Le poète, romancier et historien Bernard Chambaz présente des oeuvres du photographe Paul Almasy. Back to the fifties.

Les vingt glorieuses n’est pas un livre d’histoire au sens académique du terme. En effet il ne s’agit pas d’une étude mais d’un "beau livre". Sans tout à fait être un catalogue d’exposition sa sortie fut toutefois l’occasion d’exposer les photographies de Paul Almasy. Car c’est là le véritable objet de ce livre. L’œuvre du photographe humaniste couvre, entre autre choses, tous les aspects de la vie quotidienne des français ainsi que les grands bouleversements économiques et sociaux de la période, à l’instar de Doisneau ou de Cartier-Bresson. Cette œuvre immense est entièrement archivée à Berlin et le livre présente une sélection des quelques 120 000 négatifs conservés dans les fonds de l’agence AKG.

La sélection, habilement opérée par Bernard Chambaz, porte uniquement sur la France   de l’après guerre à Mai 68. Il redéfinit ainsi la période de développement économique que l’on dénomme "trente glorieuse" selon l’expression de l’économiste Jean Fourastié. Ce choix nous dévoile tour à tour les petits métiers, les transports en communs, le café, qui se succèdent aux côtés de l’industrialisation, la "sarcellite" naissante, l’école ou encore l’évolution de la condition féminine. L’œuvre d’Almasy - conforme en cela à l’aspect documentaire du courant humaniste - couvre tous les aspects de ces deux décennies, constituant une source de premier ordre pour les historiens. Malheureusement la place faite au texte dans le livre ne permet qu’une description des clichés. Les propos liminaires à chaque thème ne permettent à Bernard Chambaz que d’évoquer une histoire littéraire, économique voir cinématographique de la période. Le lecteur ne peut trouver l’analyse de la démarche du photographe, de la représentation qu’il nous livre.

Les légendes semblent écrites à quatre mains, deux textes se superposant. Le premier décrit l’image et restitue une part de la situation qui s’y joue, en la replaçant dans son contexte. Le second évoque les souvenirs d’un contemporain, franchement nostalgiques, avec pour litanie introductrice "Je me rappelle".

L’objectif éditorial du livre semble plus proche de la fibre nostalgique du lecteur que de l’analyse historienne, ce qui est dommage au double titre de l’histoire de la photographie et de l’histoire par la photographie. La première est absente, rien n’est dit sur Paul Almasy, ni son parcours, sa formation ou sa carrière, sa démarche et le courant dans lequel il s’inscrit sont eux-mêmes délaissés. Une étude de la médiation de l’œuvre de l’auteur aurait été particulièrement intéressante puisque la photographie humaniste se destine par essence aux pages imprimées des magazines d’information. L’histoire par la photographie est quant à elle la voie que semble vouloir suivre Chambaz, mais l’analyse n’est pas développé et la photographie n’est abordée que comme illustration et non comme un objet historique en soi. Les jalons déposés par Laurent Gerverau et les historiens de l’iconographie contemporaine ne sont pas repris dans cet ouvrage.

Il reste néanmoins une conception graphique impeccable, qui nous livre 210 photographies noir et blanc, pour beaucoup méconnues du grand public. C’est là, semble-t-il, le but du livre et en ce sens il est atteint. Ce n’est définitivement ni un livre d’histoire, ni un livre d’art, mais simplement un beau livre destiné à un large public qui souhaite juste voir de "belles" photographies sans pousser l’analyse. Chambaz romancier et agrégé d’histoire les agrémente de sa belle plume, dans un ouvrage à prendre pour ce qu’il est. Cette précaution prise, le plaisir de le feuilleter au hasard est complet.