Une exploration originale de l'histoire longue de la diffusion internationale des nouvelles et des transformations de la construction de l'actualité.
 

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Tauromachie : "bloodsports" pour les Britanniques, "art, culture et divertissement" pour les Espagnols et les Français. Les informations deviennent plus accessibles, s’internationalisent, sont diffusées par de nouveaux médias. Pourtant, loin d’observer l’homogénéisation immuable du traitement d’une même actualité, une diversité de représentations perdure. Le peu connu International Press Telecommunication Council, chargé de faciliter l’échange de nouvelles entre médias, ancre dans ses standards l’existence de différentes perceptions d’une même catégorie d’événements à travers les frontières.

Résultat d’un colloque tenu à Paris en mars 2007, l’ouvrage coordonné par Michael Palmer et Aurélie Aubert rassemble des pistes intellectuelles nouvelles sur la transnationalisation des actualités. Mélangeant contributions d’universitaires et de journalistes, l’anglais et le français, L’information mondialisée s’articule en quatre parties, qui analysent successivement le rôle de plusieurs types de médias dans la couverture des événements internationaux, les pratiques des correspondants de presse à l’étranger, les différentes narrations d’un même événement et enfin, au travers d’une approche plus socio-historique, la mondialisation des informations en tant que telle. Ce livre propose un ensemble de perspectives sur l’histoire longue de la diffusion des nouvelles et sur les mutations de la construction de l’actualité.


Le temps long de l’internationalisation des news

La mondialisation des actualités est bien souvent observée essentiellement au prisme de l’émergence d’un phénomène nouveau, tel que l’irruption d’un acteur venant modifier la structure de l’arène internationale des médias   . À rebours de ce tropisme, plusieurs communications retracent la transnationalisation des informations en empruntant la démarche de l’historien. De fait, les nouvelles ont commencé à dépasser les frontières, ou plus précisément à s’échanger entre capitales européennes, dès le XVIe siècle. Entre les villes d’Anvers, de Venise et d’Amsterdam, les marchands et hommes politiques partageaient des informations sur des sujets circonscrits aux batailles, naissances royales, nouvelles financières et miracles.

Le développement de ce réseau d’échanges d’informations a accompagné l’expansion du commerce. Dans son article, Terhi Rantanen rappelle d’ailleurs que ses acteurs s’intéressaient d’abord aux nouvelles traitant de leurs intérêts économiques. Dès lors, il n’est pas surprenant que Reuter, créateur de l’agence de presse éponyme, ait choisi d’établir ses bureaux le plus près possible de la bourse de Londres. De même, le premier accord signé en 1856 entre les trois leaders de l’information internationale – Reuters, Havas et Wolff – concernait l’échange d’actualités financières. Aujourd’hui encore, les grands médias mondiaux y consacrent une grande part de leur production journalistique et recourent très largement à la langue anglaise à cette fin.

Sorte de fil rouge des travaux du professeur franco-britannique Michael Palmer, l’emploi de la langue anglaise par les médias internationaux se trouve à nouveau au centre de son analyse. L’auteur souligne tout l’intérêt de cet idiome pour les professionnels de l’information. Là où les journalistes sont contraints par une exigence de concision et de rapidité, l’anglais se révèle bien moins consommateur de signes. Les traducteurs évaluent à 30 % le gain de place obtenu en passant du français à l’anglais. Cette lingua franca de la mondialisation est également préférée pour diffuser des nouvelles au sein de la mosaïque linguistique européenne.

S’il existe du reste une région qui compte en matière d’information internationale, c’est bien l’Europe. Contrairement à l’opinion commune voyant dans les médias américains les acteurs prépondérants de ce secteur, Jeremy Tunstall montre leur perte de parts de marché et de crédibilité depuis les lendemains de la guerre du Golfe   . Il rappelle que deux des trois plus grandes agences de presse – l’Agence France Presse (AFP) et Reuters – sont établies sur le continent européen et relève la forte présence de l’agence espagnole EFE en Amérique du Sud. L’Europe bénéficie également du plus important réseau d’échanges de nouvelles entre chaînes avec la plateforme Eurovision News (EVN). En somme, selon cette analyse, l’espace communautaire prévaut à nouveau dans le domaine de l’information mondiale.


