Une lecture attentive et stimulante des livres prophétiques.

 En établissant une alliance avec  Abraham puis avec le peuple hébreu lors de l’Exode, Yahvé, le Dieu de l’Ancien Testament, noue une relation privilégiée et personnelle avec l’homme,  empreinte de fidélité absolue et d’exigence éthique   . Cette alliance ne saurait ainsi être rompue mais l’inconstance  de l’homme le conduit bien vite à transgresser les termes du contrat. C’est dans ce contexte précisément que pointe la figure du prophète, laquelle traverse comme un leitmotiv l’ensemble de la Bible depuis le livre de l’Exode avec Moïse    jusqu’à l’Apocalypse de Jean.    Si le frère d’Aaron  apparaît comme la figure prophétique emblématique, l’emploi du mot " prophètes " (au pluriel), dans le cadre de la Bible, renvoie traditionnellement aux trois " Grands Prophètes " que sont Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, aux douze " Petits Prophètes "   et par là même aux livres qui portent leur nom. En ce sens, le prophétisme biblique naît véritablement avec les débuts de la monarchie (à l’époque de Saül et du prophète Samuel). Dans tous les cas, que l’on se réfère au canon juif de l’Ancien Testament et à ses trois parties : la Loi, les Prophètes et les Ecrits    ou au canon grec, suivi par les chrétiens et ordonné en quatre parties : le Pentateuque, les livres historiques, les livres poétiques et les livres prophétiques, l’importance de la littérature prophétique au sein de la Bible s’impose. De ce point de vue, étudier les livres prophétiques, c’est s’immerger au coeur de problématiques religieuses déterminantes. Nul doute que le Guide de lecture des Prophètes, rédigé conjointement par Jesus Asurmendi, Joëlle Ferry (tous deux professeurs d’Ecriture sainte à l’Institut catholique de Paris), Alain Fourniez-Bidoz (a enseigné l’Ecriture sainte au séminaire universitaire de Lyon) et Jacques Nieuvarts (assomptionniste et exégète), ne s’inscrive dans cette perspective.


Des commentaires détaillés des textes


L’ouvrage, décliné en vingt chapitres, se propose  de commenter chacun des livres prophétiques (à l’exception de celui d’Abdias). L’avant-propos du livre précise d’emblée que " cet ouvrage s’inscrit dans la ligne d’une collection de commentaires de l’ensemble des livres bibliques tels qu’ils apparaissent dans le cadre de la liturgie et selon la traduction de la Bible liturgique " (le livre d’Abdias ne figure pas dans le lectionnaire). A une courte introduction soucieuse de définir la nature du prophétisme succèdent dix-neuf études consacrées aux  différents livres prophétiques (dont trois à Isaïe). Chacun de ces chapitres s’ouvre sur une présentation du livre étudié (auteur, processus rédactionnel, thèmes et contexte historique) suivie d’une sélection de textes commentés de manière détaillée. Comme nous l’avons déjà dit, cette sélection reprend des textes du lectionnaire en les faisant précéder d’un titre qui en résume l’esprit et en intercalant, au coeur des commentaires, des encadrés susceptibles d’éclairer certaines notions essentielles du prophétisme (les actes symboliques des prophètes, la gloire de Dieu,  les prophètes et le Temple…). Les auteurs, dans leurs études très complètes, ont su trouver un subtil point d’équilibre entre l’étude des genres littéraires (oracles, lamentations...), l'étude de la structure d'ensemble, celle du lexique (nombreuses références aux termes hébreux et à leur signification) et celle du style.


La dimension poétique des textes


 A ce sujet, on leur saura gré  d’avoir souligné l’extrême fécondité du réseau métaphorique et d’en avoir explicité la signification théologique. En effet, le langage figuratif, omniprésent, irrigue les textes et les oriente théologiquement. Citons à titre d’exemple la métaphore nuptiale présente d’abord chez Osée puis chez Ezéchiel qui fait de Dieu l’époux d’Israël (femme infidèle et prostituée) ou encore l’extraordinaire vision des ossements desséchés chez ce même Ezéchiel qui annonce la restauration du royaume d’Israël après l’Exil   . Le  lecteur trouvera ainsi dans les livres prophétiques, aux côtés du livre de Job et de certains passages des Psaumes, les plus belles pages qu’il soit donné de lire dans la Bible. L’extrait d’Osée ci-dessous révèle à lui seul la force poétique de certaines péricopes : " Je serai pour Israël comme la rosée, / il fleurira comme le lis, / il étendra ses racines comme les arbres du Liban. / Ses jeunes pousses vont grandir, / sa parure sera comme celle de l’olivier, / son parfum comme celui de la forêt du Liban. " (Os 14, 6-7)


