Une biographie décevante de Margherita Sarfatti, intellectuelle proche du Duce.

Evoquer la vie de Margherita Sarfatti c’est d’abord revivre les événements qui se trouvent au cœur du « premier » XXème siècle. Presque tous ses principaux protagonistes sont au rendez-vous : de Franklin Delano Roosevelt à Hermann Goering, en passant par Gabriele d’Annunzio, Pierre Laval, ou même Albert Einstein, Colette et Franck Capra, la « collectionneuse de célébrités »   italienne a côtoyé les plus grands. Cette fasciste de la première heure s’est surtout située aux premières loges pour voir l’Italie giolittienne basculer dans la dictature, avant que le Regime sombre corps et bien pendant la Deuxième Guerre mondiale. On ne peut donc que se réjouir que la traductrice de l’italien Françoise Liffran, déjà auteur de Rome, 1920: le modèle fasciste, son Duce, sa mythologie, s’intéresse à cette vie passionnante avec Margherita Sarfatti. L’égérie du Duce.

L’ouvrage pose cependant problème à l’historien. La bibliographie fournie en fin de livre est complète. Mais les sources – quand l’auteur choisit les citer, ce qui est rare – apparaissant tout au long de la biographie laissent, elles, pantois. Il s’agit principalement de Dux, hagiographie de Mussolini rédigée au milieu des années 20 par Margherita Sarfatti, de Mussolini, como la conocì, série d’articles écrits par une souveraine déchue et amère exilée en Amérique du Sud, et d’Acqua passata, « mémoires » d’une vieille dame plus désireuse de laisser une bonne image d’elle que d’apparaître objective. Sans pour autant critiquer les intentions de l’auteur, sa biographie doit donc, hélas, être considérée avec réserve.

Une formidable opportuniste

Françoise Liffran dresse néanmoins un portrait peu flatteur de Margherita Sarfatti. Socialiste sans vraiment en partager les idées au début du XXème siècle, prête à parler partout des femmes dans la société italienne tout en exécrant le féminisme, la riche bourgeoise vénitienne apparaît surtout comme une formidable opportuniste. Tout au long de sa vie, elle cherche avant tout à attirer la lumière sur elle, allant jusqu’à utiliser la mort de son jeune fils pendant la Première Guerre mondiale pour être honorée ou reniant la foi juive pour se convertir au catholicisme peu après les accords du Latran entre le Duce et le Vatican.

Son adhésion au fascisme n’est pas, en revanche, conjoncturelle. Après avoir découvert Benito Mussolini en 1912, elle est l’une des rares à rester à ses côtés lorsque la situation politique du jeune tribun semble désespérée, peu après la Première Guerre mondiale. Elle l’aide financièrement et le conseille dans sa tactique politique, notamment à travers l’aventure journalistique du Popolo d’Italia, tout en devenant l’une de ses nombreuses maîtresses. Ainsi, la marche sur Rome qui amène Mussolini au pouvoir constitue également le succès de Sarfatti qui s’imagine alors déjà reine de Rome.

Mussolini, le personnage central du livre

Malgré son salon prisé par diverses personnalités et son soutien prononcé au courant artistique Novecento italiano - qu’elle imaginera être le fer de lance du renouveau culturel porté par le fascisme - le règne du Duce va pourtant se traduire comme une irrémédiable chute pour sa première supportrice. Sa mise à l’écart progressive en dit beaucoup sur Mussolini auquel Françoise Liffran consacre au final la majorité de son livre, reléguant souvent Margherita Sarfatti au second plan. On retrouve le chef fasciste tel qu’on peut l’apercevoir chez Renzo De Felice ou Pierre Milza : égocentrique, violent, incapable de faire confiance à ses proches et de concevoir une politique à long terme.

L’ouvrage met également en avant l’erreur fatale du chef fasciste qui, peu après l’arrivée des nazis au pouvoir, choisit de s’entendre avec Hitler, contre l’avis, semble-t-il, de Margherita Sarfatti. La promulgation des lois raciales, en 1938, symbolise cette alliance qui précipite l’Italie dans la guerre et dans le précipice de la défaite. 

Les attaques contre les Juifs et sa déchéance personnelle poussent l’ancienne favorite à quitter son pays. C’est depuis l’Argentine qu’elle vit la mort du Mussolini et du fascisme. En 1947, de retour dans une Italie devenue républicaine, cette proche de la famille royale tente encore d’attirer les regards sur elle, sans succès. A sa mort, en 1961, le mystère reste entier autour de cette femme dont on ne peut, encore aujourd’hui, que supposer l’apport intellectuel au fascisme et sa réelle importance aux yeux de Mussolini. Sur ces deux points, la biographie de Françoise Littan n’a pas réussi à apporter de réponse