Xavier Gabaix est professeur de finance à la Stern School of Business de New York University (NYU). Il a remporté en 2011 le prix du meilleur jeune économiste, décerné par Le Cercle des Economistes et Le Monde. Il répond ici aux questions de nonfiction.fr dans le cadre d’un dossier consacré aux nouveaux économistes français.

 

Nonfiction.fr- Pouvez-vous nous rappeler brièvement votre parcours universitaire et professionnel ?

Xavier Gabaix- J’ai fait des mathématiques à l’ENS Ulm, et ai appris l’économie à l’Ecole d’économie de Paris. De 1995-1999 j’ai fait mon PhD à Harvard. Apres j’ai enseigné l’économie au MIT puis à New York University, avec de brefs passage à Chicago et Princeton.


Nonfiction.fr- Quand et comment avez-vous décidé de devenir économiste ?

Xavier Gabaix- A l’ENS j’aimais les mathématiques, mais aspirais à quelque chose de plus concret. Mes cours d’économie à l’EEP ont été une révélation. Les questions étaient si intéressantes, et les réponses si incomplètes et souvent non convaincantes. J’ai senti qu’il y avait beaucoup à faire en économie, que nous étions encore au premiers pas de cette discipline. Un peu à l’époque de Pascal et Fermat qui résolvent des questions élémentaires de probabilités qui confondaient le chevalier de Méré. Tant est à faire.


Nonfiction.fr- Quels ont été vos maîtres à penser et en quoi le furent-ils ?

Xavier Gabaix- A Ulm, Daniel Cohen a eu une grande influence sur moi (comme sur la plupart de mes condisciples) : si rapide, si lumineux. Apres, David Laibson, Robert Barro, Paul Krugman et Andrei Shleifer et ont une grande influence : ils produisent des modèles simples et éclairants.

 

Nonfiction.fr- Sur quoi portent actuellement vos travaux ?

Xavier Gabaix- Sur la rationalité limitée. C’est ma quête : comment modéliser le fait que les individus n’ont qu’une compréhension limitée de leur monde ? Qu’ils simplifient la réalité, souvent d’une manière très crue, ce qui mène a des erreurs importantes ? Récemment, j’ai fait des progrès sur cette question, ce qui rend mes jours intenses et allègres.


Nonfiction.fr- En tant qu’économiste, quel rapport entretenez-vous avec l’écriture ? Pourquoi les économistes écrivent-ils souvent à plusieurs mains ?

Xavier Gabaix- C’est plus souvent amusant et éclairant: mes coauteurs m’ont beaucoup apporté et appris. Aussi, quand il y a une bonne division des tâches, c’est matériellement très utile d’avoir des coauteurs. Par exemple j’ai travaille avec des physiciens. Nous cherchions des "lois universelles », des fluctuations financières, et a modéliser leur cause (les travaux ont été publiés dans Nature en 2003). Les régularités dans ce domaine sont surprenantes. Là, l’interdisciplinarité était très utile.

Pour certaines questions en revanche, quand il y a des décisions de modélisation complexes à faire, il est plus efficace d’écrire seul.


Nonfiction.fr- En quoi vos travaux peuvent-ils expliquer les évolutions actuelles de l’économie mondiale ?

Xavier Gabaix- J’ai beaucoup travaille sur l’irrationalité et sur les événements extrêmes (avec les physiciens) : le risque de catastrophe semble bien une force centrale dans les mouvements financiers et macroéconomique.


Nonfiction.fr- Que pensez-vous de ce courant de pensée selon lequel la science économique subirait une crise systémique, provoquée notamment par son incapacité relative à prévoir la crise de
2008 ?

Xavier Gabaix- La crise a été salutaire pour l’économie. Elle a donné une conscience plus aigüe à beaucoup de gens que certaines imperfections (financières, cognitives) étaient centrales.


Nonfiction.fr- Y a-t-il une particularité de l’école française de l’économie, si tant est que cette dernière existe réellement ?

Xavier Gabaix- Peut-être le goût des modèles bien écrits qui en même temps éclairent le monde.


Nonfiction.fr- Que penser de l’apport de l’économie expérimentale à la réflexion économique plus
traditionnelle ?

Xavier Gabaix- C’est très utile : l’économie "comportementale" (où je suis – l’économie qui modèle l’irrationalité) et expérimentale permettent de rendre l’économie plus saine et scientifique.

Nonfiction.fr- Pouvez-vous nous dire en quoi l’économie, et plus précisément la recherche économique, n’est pas qu’une matière théorique et technique : comment touche-t-elle la vie de tous ?

Xavier Gabaix- Sur une échelle de temps long, elle (et les cataclysmes du monde) détermine les choix et vision du monde majeurs des individus et sociétés : le marché, l’individu, le gouvernement, quelle est la meilleure répartition des tâches ? Nos économies devraient-elles être ouvertes au monde ?

Mais aussi, plus profondément, quelle est la bonne société ? L’économie apporte beaucoup, surtout en donnant une vision plus pessimiste (le modèle d’homo economicus égoïste) de la bonté de l’homme individuel et plus optimiste a l’échelle des sociétés (la compétition entre les buts et les idées mène à la prospérité, malgré bien sûr les combats et les pertes qui la ponctuent)


Nonfiction.fr- Les économistes doivent-ils avoir un rapport au politique, l’homme comme le concept ?

Xavier Gabaix- Ils doivent analyser et préparer les idées, même contre-intuitives et désagréables. Ils doivent être indépendants des puissants de gauche et droite.


Nonfiction.fr- Quels sont vos rapports avec le monde politique ?

Xavier Gabaix- Je suis comme un philosophe contemplatif. Je suis membre du Conseil d’Analyse Economique, qui est heureusement dans sa mission un organisme technique et apolitique.


Nonfiction.fr- Quels seront, ou quels devront être, les grands sujets de politique économique à aborder lors de la campagne présidentielle, et après 2012 ?

Xavier Gabaix- Hélas, les mêmes qu’avant, qui n’ont que superficiellement été traites : retraites, grands équilibres, éducation. Idéalement aussi, donner à la population de l’optimisme réaliste (le monde est dur, mais progressivement meilleur), plutôt que le pessimisme de la faiblesse perçue

 

 

Propos recueillis par Pierre Testard.

 

* A lire sur nonfiction.fr : notre dossier sur les nouveaux économistes français.