L'ensemble de l'œuvre de Philippe Sollers réduite en un livre de 120 pages.

Un livre multiple

Ce livre n’est pas un, il est multiple, il est légion. Imaginez l’ensemble de l’œuvre de Philippe Sollers – variée s’il est en car elle recouvre tous les genres : roman, essai, journal, monographies d’artistes, entretiens – réduite dans ce livre de 120 pages : trente ans de littérature condensés dans ce volume de la collection dirigée par Vincent Roy, intitulée "styles" (ce n’est pas un hasard, tout est style chez Sollers : "Le style, c’est l’homme même, pas celui que les autres, ou la société, voient ou croient").

Lorsque Vincent Roy propose à Sollers de collecter au fil de son œuvre ces pépites autonomes que sont les maximes ou pensées qui fleurissent sous sa plume, l’écrivain lui indique qu’un jeune homme de Rouen, Guillaume Petit, a déjà entamé le travail : c’est donc lui qui conçoit et réalise cet ouvrage. Le but de l’exercice : faire "apparaître une nouvelle dimension des livres de Philippe Sollers". Exit l’intrigue, la fiction, le "cinéma" du roman, pour ne garder que l’essentiel de ce qui fait la spécificité de Sollers : sa pensée – Sollers est un romancier qui pense, ce qui ne s’avère pas banal.


Un art de vivre

Quoi de neuf, en pays de Sollers ? Rien de spécial : depuis ses débuts, l’écrivain a ses obsessions, ses guerres : les femmes ("je n’aime que les femmes qui aiment réellement les femmes : comme vous savez sans doute, c’est très rare"), le sexe (pourtant : "Sex is so nothing"), la littérature, l’hypocrisie, la morale, le catholicisme, le temps (a-t-on réellement pris la mesure de cette phrase placée en exergue : "Le temps qu’on nous inflige n’est pas celui que je dis" ?).

Le lecteur feuilletant ses pensées est face à un portrait aux mille et une facettes, chaque phrase étant un miroir où se reflète leur auteur : "Ce qui me frappe d’abord, c’est mon absence de culpabilité. Toute ma vie, j’aurai plus ou moins essayé d’apprendre, comme on m’y invitait, à me sentir coupable. Je n’y arrive pas, je l’avoue… Je me sens innocent…" À l’instar des personnages d’Hitchcock, il est un innocent dans un monde coupable. Tout incite à la culpabilité, à la gravité, à la pesanteur voire à la lourdeur : Sollers préfère la légèreté, rejette l’esprit de sérieux qui envenime tout.    

Il esquisse un art de vivre qui serait aussi un art de jouir ou d’écrire – tout est lié, évidemment : "Pour savoir écrire, il faut savoir lire, et pour savoir lire il faut savoir vivre." Il défend le paradis contre la propagande qui le prétend ennuyeux: "Le paradis est mal vu", il vante les mérites du dix-huitième siècle – son siècle entre tous –, qui selon lui n’est pas derrière nous, mais bien plus en avance que nous.

Un art de vivre, oui, une discipline de plaisir qui confère sa saveur à la vie : "Je crois à ce qui me fait plaisir. Me transporte. M’enchante. M’allège. Me donne le sentiment d’un salut. Raisonnable, non ?" Aussi, avec lui, il est plus que temps d’être raisonnable.

Vous n’êtes pas obligé de croire, ni de comprendre, tout ce que ce Sphinx énonce, faites votre propre chemin à travers ces phrases parfois contradictoires, souvent percutantes, soyez légers ; la meilleure façon de lire ce(s) livre(s) est de l’ouvrir au gré du hasard, découvrir une pensée et la faire tourner dans sa tête, dans sa bouche, ainsi qu’une sucrerie : et c’est alors, par-delà les nuages qu’on nous inflige, le grand beau temps annoncé dans le titre : la joie communicative