Une synthèse claire, des propositions constructives, le tout suspendu aux bulletins irlandais.

C’est avec un opus dense et destiné à un public averti en matière européenne que Jean-Louis Quermonne a voulu décrire sa vision de l’état de la construction européenne au moment où le Traité de Lisbonne est soumis à ratification. Une synthèse dont le temps est le fil rouge : il s’agit de replacer l’aventure européenne dans un schéma temporel qui permettrait, selon Jean-Louis Quermonne, de l’appréhender et de la diriger plus justement.


Une idée de l’Europe et de son Union

Le temps long pour Jean-Louis Quermonne, c’est d’abord revenir sur ce qui a fait la construction européenne. Soulignant le caractère fondateur de la Déclaration Schuman du 9 mai 1950 en la qualifiant de "révolution diplomatique", il opère une synthèse historique réussie des avancées et des crises qui ont marqué cinq décennies. Il souligne en particulier l’importance, bien au-delà du symbolique, des élargissements de 2004 et 2007, qui n’ont pas consacré la réduction de l’Union européenne à un simple marché unique, mais lui ont permis d’atteindre la "taille critique" nécessaire à la crédibilité de sa puissance politique. À ce sujet, Jean-Louis Quermonne rappelle que leur interprétation court termiste, nationale et populiste a largement contribué au rejet du projet de Constitution européenne par la France et les Pays-Bas, rejet qui a laissé inachevée une refondation politique partiellement entamée à Maastricht en 1992.

En conséquence, une des leçons à tirer de l’ouvrage est que l’Union européenne doit être considérée sur la base de ce qui fait sa spécificité. Face à toute autre coopération entre États-nations, elle propose une citoyenneté, des politiques communes et une méthode communautaire. L’histoire et la géographie participant mais ne suffisant pas à la définir, il faut considérer les valeurs que partagent ses membres, et en particulier le respect de la vie humaine. Non qu’il faille inclure quiconque les respecte, prévient Jean-Louis Quermonne ; mais l’identité et les valeurs de l’Union européenne doivent guider les choix d’élargissement. Cependant, se confinant à exclure des possibilités d’adhésion la Russie, le Moyen-Orient et le Maghreb, Jean-Louis Quermonne ne prend pas position sur la question de pays tels que la Turquie ou l’Ukraine. L’identité et les valeurs de l’Union permettront également de réussir l’intégration des douze nouveaux États membres. Or dans cette optique, la disparition des symboles dans le Traité de Lisbonne (hymne, drapeau, ministre, lois) n’est pas de bon augure. Ce à quoi on pourra toujours objecter que disparaissent là des symboles typiques des États-nations.


Un modèle politique inédit et inachevé

Car le temps long, c’est également accepter l’Union européenne comme un modèle en construction, un projet politique nouveau et inachevé : se demander ce qu’est l’Union europenne n’est pas aussi crucial que se demander ce qu’elle sera. Rejetant toute tentative d’analyser le système politique communautaire à partir des modèles établis pour les États-nations (ni confédération ni État fédéral, ni consensus technocratique ni polarisation politique extrême,…), Jean-Louis Quermonne analyse les potentialités de Lisbonne et avance un certain nombre de propositions pour le futur.

 



Partant du principe que le seul avenir que l’on peut espérer pour l’Europe est celui d’une union politique plus poussée, Jean-Louis Quermonne en déduit que l’Union doit continuer à inventer son propre modèle sans précédent, celui d’une fédération d’États-nations, selon l’expression de Jacques Delors. Si le Traité de Lisbonne ne règle ni la question de la lisibilité ni celle de la multiplicité des modes de décision, il a le mérite de clarifier dans une certaine mesure le fonctionnement institutionnel, souvent en reprenant des dispositions du Traité constitutionnel abandonné. La réforme de la Commission est repoussée, notamment à 2014 pour la réduction du nombre de commissaires. C’est là le point central des multiples propositions simplement évoquées ou délibérément soutenues dans l'ouvrage, parfois avec confusion et redondance. Voulant réintroduire la Commission dans le jeu en refondant sa collégialité, Jean-Louis Quermonne privilégie l’extension à certains domaines du statut de double portefeuille (commissaire et président du Conseil des Ministres dans la formation correspondante) confié au Haut Représentant pour la Politique extérieure par le Traité de Lisbonne. Détail d’importance, chaque État membre pourrait ainsi garder un commissaire, certains avec cette double casquette, d’autres sans.

L’ensemble de l’analyse repose sur l’hypothèse que le Traité de Lisbonne entrera en vigueur. Or rien n’est moins sûr, et Jean-Louis Quermonne montre bien que les scénarios déjà expérimentés pour sortir de ce type de crise ne sont pas réutilisables à l’infini : un nouveau "non" irlandais mettrait l’Union face à un formidable un coup d’arrêt, face auquel cet ouvrage ne permet pas de se préparer