Une porte ouverte sur la foultitude d’initiatives qui, du Québec à la France en passant par les Etats-Unis, réinventent le système alimentaire, c’est-à-dire la façon de produire et consommer notre alimentation. 

Une agriculture qui goûte autrement. Dès le titre, Hélène Raymond et Jacques Mathé donnent le ton. Ce livre ne parle ni d’agriculture ni d’alimentation. Il s’intéresse à l’ensemble de notre système alimentaire, autrement dit, à la façon dont nous produisons et consommons notre alimentation. Et pas sous la forme d’une "leçon de choses" mais d’une invitation.

Dans la première partie du livre, les deux auteurs proposent leur histoire de l’agriculture et de l’alimentation. Ils mettent en perspective des grandes dynamiques du système alimentaire (modernisation et spécialisation de la production, concentration et massification de l’offre) les initiatives alternatives au Canada, aux Etats-Unis et en France. Force est de constater que cette partie de l’histoire, nous échappait, et en particulier le retournement de ces dernières années et le fourmillement d’initiatives alternatives en Amérique du Nord. A travers cette approche originale, nous découvrons tous les mouvements que l’histoire passe sous silence comme, par exemple, où et comment émerge l’agriculture biologique en France et au Québec, la naissance de la Community Supported Agriculture (CSA) aux Etats-Unis, la mise en place d’une politique de préservation des espaces agricoles à Long Island, etc. Cette partie se termine en venant clarifier et illustrer plusieurs concepts et dynamiques comme les "produits fermiers", les circuits courts de commercialisation, les points de vente collectifs, les fameux tekkei japonais, les Gruppi di Acquiso Solidale (GAS) italiens, les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) en France, le mouvement international Slowfood. Le lecteur en sort secoué. Plus question de percevoir alimentation et agriculture de façon dissociée. Les clichés sur l’agriculture et l’alimentation industrielle d’Amérique du Nord sont battus en brèche. La fierté de la gastronomie française et des mouvements alternatifs tels que les AMAP s’estompe devant l’ancienneté et l’ampleur des GAS Italiens et des CSA américains. Bref, comme le souhaitent les auteurs, "distances et préjugés s’atténuent".

La deuxième partie donne la parole aux territoires sous la forme de brèves qui brossent le portrait de différents projets dans leurs différentes dimensions, sociale, économique, culturelle… Au fil des pages, nous découvrons la diversité des formes de partenariat entre producteurs et consommateurs, le combat de certains états d’Amérique du nord pour transformer le lait cru et donner naissance à une kyrielle de fromages, la relance du porc basque qui permet à une vallée pyrénéenne des densités d’exploitations agricoles exceptionnelles, un territoire canadien qui concentre ses efforts autour du développement de produits sous signes officiels d’identification de l’origine et de la qualité, la dynamique du marché de Portland qui en concentrant les initiatives alimentaires génère des synergies, la fabuleuse histoire du comté contée par chacun de ses acteurs, producteurs bien sûr, mais aussi fromagers et affineurs, la résistance alimentaire du Vermont qui permet à l’Etat de se construire une véritable identité fromagère… Ces histoires sont ponctuées d’interviews de penseurs du territoire qui illuminent le récit de leurs visions qui, l’air de rien, donnent à réfléchir : "Le consommateur veut savoir ce qu’a mangé ce qu’il mange", "L’assiette est le dernier espace de liberté", "Les agriculteurs sont producteurs de solidarité". Ils mettent ainsi en exergue ce qui lie ces projets : l’Homme. Manger devient rencontrer quelqu’un.

Finalement cet ouvrage est à la fois un livre de recettes, ou plutôt d’ingrédients, un guide de voyages, un livre d'histoire, un recueil de contes. Un mélange qui laisse la possibilité au lecteur de l’aborder comme il le souhaite et de picorer ce qui l’intéresse, et ce d’autant plus facilement qu’il est richement illustré d’exemples et de photos.

Mais toutes ces initiatives, que l’on peut découvrir indépendamment, ne sont pas isolées. On comprend qu’elles interagissent, qu’elles s’inspirent entre elles. Ce livre est donc aussi une ode. Une ode à la mondialisation culturelle, au libre échange des hommes et des cultures pour lutter contre ce que Lévi-Strauss appelle la monoculture : "L'humanité s'installe dans la monoculture : elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave." Non ! semble répondre André Valadier, fondateur de la coopérative Jeune Montagne, qui est interviewé par les auteurs. "L’universalité n’appelle pas l’uniformité". En rassemblant toutes ces initiatives, les auteurs font plus que présenter, avec beaucoup d’enthousiasme, une myriade de belles histoires. Ils mettent en lumière un véritable mouvement de fond au service d’une vision moderne du système alimentaire qui ne verse pas dans la nostalgie d’un temps passé