Un regard de psychanalyste sur le président Sarkozy.

Médecin psychiatre et psychanalyste, René Major s’intéresse particulièrement au lien entre la psychanalyse et la politique, animant sur ce sujet un séminaire de l’IHEP (Institut des hautes études en psychanalyse situé à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm). Dans son ouvrage intitulé L’homme sans particularités, où s’alternent réflexions et "dialogue", il nous livre ses réflexions sur le discours politique des dernières élections françaises.

 
La démocratie

Si l’homme se demande ce que veut la femme et si la femme se demande ce que veut l’homme, le pouvoir politique ne se demande pas ce que veut le peuple : il prétend le savoir. En effet, nous dit l’auteur, l’homme ou la femme politique attendent du peuple qu’il se reconnaisse dans leur désir, qu’il s’y identifie. Mais alors, la question est posée : "Pourquoi est-ce que nous ne l’écoutons pas [le/la candidat(e)] avec le juste soupçon ?"   Car, nous dit l’auteur, la démocratie est une promesse dont l’accomplissement ne cesse d’être différé. Promesse de meilleure démocratie véhiculée par des discours politiques qui séduisent le peuple, amenant une identification massive de celui-ci au désir de tel leader politique. Tout laisse donc croire à une élection démocratique confirmée par un vote massif envers tel candidat. Et pourtant, certains pouvoirs politiques ainsi élus, de façon démocratique avec un vote clair du peuple, pourraient néanmoins en arriver à détruire l’égalité et la liberté… 

Comment une telle manipulation serait-elle possible ? Peut-être suffit-il de s’inspirer des États-Unis et de transformer le meeting politique où pourraient se débattre des projets et des idées en de grands shows avec des vedettes de la télévision ou du cinéma populaire. Ajoutez à cela le renoncement à l’exigence d’une haute orientation éducative et culturelle au profit de slogans et tout laisse croire à une forte proximité entre le leader politique candidat et le peuple qui va l’élire. L’expérience montre que cette croyance disparaît dès qu’il obtient le pouvoir. René Major se réfère alors à une caricature de Plantu publiée seulement quelques jours après l’élection du président : "silence les pauvres", rappelant que cet homme si proche du peuple durant sa campagne présidentielle est parti en jet privé sur un yacht en Méditerranée une fois élu.

Mais transformer le meeting politique en show populaire ne suffit pas. Il faut en passer par un "récit de soi" auquel le président s’est livré sans pudeur : "J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé (…). J’ai changé parce que le pouvoir politique m’a changé (…). J’ai changé parce qu’on change forcément quand on est confronté à l’angoisse de l’ouvrier qui a peur que son usine ferme." Vers quoi change-t-on, pourrait-on se demander. Et la recette est partagée, sa rivale faisant de même : "En tant que mère, je veux pour tous les enfants qui naissent et grandissent en France ce que j’ai voulu pour mes propres enfants." S’ajoute enfin le discours performatif du futur élu : "Je dis tout ce que je ferai et ferai tout ce que je dis", clamant : "Je veux une démocratie irréprochable." Cette affirmation de son désir d’irréprochabilité amène sournoisement le peuple à croire que celui qu’il va élire est incorruptible. Mais comment pourrait-on exiger d’une démocratie qu’elle soit irréprochable et être soi-même corruptible, sensible aux enjeux financiers des amis au détriment d'une plus juste répartition ? Finalement, le candidat finit par se faire applaudir et élire par ceux-là même qu’il est en train de duper.


René Major souligne alors que cela nous amène à une nouvelle droite. Fini "la fracture sociale" de Chirac, "la France d’en bas et la France d’en haut" de Raffarin, voici que la droite protège "ceux qui se lèvent tôt et qui travaillent dur" des autres, c’est-à-dire des "assistés". Le travailleur n’est donc plus défendu par la gauche, mais par "une droite décomplexée".

 
Le pragmatisme

Sarkozy disait : "Il faut mettre du pragmatisme dans les relations internationales." Cela permettait à "Kadhafi de se racheter une conduite dans ce monde où les droits de l’homme sont devenus étroitement liés aux droits de l’homme d’affaire"   , dit l’auteur.