Les chemins de la construction de l’actualité

Plutôt que de s’arrêter aux médias les plus visibles de l’actualité internationale – chaînes d’information en continu ou stations de radios –, plusieurs articles du livre se penchent sur les agences de presse, acteurs souvent délaissés de ce type d’études   . Au total, l’ensemble de la chaîne de la construction des informations est déclinée dans ce livre.

Alors que chaque support semblait avoir un rôle bien établi – aux agences de presse l’annonce de scoops, aux chaînes de télévision leur couverture en continu –, la contribution de Camille Laville analyse de façon convaincante la reconfiguration de leurs fonctions respectives. Dans la chasse aux exclusivités, les journalistes agenciers rencontrent plus de difficultés à obtenir des témoignages inédits que leurs confrères reporters d’images. Faute d’un service vidéo conséquent, l’AFP se voit ainsi rattrapée par les chaînes d’informations mondiales avides de breaking news. Chaînes d’information et agences entrent alors en concurrence sur un terrain identique.

Les agences de presse se voient toutefois confortées dans l’un de leurs rôles. Elles continuent de hiérarchiser l’urgence des actualités en leur accordant différents degrés d’importance. L’événement jugé le plus pressant verra la production d’un type de dépêche exceptionnel, le flash. Au travers d’une recherche empirique, Eric Lagneau, journaliste à l’AFP et doctorant, s’intéresse au format même des flashs et à ses conséquences. Comportant un maximum de dix mots, sans titre ni mot clé, le flash est utilisé en moyenne seulement 6 à 9 fois par an depuis 1997. C’est dire si les événements concernés comportent une dimension extraordinaire : élection d’un nouveau président, déclaration de guerre, annonce d’un cessez-le-feu. Au total, la part des dépêches urgentes concerne seulement 4 % de la production annuelle de l’AFP. Ce sont pourtant elles qui, en suivant la terminologie agencière, détermineront largement les informations "dominantes" de l’actualité.

À côté des agences de presse avec lesquelles les audiences entretiennent des rapports essentiellement indirects, les chaînes d’information constituent des acteurs plus aisément reconnaissables du paysage médiatique transnational. Amal Nader retrace la montée en puissance de la pan-arabe Al-Jazira et les critiques qui lui sont adressées. Defne Gursoy décrypte, quant à elle, les mutations des médias de l’Hexagone. Elle en souligne le changement d’objectifs. Là où Radio France Internationale (RFI) et son précurseur, le Poste colonial, ont longtemps visé à diffuser la "voix de la France", les dirigeants en charge de l’Audiovisuel extérieur entendent désormais apporter un "regard français" sur l’actualité mondiale. L’auteur de cet article, seul du livre à parler du média radio, omet toutefois de questionner la signification de ce changement. Au fond, qu’il s’agisse de son ou de vidéo, le mouvement reste le même : les programmes sont diffusés et conçus très largement depuis la France, en priorité pour des publics situés hors de l’Hexagone. Dès lors, le slogan "regard français" consisterait surtout en un outil marketing visant à insister sur l’indépendance de leurs rédactions à l’égard de l’État français.

Au-delà de l’examen du fonctionnement des médias, plusieurs contributions s’attachent à comparer différentes narrations d’un même événement. Les articles de Jocelyne Arquembourg et Jérémie Nicey sur les traitements du tsunami de 2005 apparus en Inde, en France et en Suède figurent parmi les plus réussis de cette catégorie. D’autres communications de nature d’abord réflexives sur la couverture de la chute du mur de Berlin par un correspondant, puis plus sociologiques sur les journalistes français et italiens accrédités auprès de l’Union européenne participent à restituer la complexité de la transnationalisation et de la mise en mots des informations.

L’émergence de sites Internet participatifs susceptibles de favoriser la création d’arènes discursives sur l’actualité internationale ne fait l’objet que d’un article. En s’intéressant au site Agoravox, Aurélie Aubert recense ainsi que 12 % seulement des articles postés en février 2007 concernait des sujets extra-hexagonaux. Elle montre leur caractère éditorialisant et conclut sur leur faible apport en termes d’informations neuves.

Bousculant les frontières disciplinaires, ce recueil d’une vingtaine de contributions de qualité inégale apporte tantôt un éclairage d’historien, tantôt de sociologue ou bien encore de sémioticien. Il explore la diversité des approches scientifiques existantes sur les actualités internationales et donne matière à réfléchir sur une face peu documentée de la mondialisation, celle des informations