Julien Bernard, membre de la commission numérique du Parti de Gauche, répond aux questions de nonfiction.fr sur la réflexion de son parti sur le Web.


Nonfiction.fr- Avez-vous un groupe de travail spécifique sur les questions numériques au Parti de Gauche ? Quels sont vos axes de travail prioritaires ?

Julien Bernard- Oui, nous avons une commission numérique qui s'occupe des questions relatives au numérique au sens large. Nous abordons une multitude de thèmes dont le statut et le partage de la connaissance ("propriété intellectuelle", brevets, droit d'auteur, licence libres...), le logiciel libre, l'égalité d'accès au réseau, la neutralité du net, les formats ouverts, les échanges culturels en pair-à-pair, le vote électronique, la biométrie, la protection de la vie privée, le droit à l'anonymat, etc. Nous n'avons pas vraiment de priorité, nous considérons tous ces sujets importants, nous essayons d'avoir une vue d'ensemble. Pour nous, Internet doit avant tout être un outil d'émancipation pour les citoyens, c'est notre ligne directrice.


Nonfiction.fr- Le printemps arabe a-t-il accéléré ces réflexions ?

Julien Bernard- Pas du tout. Nous considérons que l'impact d'Internet (et des réseaux sociaux en particulier) dans les révolutions en Tunisie et en Égypte a largement été exagéré. En Égypte, par exemple, Internet a été coupé trois jours après le début de la révolution. D'autre part, nous n'avons pas attendu ces événements pour nous intéresser à la question du numérique. Nous avons la chance d'avoir dans nos rangs Martine Billard qui a été en tête du combat contre DADVSI et HADOPI à l'Assemblée nationale.


Nonfiction.fr- Qu'est-ce qui vous distingue du Parti socialiste et d'autres partis de gauche français ? Quelles sont les différences notables dans les programmes, mais aussi et surtout dans la conception que vous avez d'Internet et des nouvelles technologies ?

Julien Bernard- Nous considérons qu'Internet n'est pas une télévision améliorée mais peut devenir un instrument citoyen, à condition de s'en donner les moyens. Nous proposons donc de nationaliser la bande passante, c'est-à-dire de créer un service public chargé de déployer un Internet de qualité et neutre partout en France. Les opérateurs privés ont montré qu’ils n’en étaient pas capables (la qualité, comme la neutralité). C'est une condition nécessaire. En outre, un service public pourrait appliquer un tarif social de manière à favoriser l'accès au plus grand nombre et permettre ainsi à chacun d'une part d'accéder à toutes les connaissances qui se trouvent sur Internet, d'autre part de participer à cet espace citoyen ouvert à tous. Dans la tradition du matérialisme historique, nous ne considérons pas qu'Internet est un simple outil mais qu'il permet de forger une certaine représentation du monde chez ses usagers.


Nonfiction.fr- Pensez-vous que la priorité du politique sur Internet soit de le développer en tant qu'espace démocratique et de liberté, notamment d'expression, ou qu'il faille avant tout chercher un moyen de le réguler ?

Julien Bernard- Nous pensons qu'il est important de le développer en tant qu'espace de démocratie et de citoyenneté, de faire des usagers d'Internet des acteurs éclairés de leur vie numérique (et au delà) et pas seulement des consommateurs passifs aux clics compulsifs. Mais il ne faut pas oublier qu'Internet n'est pas une zone de non-droit, et sans vouloir aller jusqu'à le "réguler", mot dont il faudrait préciser le sens, les lois de la République s’appliquent aussi sur Internet.


Nonfiction.fr- Que pensez-vous des récentes initiatives prises par Nicolas Sarkozy sur le numérique comme l'e-G8 ou le Conseil national du numérique (CNN) ?

Julien Bernard- Nicolas Sarkozy n'envisage Internet que de deux façons : comme un repaire de criminels en puissance ou comme un vaste centre commercial. Nous ne partageons aucune de ces deux visions. Internet ne doit pas être subordonné aux désirs des industries du divertissement ou des marchands en tout genre, mais répondre en priorité à l'intérêt général.


Nonfiction.fr- Pensez-vous qu'il faille au sommet de l'Etat un conseil qui s'occupe exclusivement des questions liées au numérique et à Internet ?

Julien Bernard- Nous ne sommes pas pour la multiplication des instances du type CNN qui n'ont aucune légitimité ni aucun pouvoir, donc sont complètement inutiles. Nous préférons un service public piloté et contrôlé par des citoyens élus et éclairés. Et c'est possible, les techniciens et ingénieurs de qualité prêts à s'investir dans ce genre de mission ne manquent pas en France.


Nonfiction.fr- Quelle est votre position sur les free softwares ? Pensez-vous que ça soit un modèle viable et souhaitable ?

Julien Bernard-  Nous nous retrouvons totalement dans les valeurs véhiculées par le logiciel libre. Nous le voyons comme une démarche de production coopérative et d'éducation populaire ainsi que comme une condition nécessaire au développement de la société de l’information, au partage des connaissances et à l'émancipation des citoyens. En outre, le logiciel libre est un élément indispensable pour la maîtrise de l'outil informatique, notamment dans les administrations, les services publics et les collectivités territoriales. Ensuite, si un modèle viable (économiquement et socialement) existe, tant mieux. Mais il ne sera sans doute pas nécessaire à la pérennité des logiciels libres.


Nonfiction.fr- Votre tradition politique, étatique, n'est-elle pas un peu contradictoire avec Internet, dans son essence même d'espace de liberté de la parole et de la circulation des opinions, informations, etc. ?

Julien Bernard- C'est sans doute parce que nous ne sommes pas "étatiques". Nous sommes issus à la fois du socialisme historique et de l'écologie politique. Notre boussole est donc l'intérêt général et notre objectif est l'émancipation citoyenne qui permet de s'affranchir de nos préjugés et de placer la raison au cœur des décisions politiques. Pour cela, il est nécessaire d'avoir des espaces où l'information circule, où les citoyens échangent sur les diverses solutions, où la décision se dessine librement à l'abri des pressions. Internet doit faire partie de ces espaces. Et il n'y a donc aucune contradiction.


Nonfiction.fr- Pensez-vous que le numérique soit sujet aux clivages politiques ? Conçoit-on le numérique différemment à gauche et à droite ?

Julien Bernard- Nous ne pensons pas le numérique indépendamment du reste du monde, au contraire. Il est donc soumis aux mêmes divergences de vue que n'importe quel autre sujet. Il ne s'agit pas chercher les différences là où il n'y en a pas, mais juste de constater que nous sommes les seuls à aborder la question de la citoyenneté sur Internet de manière aussi centrale. Internet doit devenir un outil qui permette une appropriation par les citoyens des notions fondamentales et la construction des représentations mentales opérationnelles, dans des démarches fondées sur les concepts et non des "recettes" , contribuant à former des usagers "intelligents" et non "presse-boutons"

* Propos recueillis par Clémence Artur. 

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