Ce pragmatisme mêlé à ce que la démocratie peut exiger devient dangereux. En France, on en arrive à vouloir dépister précocement les troubles des enfants, tendant vers un zéro délinquance, avec pour moyen la prise de thymorégulateurs dès le plus jeune âge. Puis ce fut le fichage sur lequel le gouvernement est revenu.

Finalement, nous en serions à un semblant de démocratie, semblant qui se confond avec la jouissance de chacun. Ainsi, "les tribulations amoureuses du président français, montre bien que les avatars privés de la jouissance offerte en spectacle sont devenus une donnée de la politique (…). Au soir même des élections législatives, Ségolène Royal annonçait sa séparation de François Hollande, père de ses enfants et secrétaire du Parti socialiste. La séparation du couple et le divorce politique venaient à se confondre."   "Dans la mesure où le pouvoir met à son service la vie sexuelle, il entraîne une désidéalisation du politique et sa déstructuration comme telle. On est passé de la société de spectacle au spectacle sans société."  

 
La politique sexuelle

L’Homme sans particularités préfiguré par Melville passe par l’abolition de la différence des sexes comme "particularité" fondamentale, nous explique René Major, qui met en avant qu’autrefois, la religion et la morale imposaient des règles à la sexualité. Aujourd’hui, cela n’est plus le cas et ce sont les lois qui y suppléent. Ainsi, "l’apparente liberté sexuelle que notre modernité aurait acquise n’a fait que renforcer un hypermoralisme qui s’exerce au nom des lois"   . Et l’auteur ajoute que "pour ceux qui parviennent à se contrôler eux-mêmes, l’apparente liberté est en réalité une contrainte, un impératif de jouissance, que ce soit du sexe, du pouvoir, des objets de consommation en tout genre. Cette contrainte ne cesse de fabriquer des semblants d’objets de luxe, de croyance, d’amour, de sexe, et même de parole."  
 
Pourtant, cette abolition de la différence des sexes contient un irréductible qui n’est pas une injustice, sauf à considérer dans l’après-coup qu’on devrait pouvoir choisir son sexe ou de ne pas être né, et que la société aurait alors le devoir de réparer cette injustice. Et réclamer la liberté de ses choix et de ses pratiques sexuelles serait ignorer que cela appartient à des déterminations conscientes et inconscientes "et qu’elles s’apparentent davantage à des contraintes auxquelles nous pouvons consentir qu’à la liberté que nous croyons nous octroyer"   . René Major précise que la "liberté sexuelle" a peu à voir avec la liberté.

"Le désir resexualise la morale interdictrice comme les sévices infligés peuvent être érotisés, la douleur se muer en plaisir et le plaisir en souffrance."   Et il prend l’exemple du harcèlement sexuel qui est maintenant apprécié en fonction d’"agissements dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle."   Ainsi, fini les caractérisations du harcèlement par des ordres, des menaces, des contraintes ou pressions graves. Mais alors, comment fait le juge avec l’éventuel fantasme du plaignant projeté sur le harceleur présumé, et l’éventualité que des avantages soient espérés par l’accusation… Ainsi, la "libération sexuelle" est accompagnée de lois et de contraintes de plus en plus dures, punitives, mais aussi de plus en plus vagues, voire contradictoires.


La question du discours

Ainsi, la psychanalyse nous apprend qu’il faut questionner le discours, que quand l’analysant dit "je", ce "je" peut être un autre : un parent, un éducateur etc. L’analysant arrive avec son symptôme auquel il ne comprend rien et qui lui semble étranger. Il ne se reconnaît pas dans cet état qu’il peut qualifier de dépressif, il ne comprend pas pourquoi il s'alcoolise massivement alors qu’il ne le voudrait pas, il se demande pourquoi ça rate toujours etc.

En revanche, le discours politique veut nous faire croire le contraire, que le président dit "je", et que c’est bien lui qui parle, qu’il ne dit que ce qu’il dit, même quand il lui arrive de faire des lapsus. Or, nous le savons bien, un homme au pouvoir cite presque toujours les propos d’un autre. Ce que René Major ramène à cette phrase : "Le responsable du discours n’en est pas politiquement responsable, et le responsable politique est irresponsablement responsable."  

Pour conclure, disons que ce petit livre amène des réflexions sur la politique actuelle. La psychanalyse n’est pas au centre de la question mais vient éclairer la question politique tout en restant présentée dans un langage simple et accessible par tous. Osons ce regard différent sur notre démocratie