En partant de l’analogie avec les portraits que les riches faisaient effectuer pour s’immortaliser avec les pages d’autoportraits virtuels que chacun peut réaliser sur Myspace, Facebook et autres Friendster, Christine Rosen propose une lecture critique des réseaux sociaux, dont l’émergence et l’explosion posent des questions profondes sur les rapports humains et le narcissisme numérique.

Le premier objectif de ces réseaux est de se "faire des contacts", sur le modèle du "cercle d’amis". Ces réseaux redéfinissent les liens d’amitié entre les contacts liés, et sont du pain-béni pour les spammers, les publicitaires, mais également les politiciens. Ils lient les gens d’une manière inédite et permettent à chacun d’exhiber son individualité : goûts musicaux, photos, amis, films, images.

Cette explosion des réseaux à contacts, rappelle la théorie des degrés de séparation, élaborée par Stanley Milgram, selon laquelle deux personnes prises au hasard peuvent être reliée en utilisant en moyenne 5,5 intermédiaires. La théorie a été fortement remise en question depuis mais fait partie de la sagesse populaire. Mais quelle est la nature de ces intermédiaires ? Quels liens leur donne une cohérence ? Le sociologue Mark Granovetter indique que les relations les plus distantes sont souvent plus utiles.

La nature des relations, de "voisinage digital", et la perception que l’on a de ces amis virtuels, ces multiples contacts qu’on noue sur les sites de réseaux sociaux mérite d’être questionnée longuement. Plusieurs questions se posent, dont certaines n’ont pas encore de réponse sûre. Quelles sont les implications de la socialisation virtuelle pour les jeunes qui ont baigné dedans depuis toujours ? Les relations gagnent en quantité ce qu’elles perdent en qualité, indique Christine Rosen. L’utilitarisme prend une place très importante sur les sites sociaux, où l’on affiche non seulement un "profil" qui nous décrit, mais aussi un réseau, qui peut en dire beaucoup voire plus que la description que l’on donne. Le fonctionnement de ces sites pousse également à une course au contact. On cherche le statut, la reconnaissance, notamment par le nombre d’amis.

Malgré cette apparente explosion des individualités, Christine Rosen relève surtout une monotonie, une uniformité dans l’exhibition : pour être vu dans la multitude, il faut faire dans la surenchère. D’autant que les comportements de groupe sont assez prévisibles : plus une page est cliquée, plus elle attire le clic futur. Quitte à renoncer à l’anonymat, jusque là marque des pionniers dans l’utilisation du web. Les problèmes liés au manque de protection de la vie privée commencent à émerger, notamment dans le domaine professionnel.

On assiste, finalement, à une "bureaucratisation" des relations, et à une paupérisation de l’intelligence émotionnelle. Même si les utilisateurs ne confondent pas leurs amis et les contacts qu’ils peuvent se faire sur MySpace ou Facebook, les nouveaux comportements des utilisateurs de sites de réseau a de quoi soucier les chercheurs. La connexion constante, le désinvestissement dans la sphère réelle voire le désintérêt progressif pour les affaires de la "vie réelle" viennent non pas de l’utilisation mais, comme toujours, des abus.
Pour en savoir plus, l’intégralité de l’article de Christine Rosen