Un confrère disparaît, un autre nait : entre deux chroniques sur le thème "Arts & Sciences", Christian Ruby revient sur le premier numéro de la Revue des Livres qui succède à la Revue internationale des livres et des idées.


A l’heure de la publication de ce compte-rendu, la fête sera passée depuis quelques jours. Il n’empêche, le comité de rédaction de cette nouvelle revue (coordonné par Jérôme Vidal) aura invité les personnes informées à un apéro-rencontre (Paris, Générale Nord-Est) avec les membres du collectif éditorial. Il aura ainsi eu l’occasion de signaler que cette nouvelle entreprise intellectuelle et culturelle se dote aussi d’un site, sur lequel d’autres textes sont publiés, en marge de ceux que la revue papier contient.

Pour le lecteur curieux des sources et de la provenance de ses lectures, précisons que le comité éditorial de RdL est composé de : François Athané, Sarah Benabou, Aurélien Blanchard, Félix Boggio, Ewanjé-Epée, Christophe Bonnuil, Marion Duval, Clémence Garrot, Oury Goldman, Joséphine Gross, Thomas Hippler, Laurent Jeanpierre, Razmig Keucheyan, Stéphane Lavignotte, Elisabeth Lebovici, Laurent Lévy, Alexandre Mouawad, Charlotte Nordmann, Germinal Pinalie, Helène Quiniou, Alice Le Roy, Jérôme Vidal, Julien Vincent, Giovanna Zapperi, Najate Zouggari.

L’Editorial de ce premier numéro donne les orientations majeures du chantier ouvert, à partir du parti pris qui consiste à consacrer pratiquement l’entièreté du numéro à des comptes-rendus de livres, associés à un grand entretien et des rubriques régulières. Ces orientations se construisent à partir de l’exploration du monde des idées, des essais et des interventions politiques en cours de publication, au moment de chaque parution (tous les deux mois).

Mais bien au-delà de cet engagement, le collectif éditorial sait parfaitement intervenir en cette nouvelle période de conflits, de luttes et d’affrontements, dont il est persuadé qu’y "germe une inouïe diversité de projets politiques". En quelques phrases la position est prise : "Cette période de turbulences est aussi un moment d’ouverture du champ des possibles. On entrevoit l’apocalypse sous la forme d’un effondrement du système économique, de la guerre civile mondiale ou des catastrophes écologiques. Simultanément, ce qui paraissait inimaginable il y a peu devient nécessité de pensée. Nous sentons, nous savons qu’il n’y a pas d’autre choix que d’inventer des alternatives. Il est temps d’expérimenter de nouvelles formes de vie, de déclarer de nouveaux droits, d’écrire de nouvelles constitutions."

Il n’est pas difficile alors de noter que la revue prend position, globalement, à gauche, en termes politiques, cherchant par là à amplifier une pensée critique par une présence dans l’espace public, ainsi qu’à nourrir le débat public par de nouveaux questionnement, de nouveaux champs de recherche, et l’émergence de propos originaux qui ne se contentent donc pas de répéter les informations déjà disponibles.

Ce premier numéro s’ancre donc dans un temps de turbulences. Il porte l’ accent sur quelques thèmes centraux : la ville – cette question fait l’objet du débat d’entrée, entre Eric Hazan et Bernard Marchand –, les révoltes arabes, l’économie, la littérature, les Science studies... La logique des agencements relève, il est vrai, de l’actualité éditoriale. Néanmoins, des lignes de force se dessinent, qui ne sont pas seulement le fruit du hasard. Particulièrement, l’insistance sur le regard critique à porter sur ces thèmes, à condition toutefois que cette critique soit aussi portée par les "acteurs" sociaux. Qu’il s’agisse de l’histoire de Paris (Eric Hazan), de la misère de l’économie du développement (Abhijit V. Banerjee) ou, par exemple, de la notion d’Agency (Jérôme Vidal), il est clair que les transformations en cours dans la fabrique de nos sociétés imposent de focaliser son attention sur un ensemble de problèmes qui se posent aux politiques d’émancipation aujourd’hui.

Il est non moins important de souligner que les comptes-rendus sont associés, avec force présence, à une iconographie d’Arnaud Crassat, peintre et typographe qui n’est pas sans conférer à l’ensemble une unité de ton, rapportée au livre en général plutôt qu’aux sujets en cours. Les arts plastiques ou visuels ne passent plus seulement pour des suppléments d’âme, mais peuvent eux-aussi apporter leur contribution à la pensée.

Moyennant quoi, une question traverse le projet, qui sera finalement traitée au fil des numéros : est-ce que la pensée critique du monde actuel entre dans une nouvelle époque ? Question décisive ! Elle est rapidement traitée dans quelques articles, mais encore à partir du statut des minorités. Irons-nous plus loin ? Prendre acte d’un tournant, si tel est le cas, devrait alors signifier qu’une nouvelle conceptualisation du monde est possible, qui ne se contente pas de répéter les concepts déjà fort usés de la critique antérieure. Sachant que ces conceptualisations sont porteuses de nouveaux savoirs et forment des foyers de sociabilité inédits, nous allons pouvoir observer comment ils s’incarnent dans la RdL