Un ouvrage passionnant qui réussit le pari de traiter avec exhaustivité le large domaine des musiques électroniques.

Des avant-gardes au dance-floor : tel est le sous-titre de l’ouvrage de Guillaume Kosmicki, présenté comme musicologue, enseignant, conférencier et « spécialiste du phénomène techno à travers les raves et les free parties » depuis de nombreuses années. Fort de son expertise en la matière, il nous livre cette quasi encyclopédie de ce qu’on appelle aujourd’hui l’électro. « Historiquement, sa première utilisation date de 1951, à Cologne. L’Elektronische Musik (Herbert Eimert, puis Karlheinz Stockhausen, Henri Pousseur, etc.) répond à un projet de langage musical savant et abstrait… » nous explique l’auteur dès les premières pages du livre, issues du chapitre Pour une définition, chapitre important s’il en est, et nécessaire. L’électro, terme à la fois fourre-tout et précis, est rarement soumise à recherche sémantique.

Le temps est donc venu de se pencher sérieusement sur la question de ces musiques électroniques. Guillaume Kosmicki s’attelle à la tâche avec minutie, choisissant de traiter le sujet d’un point de vue chronologique, lui conférant une aura historique – amplement méritée au vu de sa polymorphie. Pour ce faire, il donne d’abord une définition des musiques électroniques : « Il s’agit d’une ensemble de musiques reposant sur des sons d’origine acoustique ou de synthèse sonore, traités (réverbération, filtrage, transposition) puis enregistrés sous forme d’un signal analogique ou numérique (ou enregistrés puis traités), et destinés à être amplifiés puis retransmis dans par le biais de hauts-parleurs (…) ». Notons que l’auteur précise que cette définition s’est construite depuis les années 50, et qu’elle se serait peut-être bien mieux accommodée d’une autre appellation, comme celle d’ « art électroacoustique ». À méditer…

Après cette pointilleuse introduction, l’auteur s’attaque à la « révolution technologique » du XXe siècle. Sont successivement convoqués le Gramophone d’Emile Berliner, le tourne-disque à vitesse variable de John Cage, le Theremin Vox de Léon Theremin, les guitares électriques d’Adolphe Rickenbacker, les synthétiseurs de Robert Moog, le sampler, la M.A.0 (musique assistée par ordinateur), le logiciel Pro Tools, etc. Les courants précurseurs (1800-1950) s’attardent quant à eux sur des figures prophétiques de l’électro : Edgar Varèse, Eric Satie, Béla Bartok, John Cage…

L’essor de la musique électroacoustique (1928-2000) est traité de la musique concrète à la musique spectrale en passant par la fameuse musique minimaliste. Se succèdent dans une impressionnante logique la popularisation progressive du son électronique (1950-1970), la musique populaire expérimentale et dance music (années soixante-dix), l’avènement de la musique électronique (années quatre-vingt)… Pour arriver à ce que le néophyte considère comme de l’électro, en l'occurence l'émergence de la house et la techno (1985-1990), il faut attendre la page 251 ! Car, on l’a compris, le but ici est de brosser le portrait d’un genre musical aux milles facettes, dont aucune ne saurait dominer l’autre. Tous les artistes ayant de près ou de loin affaire avec l’électronique répondent présents : Philip Glass, Pink Floyd, les Beatles, Kraftwerk, New Order, Jeff Mills – et bien d’autres encore, mondialement connus ou presque inconnus au bataillon. Tous les lieux ayant accueillis sous leurs toits les vibrations de l’électronique lèvent la main : le Paradise Garage, l’UFO, le Ministry of Sound… Tous les styles possibles et inimaginables affublés de l’étiquette électro sont passés en revue : hardcore, downtempo, transe, big beat, electroclash, etc, etc.

Enfin, le retentissement européen (1987-2000) permet à Guillaume Kosmicki de se pencher un peu plus sur ce qui l’a conduit à se plonger dans l’électronique : le mix des DJ, le mythe des bienheureuses raves et free parties… En effet, « plus que dans aucun autre genre musical, les manières de construire un événement autour de la techno sur le principe du DIY   ont poussé le public à dépasser le cadre du simple consommateur pour s’investir à son tour. Là est le fondement même du principe de la rave : le spectacle, c’est nous tous. » Ce n’est pas sans émotion que l’auteur évoque les effets du MDMA, la drogue de la house et de la techno par excellence.

Musiques électroniques – des avant-gardes au dance-floor porte décidément bien son nom. Avec une justesse et une dextérité remarquables, Guillaume Kosmicki synthétise un siècle et demi d’électro, réfutant les a priori et détaillant chaque courant avec pertinence. Le sujet devient alors une histoire passionnante, richement documentée et touffue d’anecdotes. Rien n’est laissé au hasard, et le style aéré et accessible de l’auteur rend digeste cette avalanche d’informations, permettant au profane de se plonger avec aisance dans cet univers d’une poésie toute technique.

Guillaume Kosmicki tire sa conclusion d’un triste constat fait à partir des années 2000 : l’électro s’est tellement démocratisée qu’elle ne détient plus qu’un intérêt somme toute assez faible. La French Touch n’a, selon lui, jamais réellement existé. Si certains artistes savent tirer leur épingle du jeu, d’autres représentants actuels de l’électro comme Justice ne trouvent pas (ou si peu) grâce aux yeux de l’auteur. Et pour cause, leur son est « surproduit, extrêmement compressé et efficace mais sans aération ».

« Mais les faits sont là, la musique redevient un véritable vecteur de partage, d’appropriation collective et non plus un banal objet de consommation », retient cependant avec optimisme Guillaume Kosmicki. Polymorphes et bouillonnantes, les musiques électroniques ont prouvé qu’elles réussissaient à se transcender quoiqu’il arrive. Perpétuellement prêtes à l’évolution, les multiples branches de l’électro composeraient un arbre phœnix, inusable et recyclable à souhait. Le futur est en marche