Le rôle socioreligieux du prophète

 A cette dimension poétique et théologique des livres prophétiques s’ajoute la dimension socioreligieuse du prophète à laquelle les commentaires font toute leur place. Le terme "prophète ", traduction du mot hébreu " nâbî ", qui signifie sans doute orateur ou porte-parole, évoque à lui seul le rôle social du personnage. Sa vocation première n’est donc pas d’être un devin prédisant l’avenir mais plutôt le héraut de Dieu. D’où les nombreuses formules présentes  dans les introductions des livres prophétiques : " Ainsi parle Yahvé ", " la Parole du Seigneur me fut adressée ". Choisi par Dieu, le prophète biblique doit aider Israël à maintenir une juste relation avec le Seigneur, autrement dit à respecter les termes de l’Alliance. Les livres prophétiques sont ainsi traversés par une même dynamique : le prophète, appelé par Dieu, s’acquitte de sa mission en rappelant au peuple d’Israël son infidélité – la rupture d’Alliance   . Celui-ci est invité à se convertir, à revenir vers le Tout-puissant, le pardon divin - signe d’espérance - pouvant suivre cette conversion ou la précéder.


Les textes commentés issus de la Bible liturgique


Si le présent ouvrage répond véritablement à l’ambition (qu’il se fixe dans l’avant-propos) de constituer un  guide de lecture des prophètes   , il se focalise - et cette caractéristique est clairement assumée dans l’avant-propos - sur les textes du lectionnaire, autrement dit de la Bible liturgique. Une telle démarche, bien qu'appliquée avec souplesse, peut parfois priver le lecteur d’une vision unitaire des livres prophétiques. Conscients de ce possible écueil, les auteurs recourent, de manière pédagogique, à des sous-titres, voire à des résumés des passages absents du lectionnaire. Joëlle Ferry, étudiant le livre de Joël dont le lectionnaire ne retient que trois versets du chapitre 1, s’autorise ainsi à restituer l’ensemble des versets de ce chapitre " pour en comprendre le sens et la portée. " Le lecteur se trouve donc en présence d’une démarche résolument didactique. De ce point de vue, la présence d’un tableau synthétique mettant en perspective les ministères prophétiques et le contexte politique eût été utile et souhaitable. De plus, le présent ouvrage, tout entier tourné vers les livres prophétiques et donc vers les prophètes dits classiques, aurait gagné à consacrer un chapitre aux pères du prophétisme biblique que sont Elie et Elisée   , tant leurs ministères marquent profondément l’ensemble de la littérature prophétique.  On pense notamment à Elie et à l’opposition entre faux dieux et vrai dieu qui apparaît dans l’épisode du sacrifice du Carmel en 1 R 18, 20-40, thématique reprise et amplement développée par Jérémie.  


Un ouvrage dense et très clair


Malgré ces quelques réserves, ce livre reste très clair et accessible à tous puisqu’une de ses ambitions est d’éclairer la pratique liturgique des croyants. En ce sens, les auteurs n’hésitent pas, lorsque les textes s’y prêtent, à établir des liens entre les ministères des prophètes vétérotestamentaires et le ministère de Jésus, de même qu’ils se demandent dans quelle mesure la parole prophétique, interrogeant le rapport entre Dieu et les hommes, peut encore de nos jours trouver un écho. Cette lecture chrétienne de la parole prophétique ne porte toutefois jamais ombrage  à la richesse et à la rigueur de l’analyse textuelle. L’un des mérites de cet ouvrage est notamment d’accorder une place primordiale aux questions des genres littéraires et du style étroitement liés au message théologique lui-même. Les prophètes, quelques siècles avant le Christ, incarnent la parole de Dieu et rappellent aux hommes les termes de l’Alliance, les incitant constamment  à  se convertir et à revenir  vers  le Seigneur.  Le prophète apparaît dès lors comme " la face visible de Dieu "     et comme la conscience agissante de l’homme. En effet, si  le Seigneur se révèle le maître de l’histoire, il laisse l’individu libre de ses actes et de ses pensées à tel point que, comme le rappelle Osée, le Tout-puissant peut exercer sa miséricorde malgré l’infidélité humaine : " Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, / je ne détruirai plus Israël, / car je suis Dieu, et non pas homme : / au milieu de vous je suis le Dieu saint, / et je ne viens pas pour exterminer. " (Os 11, 9)