti une équipe de campagne extrêmement coordonnée et soudée.

Évidemment, on ne peut jamais jurer de rien. Une campagne est une alchimie compliquée, il y a des hauts et des bas, des moments de tensions. Mais j’ai vraiment la conviction que les socialistes, après trois défaites consécutives à l’élection présidentielle, veulent la victoire, qu'ils n'ont pas le droit de décevoir les Français, qui attendent le changement, qu'ils savent aussi qu’une quatrième défaite serait un sujet existentiel pour toute une génération, et même plusieurs générations de dirigeants du PS. Ils auront fait leur temps alors qu’ils estiment être dans leur temps, que ce soit ceux qui ont déjà exercé de grandes responsabilités, ceux qui y ont un peu goûté et ceux qui aspirent à les exercer. On ne se renouvelle vraiment qu’au pouvoir. Dans l’opposition, on a plutôt tendance à se translater. J’ai la surprise d’être parfois considéré comme un jeune, je connais mon âge, j’ai cinquante-quatre ans. Nos quadras sont presque des quinquas ! Et la jeune génération ne pourra émerger que dans la pratique du pouvoir. Sinon, elle pourra prendre des responsabilités dans le parti mais elle ne sera pas crédible. C’est donc un enjeu fondamental. Tout le monde est tendu vers la victoire. Je suis persuadé que cet impératif catégorique de l’emporter, ce que j’avais appelé dans mon livre la "défaite interdite", nous soude et nous soudera, quels que soient les états d’âme, les relations interpersonnelles et même les orientations idéologiques parfois différentes des uns et des autres. 

 

"Vous me demandiez s’il y avait une hiérarchie politique claire dans l’équipe de campagne. Je ne sais pas, mais pour ce qui est de la hiérarchie des problèmes, mon poste est sans doute premier."

 

Nonfiction.fr- Vous dites être totalement en phase avec les idées de François Hollande. Quel est donc l’avenir de "Besoin de Gauche", le courant que vous avez fondé en 2008 ? Ne risque-t-il pas d’être dissous dans le maelström hollandiste ?

Pierre Moscovici- D’abord par définition, une campagne présidentielle n’est pas le moment de l’affirmation des courants. Qui dit courant dit forcément distinction. Qui dit distinction, dans l’univers médiatique où nous vivons, dit forcément perception d'une division. Il n’y aura donc pas de manifestation extérieure de ce courant et je ne souhaite pas qu’il y en ait. Ensuite, il y a eu une très forte osmose pendant la primaire entre les équipes qui accompagnent François Hollande depuis longtemps et celles qui sont à mes côtés. C’est toujours la même charpente pour la campagne présidentielle. En même temps, je suis persuadé que ce courant social-démocrate, après l’élection, aura son rôle, dans l'exercice du pouvoir et dans la vie du parti, qui finira par reprendre ses droits. Il n’est donc pas dissous : j’ai des amis, que je rencontre et que j’assume de rencontrer. Je ne les rencontre que pour les mobiliser pour la campagne, ce qui est important. Mais la vie politique n’est pas un contexte gazeux dans lequel on se dilue. On ne voyage pas seul, si l'on veut durer et peser, ce que je souhaite. Ce courant de pensée et ce groupe amical ont un avenir. Aujourd’hui, je n’ai qu’une préoccupation : nous avons un candidat à la présidentielle, je dirige sa campagne. Faisons donc notre travail et réussissons avec lui.

 

Nonfiction.fr- Vous êtes donc un homme heureux ?

Pierre Moscovici- Directeur de campagne, c’est une drôle de tâche, qui donne beaucoup de satisfactions. Mais le bonheur… c’est pour plus tard, je l’espère. C’est un travail écrasant, avec des côtés gratifiants, mais aussi des aspects ingrats. Il faut traiter tous les problèmes, de toute nature, des plus conceptuels aux plus opérationnels – ces derniers étant essentiels et même premiers. Vous me demandiez s’il y avait une hiérarchie politique claire dans l’équipe de campagne. Je ne sais pas, mais pour ce qui est de la hiérarchie des problèmes, mon poste est sans doute premier. Je ne m'en plains pas : je l'ai voulu, j'en suis fier, et cette responsabilité me passionne. François Hollande m'a choisi pour remplir cette mission, je lui en suis reconnaissant, je veux être digne de sa confiance, et l'aider à gagner

 

* Propos recueillis par Nicolas Leron, Aziz Ridouan et Pierre Testard.