Lundi 7 février, Vincent Peillon était l’invité de la Fondation Jean Jaurès et de nonfiction.fr. Le débat était co-animé par Frédéric Ménager rédacteur à nonfiction.fr et Nicholas Vignolles collaborateur à la Fondation Jean Jaurès. L'ouvrage, Eloge du politique,  se situe comme un tournant dans la pensée de Vincent Peillon qui dit avoir essayé de s’éloigner de l'aspect universitaire de ses travaux précédents afin d’aller vers une réflexion plus personnelle. L’idée d’une "mort du politique " et non pas "de la politique" comme l'a précisé l’auteur, lui est venue dans ses lectures de recherches sur le philosophe Merleau-Ponty qui traitent peu de la question du politique pourtant centrale chez l’auteur selon Vincent Peillon. Après la "mort de Dieu", la "mort de l’homme", la "mort du politique" représente pour Vincent Peillon la disparition d’une certaine forme d’organisation de la cité où s’exerce la raison critique. "Merleau-Ponty avait le mérite de nous faire voir ce que nous ne voulions pas voir. Et c’est ce temps de l’oubli du politique à travers ses liens avec la philosophie que j’ai voulu interroger".  Après avoir présenté ainsi les grandes lignes de livre, le député européen a répondu aux questions de la salle.

 

Le paysage politique aujourd’hui montre une volonté de captation du concept de République, quel sens doit-on lui donner ?

 

Chaque pays, chaque nation fait avec sa propre histoire. La notre, c’est celle de la révolution et de l’établissement de la République, avec les aléas des contre-révolutions, restauration, consulat… Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, les rétrogressions ont été moins nombreuses. Edgar Quinet et Ferdinand Buisson on montré l’erreur française : on a cru que la révolution dans les intérêts allait suffire, alors que de facto, on a remplacé l’aristocratie par la bourgeoisie, sans s’occuper des mœurs. Le politique, c’est la façon qu’a la société de se vivre, de se décrire et de se construire. Dans un pays de tradition catholique, on a laissé à l’Eglise la main mise sur les esprits. C’est ainsi qu’en 1840 les Français votent pour le consulat… Le pouvoir n’est pas que matériel, il est spirituel. Certains républicains, à l’instar d’Eugène Sue, ont appelé à la conversion au protestantisme, religion de la liberté. Cette tentative est restée assez marginale. La république française trouve son apport spirituel dans la laïcité. Il ne s’agit pas d’une neutralité, mais d’un corpus positif, avec une morale laïque, des concepts moraux, et bien sûr la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’école devient le véhicule de cette "idéologie". Jaurès dit bien qu’il faut être à la fois matérialiste et mystique. Cette pensée républicaine, telle qu’elle s’est formulée tout au long du XIX° siècle, dépasse des oppositions que nous rencontrons, aujourd’hui, constamment. On caricature : égalitarisme contre libertés ; étatisme contre entreprenariat… Le socialisme a, en un sens, prêté le flanc à ces simplifications, en adoptant des éléments de la doctrine marxiste extérieure au socialisme français. La difficulté de la gauche à gouverner, et à gouverner dans la durée, au cours des XIX° et XX° siècles, se doit sans doute à l’écart entre les paroles et les actes. La refondation du socialisme suppose un travail de réflexion, il faut renouer avec le socialisme qui est le nôtre pour éviter les discours tribuns suivit d’échecs.

 

Comment désamorcer le mot piège "libéral" ? Existe-il un socialisme libéral ?

 

A l’heure des conventions sur le projet, il faut revendiquer nos combats pour la liberté. La décentralisation, la liberté des ondes, un certain nombre de droits pour un certain nombre de catégories sociales, c’est nous. Le socialisme rajoute à la liberté individuelle l’éducation pour tous et l’amélioration des conditions socio-économiques pour tous. La discussion entre 1830 et 1848 porte sur les conditions, organisées par la société (pas nécessairement par l’Etat), pour que tous soient libres, pas seulement le petit nombre des plus forts.

Une idéologie ultra-libérale, au sens économique, est privatrice de liberté. Contre les intérêts de l’argent, il faut revendiquer nos combats, aller plus loin dans notre programme sur les libertés, en France et au-delà de la Méditerranée. Il faut aussi montrer à quel point la droite du Fouquet’s détruit ces libertés.

 

On a aujourd'hui un problème du côté de la gauche qui est embrassée par ce thème de la "liberté". Certains socialistes, en tentant "d'uniformiser"une pensée de la liberté en rejetant à tout prix l'idéologie libérale, vont aussi à l'encontre des libertés.

 
 

Vous parlez d’une "trahison des nouveaux clercs" : les élites participent de l’indifférence généralisée, en se focalisant sur les moyens. Qu’entendez-vous par "il y a parmi eux des cyniques et des coquins" ?

