Demain, mardi 29 avril, les députés examineront le nouveau projet de loi sur les Archives. Adopté en première lecture par le Sénat le 8 janvier, ce texte a suscité depuis une véritable polémique. Une pétition, lancée le 12 avril par l'Association des usagers du service public des archives nationales (AUSPAN), a recueilli en trois jours 500 signatures d'historiens, de sociologues, de philosophes, de généalogistes, ou de simples citoyens. Au 27 avril, le nombre des signataires s'élevait à 1271.

Tous protestent contre ce projet considéré comme une régression, sous-tendu par une "culture du secret". "Au-delà d'une discussion qui semble ne concerner que les spécialistes, une telle loi menacerait la recherche en histoire et la liberté des citoyens. Loin d'être seulement de vieux papiers d'Etat, les archives publiques demeurent au centre de la cité et participent pleinement de la démocratie" écrit l'historien Vincent Duclert dans une tribune publiée par le jounal Le Monde le 16 avril.
La Ligue des droits de l'homme ainsi que le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire (CVUH) ont également exprimé leur inquiétude.

Ce projet de loi du ministère de la Culture se présentait pourtant, à l'origine, comme un texte d'ouverture. En permettant aux citoyens "d'accéder avec plus de facilité aux sources de leur histoire", le projet visait à libéraliser la grande loi du 3 janvier 1979. Ainsi, le principe de la "libre communicabilité" devait-il remplacer le délai de trente ans qui était jusqu'ici préalable à toute consultation d'archive publique.
Même si une nouvelle catégorie d'archives "incommunicables" étaient créées, concernant les armes de destruction massive et la protection des agents secrets, le texte, en réduisant et simplifiant les délais de communicabilité, apparaissait comme un réel progrès aux yeux des chercheurs : il permettait en effet de concilier les exigences de la recherche, la demande de transparence administrative exprimée par la société ainsi que l'impératif de protection des données individuelles et personnelles.

Mais le texte a été modifié de façon significative par le Sénat, en janvier, et ce contre l'avis du gouvernement. Sous la pression des notaires, notamment, il a ainsi réduit la portée de certaines mesures. Mais surtout, les sénateurs ont, selon les signataires de la pétition, durci certains aspects du régime existant. Un exemple : au motif de l'allongement de l'espérance de vie, le texte révisé par les sénateurs fait passer de soixante à soixante-quinze ans le délai de consultation pour les "documents dont la communication porte atteinte à la vie privée". Pour le rapporteur UMP du texte au Sénat, René Garrec, cela répond à une exigence fondamentale des citoyens. Mais si le texte était voté en état à l'Assemblée demain, la loi empêcherait l'accès à certains documents pour des périodes aussi sensibles que Vichy ou la guerre d'Algérie. Certaines archives concernant cette dernière période ne seraient ainsi disponibles qu'en 2037.

On comprend que pour l'historien, Benjamin Stora, spécialiste de la guerre d'Algérie, cette loi restreigne considérablement le champ de la recherche.

Parmi les signataires de la pétition : Alya Aglan, Jean-Pierre Azéma, Emmanuel Faye, Marc Lazar, Gérard Noiriel, Patrick Weil, Annette Wieviorka...

"Les nouvelles dispositions prévues par ce texte sont extrêmement graves et traduisent une défiance inquiétante de la part des pouvoirs publics envers la communauté des chercheurs certes, mais de façon plus globale, envers la communauté des citoyens. Elles sont en contradiction flagrante avec les recommandations du Conseil de l'Europe adoptées le 21 février 2002 par le comité des ministres", conclut l'appel de l'AUSPAN.

Il se pourrait toutefois que l'appel ait été entendu : la commission des lois de l'Assemblée a adopté une série d'amendements revenant sur certains des éléments les plus controversés votés par les sénateurs. Il faut pour cela que ces amendements soient confirmés demain en séance par le vote des députés.


** Retrouvez sur le site du Comité d'histoire parlementaire et politique, l'appel de l'AUSPAN aux députés et sénateurs, des liens vers les travaux législatifs en cours, ainsi que des liens vers les débats et articles de presse.

Lire également le point de vue de l'historien Vincent Duclert publié dans Le Monde.


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Crédit photo : Fredpanassac / Flickr.com