Un ouvrage vif et percutant mais dont l’argumentation pèche parfois par manque de mise en perspective.

Hacène Belmessous, journaliste et chercheur indépendant, auteur de plusieurs essais liés aux banlieues, nous livre dans cet ouvrage un brûlot contre la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy. Cet essai part de l’hypothèse que les opérations de rénovation urbaine, sous couvert de bonnes intentions, masqueraient une opération de militarisation et de surveillance des banlieues. C’est cet envers du décor  de la politique de la ville qu’explore l’auteur en évoquant les conditions qui se réunissent pour une possible "guerre aux banlieues". À l’aide de nombreux entretiens et d’un travail de terrain conséquent, l’auteur révèle certains phénomènes inquiétants quand à la démocratie et au "vivre ensemble" urbain. 

 

 

Des banlieues réduites à un "ennemi intérieur"

 

Tout d’abord, Hacène Belmessous retrace l’évolution récente des discours ainsi que des différentes logiques d’action qui guident l’intervention dans les banlieues françaises afin d’y révéler l’apparition récurrente d’un  "ennemi intérieur". Au sein de ce terme se mêlent confusément terrorisme, délinquance et irrespect de la république. Spatialement, cet "ennemi intérieur" est clairement assimilé aux banlieues, souvent décrites comme des "zones de non-droit" ou des "territoires perdus de la république". Or cette évocation d’un "ennemi intérieur" légitime l’usage de la force et de pratiques militaires qui s’éloignent du simple maintien de l’ordre.

 

Cette tendance à la militarisation se lit notamment dans l’évolution du rôle de l’armée de terre et dans la compétence qui lui est aujourd’hui attribuée, d’intervenir lors de violences urbaines. Tel est notamment un des objectifs de la modification en 2007 du Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale qui "opère une jonction entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure, donc entre le militaire et le policier". Or, ce sont les banlieues qui cristallisent les objectifs de cette opération sécuritaire. Comme le révèlent deux spécialistes interrogés, le risque de cette dérive est de "d’englober le phénomène des banlieues dans ce concept de sécurité nationale, au risque d’opérer un amalgame entre des menaces à la sécurité de l’État et une crise sociale". Basé sur de nombreux entretiens avec des responsables et de hauts fonctionnaires de l’armée, l’auteur révèle le "malaise républicain qui sourd  dans l’armée depuis les dérives sécuritaires des "années Sarkozy"".

 

Il en est de même pour la gendarmerie, récemment passée sous l’autorité du ministère de l’intérieur et qui doit s’adapter à une militarisation de son équipement. Phénomène qui n’est pas sans rebuter plusieurs des responsables interrogés, qui jugent cet équipement de guerre incompatible avec la mission de maintien de l’ordre qui est la leur et qui doit se baser sur des méthodes plus pacifiques. L’auteur évoque alors ce curieux camp d’entrainement, situé à Saint-Astier, dans lequel sont formés des gendarmes à l’intervention en milieu urbain. Il s’agit d’une réplique en taille réelle d’une ville de banlieue. Le décor reproduit un centre historique, une ville nouvelle et ses tours tandis que les scénarios qui guident les opérations d’entrainement intègrent des données sociales sur la ville, ainsi que les conditions qui ont participé à l’intervention factice des forces de l’ordre, etc. 

 

La police est également particulièrement impliquée dans cette mission d’ordre public et d’intervention dans les banlieues. L’orientation de leur action sur les banlieues s’accompagne de la fin de la mission de service public à laquelle est traditionnellement dévolu ce corps d’État. Leur rôle s’apparenterait aujourd’hui davantage à une occupation des territoires de banlieues avec des contrôles ciblés, un quadrillage de l’espace, qui inquièterait plus la population qu’elle ne la rassurerait. Ainsi selon l’auteur, ces "façons de faire" et d’intervenir témoignent de l’association par le pouvoir politique du maintien de l’ordre et  de la guerre urbaine. Au point, selon Hacène Belmessous que "même s’il faut distinguer les contextes, la militarisation de la police, son usage de procédures et de technologies militaires, sa représentation déshumanisée de ces quartiers qu’elle dépeint comme des "bourbiers", particulièrement en Seine-Saint-Denis, font penser à d’autres théâtres d’opération, ceux gagnés par la guerre civile" sur des terrains extérieurs.

Les dessous de la rénovation urbaine

 

Mais selon l’auteur, cette militarisation de l’intervention en milieu urbain n’est pas le seul aspect de l’offensive contre les banlieues. Il dénonce également l’implication policière dans le réaménagement des quartiers sensibles et notamment les objectifs passés sous silence de la rénovation urbaine. La présence de policiers dans les comités de mise en œuvre du renouvellement urbain des quartiers sensibles révèlerait l’organisation de leur "régénération urbaine selon un modèle d’organisation policier". En témoigne d’ailleurs la convention signée entre l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine et le ministère de l’Intérieur pour associer la police nationale aux divers projets. L’auteur évoque alors l’émergence de la prévention situationnelle dans la restructuration des banlieues, qui consiste à aménager l’espace de façon à limiter les possibilités d’actes délictueux. Le témoignage de Jean-Claude Cazaux, brigadier major impliqué dans la sécurité publique en Seine-Saint-Denis, est assez éloquent : "dans un premier temps (…) on remodèle l’espace public pour le rendre moins hostile aux policiers, c’est à dire qu’on le normalise. Ensuite, une fois qu’on a examiné la trame viaire et les espaces publics avec le chef de projet, qu’on s’est assurés qu’ils sont en cohérence avec le principe de prévention situationnelle, on accompagne les bailleurs sociaux dans leur projet de résidentialisation ou de requalification urbaine". Ces phénomènes incitent l’auteur à évoquer la police comme "l’âme de la rénovation urbaine", propos que certains jugeront excessifs mais qui traduisent tout de même une évolution à l’œuvre.  

