[Plastik] est la revue en ligne du Centre d’études et de recherches en arts plastiques (CERAP) de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. L’objectif essentiel de cette publication est la mise en valeur des deux postures cardinales, création et recherche, telles qu’elles s’entrelacent, se contrarient ou se déploient dans le travail des plasticiens. La revue est conduite par Richard Conte, Olga Kisseleva, Farah Khelil, Marion Laval-Jeantet.
Son n° 2 porte sur la question des arts construits autour du monde vivant (bio-art, body-art, art environnemental…). Cette question est aujourd’hui considérablement orientée par des travaux conçus autour du préfixe " trans- ". Dans ce numéro, elle est présentée à partir de 5 déclinaisons du " trans-" :
- Le transgénique, avec les applications au domaine artistique de la biologie par Eduardo Kac, par exemple, sur le GFP, protéine fluorescente verte qu’il transmet à des souris, ou encore sa création d’Edunia, un pétunia porteur de fragments de son ADN.
- La transmutation, avec les fabriques de vêtements de poupées grâce à des cultures de cellules de Mc Coy par TC&A project.
- La transgression vis-à-vis de l’éthique contemporaine, ce qui pourrait s’appliquer aux deux exemples précédents, mais tout autant à des expériences plus performatives, telle que Bleu de Yann Marussich, performance dans laquelle il exhale du bleu de méthylène par tous les pores de sa peau dans un caisson de sudation, quand la substance est déclarée dangereuse à l’ingestion par son fabricant même.
- La transmission est aussi omniprésente dans les pratiques artistiques autour du vivant, comme on peut le voir à travers des œuvres telles que The cosmopolitan chicken project de Koen Vanmechelen, dans lequel ce dernier tente de produire la poule génétiquement universelle en mariant chaque saison des poules d’origines différentes pour obtenir, d’ici quelques dizaines d’années, le métis absolu de poule.
- La transversalité et la transdisciplinarité, processus obligés par lesquels passent ces artistes pour arriver à leurs fins : une compréhension différente du monde vivant par une analyse conjointement artistique et scientifique.
L’un des points centraux de ce numéro porte sur le constat suivant : les artistes qui s’intéressant au monde vivant s’éloignent de plus en plus des notions de reproductibilité du réel pour expérimenter la transformation de ce monde. Ce type d’art semble rechercher un dépassement des critères de la représentation, et peut-être même de la conception du monde vivant, à travers une confrontation expérimentale quasi-obligée au réel.
Dès lors, la question de la définition de l’artiste comme auto-expérimentateur se pose presque immédiatement. Jusqu’où ce dernier est-il prêt à expérimenter sur le vivant et en particulier sur lui-même, pour arriver au dépassement d’une nouvelle frontière de représentation artistique ?
A quoi s’ajoute une série d’interrogations fort bien synthétisée par Marion Laval-Jeantet : " Dans la recherche d’un art transformateur lié au monde du vivant, il nous semble en effet essentiel de nous interroger sur la place du créateur perpétuellement amené à repenser ses expériences, afin de permettre au spectateur d’appréhender un monde vivant lui-même en transformation. Ainsi, comment l’artiste envisage-t-il de s’adresser au spectateur dans une œuvre sur le vivant qu’il est le premier être vivant à expérimenter ? L’expérimentation comble-t-elle ou aggrave-t-elle le fossé de la compréhension de l’œuvre par le spectateur ? Comment le spectateur se sent-il convoqué par ces modes opératoires ? "