La gestion de la crise nord-africaine par les États-Unis semble donner raison aux penseurs et stratèges néoconservateurs. Relégués au second plan, depuis un an, par les Tea Party après des années triomphales sous G.W. Bush, ils reviennent en grâce au sein du Parti Républicain. Et retrouvent la lumière médiatique, à la faveur des événements géopolitiques du moment. Leurs articles et éditoriaux dans la presse, sur leurs blogs et sur les sites Internet de leurs think tanks appellent tous la diplomatie américaine à s’engager en faveur des soulèvements populaires et contre les dictatures. Certains, comme Robert Kagan, ont même l’oreille du Président. Leur position sur le monde arabo-musulman rejoint ainsi celle de la Maison Blanche. Ou du moins celle que la Maison Blanche a fini par adopter il y a trois semaines.

De fait, B. Obama, qui, lors du grandiloquent discours du Caire de 2009, avait assuré les peuples arabes et musulmans de l’amitié des États-Unis, ne pouvait plus faire comme s’il n’entendait pas les appels à la liberté émanant de la rue en Tunisie, en Égypte et maintenant en Libye. Après avoir longtemps défendu la stabilité dans la région – notamment pour rassurer Israël -, il s’est résolu à demander clairement le départ des dictateurs.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le 25 février, les États-Unis fermaient leur ambassade à Tripoli et gelaient les avoirs du gouvernement libyen. Le 27, ils discutaient avec leurs alliés européens de la fermeture de l’espace aérien de la Libye – afin d’empêcher les raids de l’armée contre les civils – et envisageaient la mise en place d’un corridor d’évacuation des réfugiés vers la Tunisie ou l’Égypte. Hillary Clinton, envoyée à Genève pour s’entretenir avec les ministres européens des affaires étrangères, a plaidé ce lundi pour des mesures obligeant M. Kadhafi à quitter le pouvoir et pour que les responsabilités soient clairement attribuées dans la mort de milliers de civils. Elle a également annoncé, dans la soirée, le repositionnement des forces militaires navales et aériennes autour de la Libye. Pour les néoconservateurs, c’est un bon début mais cela ne va pas assez loin.

Le retour des faucons

La droite est divisée aux États-Unis et la politique étrangère ne fait pas exception : entre les tenants de l’isolationnisme (les Tea Party), les adeptes de la Realpolitik (majoritaires dans l’aile conservatrice) et les partisans d’un soutien sans équivoque de l’Amérique aux mouvements démocratiques (les néoconservateurs), le fossé est profond. Et les événements actuels ne le combleront pas. Pédagogues et engagés comme à leur habitude, les "neocons" assument des positions claires et affirmées. Ainsi refusent-ils qu’en ces temps de débat sur la réduction des déficits publics, le budget de la défense soit amputé. Ils ne veulent pas prendre le risque que le pays apparaisse affaibli aux yeux de leurs ennemis et rivaux, dans un monde désormais (et à leur grand regret) multipolaire. Depuis 2009, ils ne cessent de mettre en garde l’opinion et les décideurs : le monde serait bien plus dangereux que le pouvoir politique américain ne le prétendrait ou, pire, ne le croirait. Ils n’ont cessé de critiquer la politique de la "main tendue" du Président Obama, qu’ils interprètent comme une preuve de faiblesse dans les relations avec la Chine, la Corée du Nord, l’Iran, voire la Russie.

Le think tank Foreign Policy Initiative, créé en 2009 par deux des plus célèbres "neocons", William Kristol et Robert Kagan, souhaite qu’Obama mette les États-Unis "sur la voie de la liberté" en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Autrement dit, qu’il s’engage fermement en faveur des insurgés libyens, égyptiens, tunisiens (et peut-être bientôt iraniens), à la fois dans les discours et dans les actes. Pas question de guerre, du moins pour le moment, mais de sanctions économiques, financières et logistiques qui soient lourdes et rapides.

Paul Wolfowitz, dans The Wall Street Journal daté du 22 février, fustigeait la prudence de la Maison Blanche vis-à-vis de M. Kadhafi. Même chose dans The Weekly Standard du 24 février sous la plume de William Kristol, qui affichait son incrédulité face à un Président qui se contente actuellement de "consulter" ses alliés en Europe et au Moyen Orient pour décider de l’action à mener en Libye. Alors que pendant ce temps, des civils meurent par centaines et que l’islamisme profite du chaos pour aligner ses pions.

"Truman l’a fait. Nous le pouvons aussi"

C’est par ces mots que Charles Krauthammer concluait son éditorial du 11 février dernier dans le Washington Post. Pour lui, les États-Unis doivent mettre au point une véritable "doctrine de la liberté" dans le monde arabo-musulman. Rappelant avec un brin d’ironie que les néoconservateurs étaient jusque là les seuls, en Amérique, à n’avoir pas considéré les pays arabes comme imperméables à la démocratie, il établissait un parallèle entre l’anti-communisme américain durant la guerre froide – dont le mouvement néoconservateur est directement issu – et le combat actuel contre l’oppression au Maghreb et au Machrek. Oppression nourrie notamment par l’islamisme que Krauthammer définit, à l’instar du communisme des années 1950-80, comme un ennemi extérieur et intérieur extrêmement dangereux.

Bref, les néoconservateurs américains exigent de l’action et de la force et déplorent l’attentisme diplomatique. Aujourd’hui, cela semble évident. Pas comme en Irak en 2003