À travers la nomination de Michel Devoret comme professeur au collège de France, la physique mésoscopique française reçoit enfin ses lettres de noblesse.

L’information arrive parfois jusqu’aux oreilles du grand public : les nano-objets sont parmi nous. La microélectronique a fait de tels progrès depuis l’apparition des premiers ordinateurs, que l’on est maintenant capable de fabriquer des objets de tailles nanométriques (millionième de millimètre). On sait même, dans certains cas, contrôler de façon individuelle la position de chaque atome d’un dispositif. Ces nano-objets ont bien sûr des applications importantes, les fameuses "nanotechnologies" chères à nos dirigeants. Elles ont aussi eu un rôle clé dans l’apparition d’une nouvelle branche de la physique, la physique mésoscopique.

 

Au commencement était la mécanique quantique

Le socle sur lequel s’appuie la physique contemporaine se nomme mécanique quantique   . Cette théorie semble parfaite et, à ce jour, personne n’a réussi à mettre en évidence la plus petite déviation entre ses prédictions et la réalité expérimentale. De nombreux phénomènes, complètement inexplicables par les approches "classiques" antérieures deviennent tout à fait naturels dans ce cadre conceptuel. La mécanique quantique est au premier abord extrêmement déroutante. On y apprend qu’un atome ne se trouve pas quelque part, mais virtuellement à plusieurs endroits à la fois. On y apprend aussi qu’un atome motivé peut traverser les murs (effet dit "tunnel"). On y apprend encore que si l’on sait où va un atome, alors il est complètement impossible de savoir où il se trouve. Et inversement.

 

Une physique nouvelle, apparue dans les années 1980

La mécanique quantique fut à ses débuts intimement liée à la physique atomique (la physique de l’atome "isolé"). L’explication du spectre d’absorption de l’hydrogène fut, par exemple, un des premiers succès de la théorie. Encore aujourd’hui, l’enseignement de la mécanique quantique  reste tourné principalement vers la physique atomique et ses problématiques. D’un autre coté, une grande partie des physiciens était plongée dans la physique dite "de la matière condensée" (ou physique des solides), et s’intéressait à des objets de tailles macroscopiques. Pourquoi l’or conduit-il le courant et pas le diamant ? Pourquoi l’aluminium devient-il supraconducteur à basse température et pas l’argent ?  Pourquoi un aimant attire-t-il le fer, le nickel et le cobalt mais pas le platine ni le cuivre ? Toutes ces questions, et d’autres, faisaient partie des interrogations de cette physique et la mécanique quantique est vite apparue comme indispensable pour rendre compte de ces divers phénomènes.

Au fur et à mesure que les progrès des techniques de microélectronique permettaient de créer des objets de plus en plus petits, la physique des solides a pu quitter l’échelle macroscopique pour se rapprocher de l’échelle atomique. En plongeant ces petits objets micrométriques (millième de millimètre) à très basses températures (quelques millièmes de degrés absolus, soit environ -273° Celsius), on pouvait créer les conditions pour que les effets les plus spectaculaires de la mécanique quantique envahissent des objets de dizaines de milliers d’atomes. C’était le début d’une nouvelle physique, la physique mésoscopique.

"De l’atome aux machines quantiques"

Quelques vingt-cinq ans plus tard, la physique mésoscopique française reçoit ses lettres de noblesse à travers la nomination de Michel Devoret à la première chaire de physique mésocopique du Collège de France. Dans sa leçon inaugurale "De l’atome aux machines quantiques" – reproduite dans son livre – M. Devoret nous présente cette physique et les concepts clés qui y sont attachés. Ce petit livre tente en une centaine de pages un pari difficile : présenter quelques expériences marquantes de la physique mésoscopique et aborder le cadre conceptuel permettant de "penser" ces expériences, le tout dans un langage simple, accessible aux non scientifiques.
   
Prenant son lecteur par la main, l’auteur raconte, entre autres, l’expérience du "contact ponctuel quantique". On mesure la résistance électrique d’un fil au milieu duquel on a pratiqué une constriction, ce qui force les électrons  à passer à travers une région extrêmement étroite. Cette expérience révèle le caractère quantique des électrons : quel que soit le matériau utilisé, on mesure toujours la même conductance : le "quantum universel de conductance", dont la valeur – 2e²/h – est donnée par les constantes fondamentales e (charge de l’électron) et h (constante de Planck). Dans cette expérience, un même électron passe continûment de notre monde macroscopique (le générateur de courant et le voltmètre utilisés par l’expérimentateur qui se trouvent à température ambiante reliés par de simples fils de cuivre) au monde quantique (la partie du fil où se trouve la constriction qui est placée à basse température dans un cryostat à dilution).

D’autres expérimentations ont suivi. Dans certaines, on fait passer les électrons par plusieurs chemins à la fois, ou on les force à tourner toujours à droite à chaque carrefour. Dans d’autres, on construit des "atomes artificiels" et ainsi les prémisses de ce qui pourrait être un jour un ordinateur quantique.

Cette physique n’est pas souvent mise à la portée du grand public. Elle est ici expliquée par un de ses acteurs majeurs. M. Devoret a cherché à rendre sa recherche abordable sans trop sacrifier à la précision de son propos. Le résultat est un texte riche et agréable qui ravira tous ceux que le monde quantique fascine