Un éclairage poignant et pédagogique du monde complexe et cruel des armes.

L’ONG Amnesty International nous relate, à travers cet ouvrage, préfacé par Lilian Thuram et divisé en quatre chapitres, la vie quotidienne de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, qui vivent dans la peur des massacres, des exactions extrajudiciaires, tortures, violences sexuelles, déplacements et disparitions forcés en lien avec des armes de poings, matraques, fusils d’assaut, pistolets mitrailleurs, qui servent tous les jours à des violations de droits humains.

Le premier chapitre, assez généraliste, revient sur la réalité des armes dans le monde, et présente les problématiques inhérentes aux transferts d’armes. Les transferts internationaux d’armements sont estimés à 22,7 milliards de dollars, par le SIPRI, en 2008,  soit une hausse de 32,4 % par rapport à 2002. Toujours selon cet organisme de recherche, les dépenses militaires mondiales s’élevaient en 2008 à 1 464 milliards de dollars, soit une hausse de 47 % depuis 1998. De plus, en 2007, un institut de recherche, le Small Arms Survey estimait qu’il y avait environ 875 millions d’armes à feu en circulation. Selon les Nations Unies, entre 7,5 et 8 millions d’armes légères sont produites chaque année. Ces armes proviennent majoritairement du « bloc occidental » puisqu’en 2004, 75 % des ALPC (armes légères et de petit calibre) produites provenaient des Etats-Unis ou de l’Union européenne. Les Etats-Unis, dans les années 2000, ont par exemple livré en Amérique latine plus de 4 200 pistolets, 45 000 fusils M16, 4 000 lance-grenades et environ 300 000 grenades aux pays d’Amérique centrale (Costa Rica, El Salvador, Honduras…). La production de munitions est très importante puisqu’en 2005, au moins 76 pays se seraient livrés à cette production, qui serait comprise entre 10 et 14 milliards de munitions d’un calibre inférieur à 12,7 mm. Les munitions sont déterminantes dans la gestion des conflits. En effet, les combats, qui ont eu lieu pendant la période 1990-1996, ont baissé d’intensité au Mali (rébellion du Nord) faute de suffisamment de munitions.

Les transferts d’armes sont encadrés par des législations nationales, régionales ou internationales. Une partie de ces normes prennent en compte la question des droits humains et le droit international humanitaire. Mais ce cadre reste peu développé, très hétérogène et plus ou moins bien respecté. Seule une soixantaine d’Etats a une législation qui réglemente le transfert d’armes.

Ce livre met l’accent sur les failles du système et les personnes qui l’exploitent. Ce peut être les courtiers, qui doivent prendre en charge des activités diverses, telles que la négociation et la facilitation du transport, l’assurance et les financements liés aux ventes d’armes et aux livraisons. Alliés à certains transporteurs et financiers, ils deviennent des intermédiaires entre acheteurs et vendeurs. Les contrôles à l’exportation sont assez disparates puisque dans un certain nombre de cas les transferts sont subordonnés à l’accord par l’Etat exportateur d’une licence d'exportation (délivrée sur la base d’un certificat d’utilisation finale). Mais les certificats peuvent être aisément contournés avec de la corruption ou en les falsifiant. En outre, l'absence dans certains pays de réglementation relative au transbordement ou au transit d'armes permet de réaliser fréquemment des transferts illégaux. Par exemple, Leonid Minin (personnage qui a inspiré le film Lord of War) a, en 2000, conclu un accord portant sur la livraison au Libéria (malgré un embargo des Nations Unies) de 113 tonnes d’armes achetées à Spetstechnoexport. Ces armes sont parties de Gostomel en Ukraine jusqu’à Abidjan dans un Antonov An-124 puis ont été transférées dans un avion plus petit pour être acheminées en plusieurs fois jusqu’à Monrovia.


Enfin, le livre évoque la délicate question de l’exploitation des ressources naturelles. En effet, celle-ci a dans un certain nombre de conflits permis de financer les dépenses militaires des groupes armés (bois au Libéria, diamant en Sierra Leone, coltan en République démocratique du Congo…). Cette première  partie fait le lien entre les dépenses d’armement et les problématiques de développement. Ainsi, selon une estimation des Nations Unies en 1994, un cinquième de la dette des pays en développement était dû à leurs importations d’armes. Le total des dépenses en armement de l’Asie, du Moyen Orient, de l’Afrique et de l’Amérique latine s’élève à 22 milliards de dollars, et aurait permis de scolariser chaque enfant et de réduire la mortalité de deux tiers  entre  2006 et 2015, réalisant ainsi deux des objectifs du millénaire fixés en 2000.

Dans un second temps, l’ouvrage revient sur les liens entre les armes et les violations des droits humains au quotidien. L’usage excessif de la force par les forces armées est un exemple probant de ce genre de violation. En Guinée, les violations des droits humains (viols, massacres de 150 personnes, plus de 1500 blessés suite aux événements du 28 septembre 2009 par les bérets rouges) contre des civils, ont eu lieu grâce à des armes livrées par la France, les Etats-Unis, la Chine. Par ailleurs, la prolifération des armes à l’échelle mondiale a des conséquences directes sur la hausse de la criminalité, du banditisme et de la violence armée. C’est le cas par exemple de la violence endémique dans les favelas de Rio de Janeiro, qui a fait 117 morts le lundi 15 mai 2006, résultant d’ échanges de tirs entre la police et les gangs de Rio.

