Ombres chinoises et musiques de la Renaissance pour un spectacle jeune public.

Au moment d'entrer dans la salle du Théâtre Lévi-Strauss, de multiples bruissements enfantins nous parviennent. Et pour cause : le spectacle qui se donne cette après-midi dans le sous-sol du musée du quai Branly – Jacques Chirac est destiné à un (très) jeune public (à partir de cinq ans). À quoi rêvent les pandas ? est né de la rencontre entre Doulce Mémoire, un ensemble spécialisé dans la musique de la Renaissance, et le Théâtre d'ombres du Hunan, une troupe chinoise qui pratique un art traditionnel de la marionnette inscrit au patrimoine immatériel de l'UNESCO. Écrit et mis en scène par Vanasay Khamphommala, ce spectacle est un conte initiatique dans lequel nous suivons un jeune panda, qui découvre l'amitié, l'émerveillement et le danger, fait quelques cauchemars, apprend la fragilité du monde et grandit.

 

Protéger un monde en danger

Pour représenter cette histoire, les marionnettistes du Théâtre d'ombres du Hunan ont conçu de délicates marionnettes colorées, en cuir et en plastique, qu'ils manipulent contre un écran rétro-éclairé. Ce dernier présente un lieu unique, caractérisé par un grand arbre planté au bord de l'eau, qui évolue au fil de la représentation. L'arbre fleuri se dessèche et le monde s'attriste, abîmé par des habitants qui n'en prennent plus suffisamment soin. Il faudra une prise de conscience écologique pour que les fleurs réapparaissent.

C'est dans ce monde en danger que vit le jeune panda. Dans la tradition de la fable animalière, chaque animal revêt un ensemble de caractéristiques signifiantes. Le panda unit la force et la douceur. Il est associé à la Chine, qui en offre parfois à des pays alliés en signe d'amitié. C'est aussi une espèce menacée, ce qui prend tout son sens eu égard à la problématique écologique du spectacle. Le singe, avec lequel le panda se lie d'amitié, se caractérise par l'agilité, la vivacité et l'espièglerie. Ses entrées mettent en valeur la virtuosité des marionnettistes. Le crocodile, qui semble surgir du fond des eaux, inquiète, avec ses dents pointues et son corps hérissé. Mais s'il est d'abord perçu comme un danger, il est ensuite apprivoisé.

 

 

Son arrivée est très réussie : son apparition à l'écran est accompagnée de l'entrée en scène d'un hautbois Renaissance, dont la forme peut évoquer celle d'un crocodile, gueule ouverte, et dont le son semble de fait émaner de l'animal. Le merveilleux a aussi sa place dans ce monde poétique, comme en témoigne l'apparition d'un phénix, aux ailes de multiples couleurs. Consumé par le feu, il renaît de ses cendres, symbole d'une renaissance à laquelle le monde menacé peut lui aussi rêver.

 

Un voyage dans l'espace et le temps

De chaque côté de l'écran, à l'avant-scène, la soprano Clara Coutouly et des musiciens de Doulce Mémoire, vêtus de noir, sont installés sur des tabourets avec leurs instruments : luth et guitare renaissance (Miguel Henry), bombardes et flûtes (Denis Raisin Dadre), ainsi que diverses percussions (Bruno Caillat). Le spectacle se fait en partie à vue : les marionnettistes, dont l'ombre apparaît parfois sur l'écran, peuvent intervenir sur scène, aux côtés des musiciens. Ces interventions renforcent le caractère ludique du spectacle, sans nuire à la poésie de l'ensemble. De plus, le voyage est à la fois spatial et temporel : un art de la marionnette oriental, vieux de plusieurs centaines d'années, est accompagné de musiques occidentales de la Renaissance.

L'étrangeté est davantage sonore que visuelle, ce qui peut sembler un paradoxe pour des spectateurs occidentaux. En effet, alors que le théâtre d'ombres évoque l'esthétique de certains dessins animés connus du grand public (par exemple Princes et princesses de Michel Ocelot), les musiques interprétées sur scène sont moins familières. Il est difficile de les rattacher à une époque ou à un lieu précis. Sans être tout à fait perdus, nous sommes en terre méconnue. Néanmoins, loin de paraître incongrue, l'association de la musique et des images fonctionne remarquablement. C'est peut-être le plus surprenant : la rencontre des deux arts est si harmonieuse qu'on en oublie qu'elle n'allait pas de soi. Le dialogue des cultures qui est ainsi initié invite alors à s'interroger sur ce qui définit une identité : ce que nous croyons être un autre peut parfois sembler plus familier que ce que nous pensons être soi.

 

 

Un spectacle pour enfants poétique et ludique

Le spectacle présente plusieurs niveaux de lecture. L'histoire du jeune panda se prête à une lecture métaphorique, avec une dimension écologique. La forme spectaculaire elle-même, entre Orient et Occident, musique ancienne et pratiques contemporaines, invite à une réflexion sur la découverte de l'altérité, qu'elle émane d'étrangers ou de soi. Pour saisir les différents niveaux de lecture, il faut être sensible aux images animées sous nos yeux et aux musiques interprétées sur scène. La compréhension du spectacle peut être intuitive, notamment à l'écoute de mélodies anciennes, qui éveillent la nostalgie étrange d'un monde inconnu.

Si les interprètes s'expriment parfois, en français et en chinois, en assumant une fonction proche de celle d'un chœur, le texte demeure rare. Les personnages s'expriment moins par le langage que par la musique, et ce même quand il s'agit de chant. Ils peuvent aussi être associés à un interprète en particulier, sans que l'association soit systématique ou définitive. Ainsi, il arrive que la soprano dédouble le jeune panda, auquel elle prête ses expressions, son corps et sa voix. Là encore, le spectacle fait preuve d'une théâtralité à la fois poétique et ludique.

Certains passages sont cependant plus difficiles à comprendre. Que représentent par exemple les trois pierres qui apparaissent à différents moments du spectacle ? L'ensemble des interprétations possibles est un peu trop large, cette fois, ce qui ne permet pas d'identifier les pierres de la joie, de la peur et de la vie qu'évoquent les artistes lors de la rencontre qui suit la représentation du 28 octobre. Certes, l'approche rationnelle n'est pas la seule qui permette d'apprécier un spectacle, et celui-ci en particulier, mais il est dommage de trébucher sur quelques pierres dont on ne sait que faire. Cette dernière remarque est cependant le fait d'une spectatrice adulte. Or, À quoi rêvent les pandas ? est bien un spectacle pour enfants : à eux d'en être juges.

 

 

À quoi rêvent les pandas ?, direction artistique et musicale Denis Raisin Dadre (ensemble Doulce Mémoire), direction du théâtre d'ombres Peng Zeke (Théâtre d'ombres du Hunan), mise en scène Vanasay Khamphommala, du 25 au 29 octobre 2017 au Théâtre Claude Lévi-Strauss du musée du quai Branly – Jacques Chirac, à Paris.

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