 

Lionel Jospin a commencé à développer ce thème. Les relations entre la haute fonction publique, le politique, et l’entreprise privée sont une anomalie française. Au cours des trente dernières années, des grandes fortunes se sont constituées par des parcours balisés : concours, cabinet, grande entreprise. Alain Minc en est un pur produit, mais des exemples existent à gauche. Or le facteur humain compte beaucoup, et les intérêts des acteurs ne s’effacent pas toujours au profit de l’intérêt général. Ce phénomène doit être cassé, car il coûte cher, et surtout détourne l’attention des réels problèmes d’iniquité sociale. Il n’y a qu’en France qu’on peut être catapulté au sommet après un passage éclair en cabinet, sans même être expert du métier (banque, assurance, télévision…). La question des grands corps, la séparation grandes écoles – université, sont ainsi des éléments de restauration d’un républicanisme. La morale publique doit être rétablie. Les élites intellectuelles font par ailleurs preuve de mépris social. Ils déplorent un peuple ignorant, abruti par la consommation de masse. S’appuyer sur les éléments positifs est pourtant nécessaire pour faire progresser, comme il faut encourager un enfant pour qu’il apprenne, au lieu de le stigmatiser. Le discours de la droite, s’appuie sur promesse libérale de consommation. Posséder plus, pouvoir voyager séduit, c’est humain. La république doit renouer avec des principes de plaisir ; l’idée qu’on dépeint de la société ne séduit pas l’individu égoïste. L’éducation nationale, la jeunesse, l’université pourraient devenir de vraies priorités. Cela suppose des choix et du courage.

 

Comment faire pour réhabiliter la culture du conflit dans la société, et l’éradiquer du PS ?

 

Concernant les dissensions internes, il est clair qu’on ne vit pas dans un monde de bisounours, mais les primaires représentent un véritable progrès. A nous de ne pas suivre le discours dominant des médias, et de soutenir nos candidats qui après tout ne font que suivre la procédure que l’on a adopté. Nos différences sont souvent grossies et déformées ; essayons de nous rappeler notre fraternité de pensée au lieu de suivre le courant médiatique. Mais il faut réellement sortir de cette "gauche un peu maso" et se rappeler que les victoires de Sarkozy reflètent finalement nos propres défaites.

 

Plus globalement, l’idéologie la plus pernicieuse de la droite c’est de nous dire que tout le monde pense la même chose. Le patron d’un labo pharmaceutique, le trader, le PDG d’un groupe pétrolier penseraient la même chose que l’infirmière ou l’institutrice qui trime par abnégation…  Tout le monde partagerait les mêmes valeurs kantiennes, pour la paix dans le monde et contre la pauvreté. En fait, si le monde n’est pas meilleur, c’est parce que c’est dur ou impossible, et aussi de la faute de la racaille, du rmiste. Non, certains ont choisi les valeurs de l’argent et du chacun pour soi, l’assument et le revendiquent, et d’autres proposent un autre modèle de société. Celui qu’impose aujourd’hui le gouvernement n’est clairement pas en accord avec la vision socialiste. Un fait divers remet la peine de mort dans les débats, comme s’il n’existait pas de possibilité de s’amender, alors que le taux de récidives dans les crimes sexuels est de 2%. Plaider pour la justice du point de vue des victimes symbolise un recul incroyable ; on revient à la préhistoire, avant le droit. Cela montre à quel point la conception de l’homme est intrinsèquement différente. La dynamique du conflit est très importante mais elle doit se faire sur le domaine des idées, dans le débat politique.

 

Que répondre à ceux qui considèrent que l’intégration européenne a désarmé l’Etat ?

 

Eloge du Politique est plus un livre pour les intellectuels que pour les militants, à l’heure où philosophie et politique semblent être devenus contradictoires. Il y aujourd'hui peu de place accordée aux intellectuels dans la sphère politique.  Cependant on a  tort d’être totalement en négatif : l’Europe a beaucoup de défauts, elle a aussi des qualités. Je siège aujourd’hui à la commission extérieure. L’Europe paie l’intégralité des fonctionnaires palestiniens, elle a alloué 220 millions d’euros à la Tunisie sur trois ans. L’élévation du niveau de vie, le progrès des droits des femmes, ne sont-ils pas des ingrédients de révolution, du moins de progrès social ? Sur l’Egypte, Catherine Ashton s’est exprimée avant Obama ; quel média a relayé son allocution? L’attitude politique doit changer, pour prendre appui sur des éléments positifs. Le Portugal de Salazar, l’Espagne de Franco, les PECO satellites, c’est du passé, et il faut s’en réjouir.

 

Le débat s'est conclut sur l'annonce de la sortie après les primaires d'un livre d’entretiens avec François Bazin  sur des mesures concrètes et programmatiques en Europe (gouvernance économique, harmonisation fiscale, le renouveau du PSE).

 
Elsa Caballero
 
Compte -rendu publié originellement sur le site du blog du PS de Sciences-po