Le troisième chapitre fait le lien entre la prolifération des armes et les situations de conflits armés. En raison du caractère extrêmement grave des conflits armés des règles ont été imposées et prévues : le recours à la force armée est encadré par le droit international humanitaire (DIH), contenu dans les 4 conventions de Genève de 1949 et dans les protocoles additionnels de 1977. Ces règles sont devenues du droit coutumier, ce qui signifie qu’elles s’appliquent à tous les Etats y compris les Etats non signataires de ces conventions. Le livre nous montre qu’il existe une corrélation assez grande entre la prolifération des armes lors des conflits et la multiplication des acteurs impliqués dans ces conflits, et ce en raison de la facilité d’utilisation et d’acquisition de ces armes.

La prolifération des armes favorise la durabilité des conflits. Pendant le conflit en Sierra Leone, selon l’UNICEF, plus de 5 000 enfant soldats, dont certains âgés de 5 ans, ont combattu dans les troupes du Front Révolutionnaire Uni de F. Sankoh. Actuellement 250 000 enfants soldats sont impliqués dans 18 conflits armés à travers le monde.

La question des violences sexuelles est aussi abordée, puisque ces dernières sont utilisées délibérément (abus sexuels, viols) comme une arme de guerre. Les femmes sont des cibles  dont le corps s’apparente au territoire qu'il convient de conquérir pour dominer les hommes et femmes qui y vivent. Le Rwanda en fournit un très bon exemple puisque pendant le génocide de 1994 entre 300 000 et 500 000 femmes ont été violées. De plus l’arme est souvent utilisée comme menace ou/et comme outil de viol. Les femmes parfois fuient leur village et sont alors soumises aux violences inhérentes aux déplacements forcés.

Enfin, dans un dernier chapitre, le livre souligne la nécessité  de créer un nouvel outil, à savoir « le traité sur le commerce des armes », qui vise à répondre aux lacunes et à l’inefficacité des dispositifs existants. Dans ce dernier chapitre, l'auteur liste de manière assez mécanique les armes dont la production ou l'exportation sont  interdites : armes à laser aveuglantes (protocole IV de la convention 1980), armes incendiaires (protocole III de la convention de 1980, mines anti-personnel (la convention d’Ottawa du 18 septembre 1997) ... De plus, la prolifération des armes et la multiplication des conflits s’expliquent en partie par le fait que très peu de pays ont adopté des législations visant à instituer des dispositifs de contrôle, soit environ 60 Etats. En outre, les dispositifs multilatéraux régionaux, tels que l’arrangement de Wassenaar, la convention inter américaine contre la fabrication et le trafic illicite d’armes, le Code de conduite de l’Union européenne en matière d’exportation d’armements, passé en position commune en 2008 (c'est-à-dire que cet instrument est désormais juridiquement contraignant pour les Etats membres) ainsi que les programmes mis en place par les Nations Unies, sont peu efficaces et n’ont entraîné aucune amélioration sur le terrain. Les systèmes des embargos sont, en outre, trop souvent peu efficaces. Selon les Nations Unies, entre 1990 et 2001, 8 conflits sur 57 ont éclaté dans des pays soumis à embargo.

Pour pallier ces difficultés, le livre termine en présentant la formidable mobilisation des ONG pour obtenir un traité sur le commerce des armes, qui vise un meilleur contrôle des armes classiques, légères et de petits calibres. L’ouvrage revient sur le travail de lobbying des ONG (dont Amnesty International), qui a permis l’adoption en décembre 2006 par l’Assemblée générale des Nations Unies de la résolution 61/89 appelant tous les Etats membres à travailler à l’adoption d’un traité établissant des normes internationales communes pour l’importation, l’exportation et le transfert d’armes classiques. Puis, un groupe d’experts internationaux a, en août 2008, rendu ses conclusions et statué sur la faisabilité du traité. Enfin, la résolution 64/48 de la fin 2009 lance le processus officiel de la négociation du traité qui est espéré attendu pour 2012 en y intégrant les Etats-Unis, premier producteur mondial d’armes. Pour Amnesty International, ce traité doit reprendre les diverses obligations des Etats au titre du droit international humanitaire, des droits économiques et sociaux et du respect des droits humains. Enfin, Amnesty estime que pour que ce traité soit efficace il faudra prévoir des sanctions pénales, administratives, proportionnelles et dissuasives.

Au final, Amnesty International France nous livre un ouvrage très intéressant, qui présente un nombre important d’exemples, de statistiques et d’informations très fouillés ainsi qu’un panaroma complet des problématiques liées et impactées par la question des armes. Malheureusement ce livre, qui a une réelle portée pédagogique pour le non initié, reste imparfait car ces problématiques (enfant soldats, violences sur les femmes, déplacements forcés…) sont simplement abordées et listées comme un catalogue sans réellement être liées entre elles