Un livre original parmi les essais d'auteurs socialistes : une démarche mendésiste fondée sur la probité des convictions.

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Gaëtan Gorce est un homme politique à l’ancienne et pourtant il est résolument moderne. À l’ancienne parce qu’il croit dans ce qu’il dit. Quand il défend des positions, ce ne sont pas, contrairement à beaucoup de ses camarades de parti, de simples postures – on l’a ainsi vu ces dernières années batailler ferme sur les questions sociales pour le groupe socialiste de l’Assemblée nationale ou encore se battre pour faire avancer la législation sur la fin de vie… Il a des convictions et ce sont celles-ci, et uniquement celles-ci, le sujet de son livre. Mais les idées du député-maire de la Charité-sur-Loire ne sont pas pour autant datées. Elles sont même souvent iconoclastes au parti socialiste. Elles lui valent une réputation de franc-tireur. Ancien-moderne encore car, s’il place délibérément sa plume sous l’autorité tutélaire de Mendès-France, c’est pour mieux esquisser ce que pourrait être le projet du parti socialiste pour demain – celui d’aujourd’hui est à la fois périmé, inconsistant et inaudible. Un parti enfin libéré de ses habitudes mortifères, prêt à se battre dans son siècle sur ses propres positions plutôt que dans le précédent au nom d’une idéologie qui n’a jamais été la sienne, et qu’il n’a d’ailleurs jamais réellement pratiquée aux affaires.



La hauteur de vue dont fait preuve l’auteur tout au long de chapitres quasi-programmatiques ne l’empêche pas pour autant de dessiner d’excellents portraits de quelques-uns des principaux responsables socialistes de notre époque. Il les connaît par cœur pour avoir partagé avec eux de longues heures dans les salles de réunion de la rue de Solferino. Ainsi montre-t-il bien que Laurent Fabius ne s’est jamais remis d’un début de carrière fulgurant, passant en une dizaine d’années du statut de jeune prodige du système scolaire français à celui de Premier ministre par la seule grâce de François Mitterrand. Ou encore combien le talent exceptionnel pour l’intrigue et la tactique d’un François Hollande s’est toujours déployé dans le vide, ne servant jamais aucun projet, ni aucune idée ("un Mazarin sans cause" !). On regrettera, au passage, l’absence d’un portrait de Ségolène Royal que l’auteur a côtoyée de près, notamment pendant la dernière campagne présidentielle.



L’analyse de Gaëtan Gorce sur le parti socialiste est tout aussi impitoyable que les positions qu’il a assumées publiquement ont étées courageuses : notamment sa démission des instances dirigeantes du parti après l’élection présidentielle de 2007. Une "élection ingagnable" à ses yeux, tant ce parti – collectif souvent indistinct sous la plume de l’auteur qui, comme beaucoup de ses condisciples formés à l’ENA, n’est pas vraiment porté sur la précision sociologique… – s’était acharné à empêcher tout candidat issu de ses rangs d’être en situation de gagner et à produire un projet périmé avant même d’avoir été écrit. Les Français n’attendaient plus rien du PS comme le dit l’auteur, ce qu’ils lui ont très clairement signifié lors de toutes les élections nationales depuis 2002.



Que faire ? Se tourner vers les autres, les partis-frères européens notamment ? C’est sans doute la partie la moins aboutie de l’essai de Gaëtan Gorce. Mais comment peut-il en être autrement au moment où toutes les gauches de gouvernement en Europe, qu’elles soient au pouvoir ou dans l’opposition, tâtonnent, hésitent ou encore bégaient leur programme de réformes des années 1990. L’auteur le montre bien pour le nouveau travaillisme britannique qui, après avoir montré la (troisième…) voie, cherche désespérément un second souffle. Idem pour la fameuse "social-démocratie" suédoise. Tout ça finalement pour quoi faire ? Prôner le retour en force de l’État dans la régulation de l’économie ? Certes, mais comment ?

 



C’est le cœur du livre de Gaëtan Gorce qui repart de l’économie, à la Clinton version 1992 ("It’s the economy, stupid !"), pour indiquer quelques pistes à suivre par la gauche pour les années qui viennent. Notamment, celles qui nous séparent de la présidentielle de 2012. Les développements sur la production, le travail, la justice sociale et même l’enseignement supérieur sont d’une facture assez classique même s’ils sont toujours intéressants. On aurait aimé parfois que l’auteur aille plus loin, montre plus d’audace, mais on ne se libère pas comme ça, du jour au lendemain, d’un sens aiguisé de la responsabilité (une éthique mendésiste, celle dont Max Weber gratifie au premier chef le politique), poli par des années de lutte et de présence dans les instances dirigeantes du PS.



Le chapitre 8 ("Se faire une autre idée de la République") est sans doute le plus abouti et le plus original à la fois. On sent bien là à la fois le poids de l’expérience de l’élu, toujours utile en la circonstance, et la profondeur de l’engagement de l’homme qui n’est pas prêt à laisser ni les vieilles incantations du XIXe siècle, ni les illusions de la tolérance sans limites emporter un modèle d’intégration des différences dans lequel il croit profondément. Cette république là ("nouvelle" osera-t-on pour rester dans la filiation mendésiste) ne peut aller sans une "démocratie forte", dont le développement à travers une participation tous azimuts des citoyens est la garantie.



Reste donc à assumer – et à se battre pour… – l’avènement d’un "moment Mendès-France", ainsi que le souhaite Gaëtan Gorce en conclusion. Principes forts, idées claires, transparence de l’action, responsabilité assumée devant les citoyens… Bref, une politique modernisée en forme de retour aux "fondamentaux" comme peuvent le dire parfois les (bons) entraîneurs sportifs. Revient alors à l’esprit cette devise du prince d’Orange, "Je maintiendrai...". Gaëtan Gorce maintient pour l’avenir (de la gauche, du PS, de la France…?), une petite flamme faite à la fois de conviction et de responsabilité qui a quelque chose de rassurant par les temps qui courent