L’éditorialiste politique de France Inter, Thomas Legrand, nous livre dans Ce n’est rien la description d’une présidence Sarkozy banalement de droite et loin des promesses de rupture.

A contrario de Serge Portelli, qui avait tenté de discerner une idéologie avec "le Sarkozysme sans Sarkozy", Thomas Legrand n'est pas impressionné par la pensée du président de la République ou son impact dans l'histoire. L'éditorialiste politique de France Inter décrit dans Ce n'est rien une machine vaine et un peu folle mise en branle à l'Elysée depuis mai 2007. Son essai bref et vif a la tonalité des chroniques radiophoniques. Il multiplie les exemples souvent probants qui illustrent l'incohérence et la vacuité d'un pouvoir qui croit que "dire, c'est faire".


Legrand égrène successivement la réforme des régimes spéciaux de retraite, affichée avec grandiloquence et négociée en douce très généreusement. Celle du service minimum dans les transports, qui n'a finalement rien changé. Quant au concept de discrimination positive, il n'a pas vraiment survécu à l'épreuve du temps; Nicolas Sarkozy a vite abandonné son vocabulaire communautariste. Idem pour le Plan Marshall des Banlieues, dissous dans la crise. Même la centenaire laïcité, que nombreux, y compris à droite, croyaient menacée, n'a pas été récemment la cible des velléités présidentielles. Ainsi Legrand traduit le pragmatisme élyséen par le renoncement à la rupture annoncée en 2007. Les discours s'enchaînent et s'oublient. Les promesses de campagne, le rapport Attali, la politique de civilisation, la commission conduite par Stiglitz, Sen et Fitoussi occupent le terrain médiatique sans jamais être traduits en politiques publiques.


Les yeux rivés sur les sondages et particulièrement les coûteux "qualis"   commandés par Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy suivrait l'opinion sans l'orienter. Stéphane Rozès analyserait même, rapporte l'auteur, une forme de démagogie à l'envers : un peuple sûr d'influencer celui qu'il a élu, et qui serait vide de tout projet propre. Ce "président qui nous fait perdre du temps"   serait ainsi banalement de droite. Sa politique fiscale dont l'impact réel est indéniable, n'a rien d'imaginative. Non plus que sa volonté de contrôler toutes les nominations, en exagérant à peine les comportements de ses prédécesseurs. Ou que sa politique sur l'immigration, moins innovante qu'il ne pourrait paraître, aux résultats pratiques tout à fait dans la ligne des années antérieures, malgré l'affichage tonitruant auquel ministres et préfets sont tenus. Seule la réforme de la justice aujourd'hui en cours de discussion inquiète particulièrement Legrand qu'indigne la suppression du juge d'instruction sans indépendance du parquet. Mais l'auteur conclut sur le cœur de son analyse. "Ni rupture, ni dictature", la présidence Sarkozy doit être observée dans sa banalité. La multitude de piliers de "la réforme" ne porte pas grand-chose. Crier au loup est une faute d'analyse et une erreur politique expose l'éditorialiste, qui exorcise ainsi le pénible statut de "sarkoniqueur" dont l'a affublé son fils, à force de l'entendre commenter la geste présidentielle.


Ce n'est rien
est un essai accessible et simple, plaidant une thèse, sans trop s'embarrasser de nuances. Une analyse plus rigoureuse aurait pu prêter attention à quelques sujets moins évidents. Quid de l'université et de la recherche, dont le pouvoir a rarement autant parlé ? Le "Grand Paris" n'est-il qu'une vaine chimère, inutile autant qu'inoffensive, ou l'expression d'une singularité du premier président de la République pleinement citadin ? Pour inefficace qu'elle soit, la politique de sécurité n'est elle pas source d'évolutions profondes ? Voire, l'irrespect manifeste qu'exprime Nicolas Sarkozy à l'égard de tant de rites républicains n'est-il pas un élément de rupture ?
On excusera l'auteur de n'avoir pas dressé un panorama systématique. Son style alerte et son argumentation efficace ont le mérite de stimuler la réflexion.