 

Un autre aspect de cette intervention sécuritaire sur les banlieues prend forme dans la diffusion de la vidéosurveillance. S’il est évident que ces moyens de surveillance se multiplient dans toutes les villes de France, l’auteur met de l’avant un point souvent méconnu. L’amendement CL 160 de la loi LOPPSI 2, instaurée en 2010, permet effectivement à l’État d’imposer aux collectivités locales l’implantation de systèmes de vidéosurveillance, si cela est jugé nécessaire. Dans cette perspective, les bailleurs sociaux se voient d’ailleurs incités par la police à installer des systèmes de vidéosurveillance dans les immeubles situés en zone sensible et à collaborer avec la police lors d’occupation excessive de cage d’escaliers ou d’incivilités. Le renforcement des liens entre bailleurs et police ainsi que la vidéosurveillance participent ainsi à la mise en place d’un quadrillage des banlieues. 

 

L’auteur aborde enfin le plan Espoir Banlieues, qui ne serait selon lui, qu’une des faces de la guerre aux cités mise en œuvre par le pouvoir actuel. Sous couvert de bonnes intentions, les discours qui le soutiennent participeraient finalement à briser la cohésion sociale qui existe dans les quartiers par la distinction marquée entre ceux qui réussissent, qui veulent s’en sortir et les "racailles", les assistés. Par des raccourcis hasardeux, l’auteur tente de montrer comment les associations ou les collectifs s’opposant à la politique gouvernementale perdent des crédits et de la légitimité. Cette  politique n’aiderait finalement pas les jeunes de banlieues dans leur ensemble mais seulement ceux qui passent entre les mailles de l’échec. Elle exclurait davantage les individus qui ne correspondent pas à l’idéal républicain. Il s’agit d’une argumentation intéressante mais qui pour être vraiment convaincante, aurait méritée d’être développée davantage à l’aide d’exemples concrets.

 

Au terme de cet essai, le lecteur aura peut être le sentiment que l’auteur fait œuvre d’un pessimisme excessif au cours de sa démonstration. Toutefois, face à cette situation inquiétante, il ressort tout de même de ce livre un point positif qui est la considération souvent négative qu’ont les responsables militaires ou policiers envers cette politique sécuritaire. Ce jugement qui apparaît dans les entretiens menés par l’auteur laisse place à l’espoir d’une réaction humaniste face à cette "opération banlieues". Cependant, le coté pamphlétaire de l’ouvrage nuit à la pertinence de l’argumentation. En effet, la focalisation sur le gouvernement actuel est compréhensible au vu des enjeux que veut montrer l’auteur mais une mise en perspective historique sur les banlieues ainsi qu’une comparaison avec des quartiers sensibles d’autres pays auraient été bénéfiques à la validité du propos. Ceci dit, cet ouvrage vif et engagé n’en convainc pas moins le lecteur de rester attentif à l’évolution des politiques liées aux banlieues, aux choix urbanistiques qui y sont fait ainsi qu’aux risques d’éclatement social qui pèsent sur ces territoires 

 

A lire aussi dans le dossier sur la politique de la ville de nonfiction.fr :

 

 

-    Un décryptage du New Deal urbain du PS, par Lilia Blaise.


-    Une interview de Nathalie Perrin-Gilbert, secrétaire nationale du Parti socialiste au Logement, par Lilia Blaise et Pierre Testard. 


-    Une analyse des rapports entre politique de la ville et politique d'intégration, par Quentin Molinier.


-    Un bilan du Plan Espoir Banlieues, par Charlotte Arce.

 

 

-    Une interview de Luc Bronner, journaliste au Monde, par Charlotte Arce. 

 

-    Un point de vue de David Alcaud pour en finir avec le mythe de la politique de la ville.

 

 

-    Une interview de Grégory Busquet, par Lilia Blaise.


-    Une interview de Jacques Donzelot, directeur de la collection "La ville en débat" (aux PUF), par Xavier Desjardins.


-    Un entretien avec Didier Lapeyronnie, sociologue, par Xavier Desjardins.

 

Des critiques des livres de :



-    Christophe Guilluy, Fractures françaises, par Violette Ozoux.


-    Hugues Lagrange, Le déni des cultures, par Sophie Burdet.


-    Julien Damon, Villes à vivre, par Xavier Desjardins


-    Joy Sorman et Eric Lapierre, L’inhabitable, par Tony Côme.


-    Jean-Luc Nancy, La ville au loin, par Quentin Molinier.


-    Denis Delbaere, La fabrique de l’espace public. Ville, paysage, démocratie, par Antonin Margier.


-    Rem Koolhaas, Junkspace, par Antonin Margier.


-    Michel Agier, Esquisses d’une anthropologie de la ville. Lieux, situations, mouvements, par Antonin Margier.

 

A lire aussi sur nonfiction.fr :

 

Le vieillissement de la population est-il un obstacle à l'alternance politique en 2012 ?, par Matthieu Jeanne.