Nonfiction s’associe à un débat sur « la banlieue » à la libraire solidaire « Le Temps de Lire » à Aubervilliers (93)   . C’est l’occasion de faire le point sur la question à partir des ouvrages recensés sur notre site.

 

La banlieue est un mot magique qui semble avoir des vertus thérapeutiques, voire thaumaturgiques, à l’ombre d’un siècle fatigué. Non sans quelque ironie, on pourrait voir dans son évocation récurrente une pratique shamanique. Quand la violence explose, le coupable est tout désigné : ce sont les jeunes de banlieue. Les « jeunes », cela a-t-il seulement un sens ? Relisons Bourdieu qui expliquait l’hétérogénéité de la jeunesse : quel point commun entre la jeunesse de Passy et celle d’Aubervilliers ? Plus largement, peut-on seulement dire « la » jeunesse d’Aubervilliers ou « la jeunesse de Passy ? La réalité sociale est bien plus complexe que certains raccourcis lexicaux le laissent entrevoir. En faisant appel à ces mots, réduisant bien souvent le réel à une généralité creuse, on cherche d’abord à manipuler, ce qui est le propre de toute idéologie.

 

Banlieue : c’est un de ces mots qui agit plus qu’il ne donne à penser. A la limite de l’impératif, il ordonne et organise le réel dans une vision du monde. C’est un mot d’ordre, un cri de ralliement comme le revendiquent les désespérés accolés aux murs fermant l’horizon.

On ne parle que rarement des banlieues riches, comme si la diversité des banlieues était niée d’emblée par l’existence de cette banlieue, celle du pauvre, du laissé pour compte.

La banlieue est sombre, triste, le lieu où on échoue. Elle évoque aussi ce monde étriqué et non créatif de la petite bourgeoisie, comme le met en scène Olivier Adam dans Les Lisières. Le romancier se demande comment on peut rester vivre ici, dans cette banlieue, lui qui a passé sa vie à la fuir : « évidemment qu’il m’en voulait de l’avoir rayé d’un trait de silence, comme j’avais cru rayer toute ma vie passée, l’enfance et l’adolescence, V., la maison des parents, les copains, la cité des Bosquets, mon absence congénitale...   » Il vit en retrait, comme la banlieue est à l’écart du centre. Elle est expérience de l’extrême solitude, du fait de ce rapport à un centre admis comme évident, le centre économique qu’est la ville.

Jean-Riad Kechaou

Le mot « banlieue » institue un jeu de représentation qui donne vie à une réalité sociale erronée. Les emplois du mot renvoient à un imaginaire de la ville-centre, reflet finalement d’un anthropocentrisme soucieux d’abord de soi. Cependant à l’origine le mot relève de la sphère juridique. Hervé Vieillard-Baron écrivait   :
« La première banlieue est étroitement liée à l’approche juridique de la ville au Moyen Âge. Le mot est formé de la racine germanique bann qui se rapporte aussi bien à la proclamation publique qu’à l’exclusion, et du terme leuga (la lieue) usité dès l’époque gallo-romaine. « Ban-lieue » apparaît pour la première fois dans un texte picard daté de la fin du xiie siècle, mais son équivalent latin (Banni-leuga) a été relevé dans des archives datant de 1036 et concernant la ville d’Arras (Lombard-Jourdan, 1972). Le mot sert à désigner la couronne qui entoure la ville, d’une lieue de large (soit 4 440 mètres pour la lieue française). Il se différencie du terme « faubourg » (de l’ancien français fors-borc, « le bourg hors de l’enceinte ») qui possède une définition économique exclusive en faisant référence aux foyers d’activités commerciales. »

 

C’est à l’époque moderne que l’approche juridique de la « banlieue » médiévale tombe progressivement en désuétude :

« La périphérie des grandes villes, en particulier celle de Paris, est un lieu de villégiature recherché par la noblesse et la grande bourgeoisie. On y aménage des « folies », des sortes de maisons de plaisance ou des manoirs spacieux. Mais l’usage du mot se transforme radicalement à partir de la Restauration. La banlieue désigne alors la périphérie dépendante de la ville-centre et elle s’inscrit dans un système de valeurs qui oppose la ville à tout ce qui l’entoure.Les premières expressions franchement péjoratives apparaissent en France au début du xixe siècle. On les trouve par exemple chez Louis Reybaud, un romancier français peu connu qui fait dire à un personnage de son roman : « Vous avez là un pantalon qui est -légèrement banlieue ; tâchez de vous culotter autrement à la prochaine garde, mon camarade » (Reybaud, 1842, p. 73). »

C’est ce glissement du droit aux valeurs qui est intéressant pour saisir l’espace de questionnement du droit qu’est devenue la banlieue dans les discours et les faits. Entretenant la séparation, même en la niant ou la contestant, la banlieue est d’abord un mot de ralliement, de lutte, d’opposition, révélant la faiblesse du droit et de la justice. La volonté politique d’intervenir au moment des crises par le biais de la culture et des associations, de mettre à l’arrière-plan les institutions juridiques de l’Etat, ou au contraire de recourir à la répression, doit être interrogée. La marge est par définition l’espace de la correction sur les copies d’élèves. A ce titre la banlieue serait paradoxalement un espace pour repenser et créer de l’urbain.

L'apparition du terme « banlieusard » est attestée pour la première fois en 1889 à l’occasion d’une polémique de nature politique entre élus de Paris et élus de banlieue, les premiers accusant les seconds d’être des ruraux, attardés et réactionnaires, des « banlieusards ».

La banlieue est espace de conflit, de distinction, lieu des jeux de domination et d’exclusion. Le terme désigne et assigne. Concept figé il classe et enferme dans des déterminations.

La banlieue n’est pas un concept opératoire, tant il est chargé affectivement et idéologiquement. A la place d’autres termes se mettent en place : métropolisation, territoires. Cependant, comme l’explique Damien Augias dans sa recension du livre de Christophe Guilly sur les périphéries, n’abandonne-t-on pas trop vite le sujet, en remplaçant le mot banlieue par un terme qui renvoie à l’espace rural, comme celui de périphérie ?

Les Bosquets

La banlieue est récit. On « parle » de la banlieue. Récit à la marge, il alimente bien souvent les rayons de la série noire, comme un lieu autre. Si la banlieue a un sens créatif, c’est peut-être dans sa dimension narrative. Le livre de Jean Riad Kéchaou en témoigne. Il fait parler, parle. On réagit en le lisant… la banlieue par les problèmes qu’elle soulève est occasion d’un dialogue participatif ?

Et si la violence n’était pas le tout de celle-ci ?

Marge d’un esprit démocratique que la lettre du texte rend présent... C’est aussi cela la banlieue

 

Rencontre : A quoi sert la peur ? Les préjugés sur la banlieue

Samedi 25 mars 2017 de 15h à 17h.

Conférence et débat animé par Maryse Emel, professeure de philosophie et rédactrice à Nonfiction.

Avec la participation de Jean Riad Kechaou, historien, auteur de 93370. Les Bosquets. Un ghetto français, Meltingbook.

A la librairie Le Temps de Lire, 167, rue André Karman, Aubervilliers.

 

* A lire aussi sur Nonfiction.fr :

- Jean Riad Kechaou, 93370. Les Bosquets. Un ghetto français par Maryse Emel.

- Karim Hammou, Une histoire du rap en France par Pierre-Emmanuel Niedzielski.

- Jean-François Laé, Dans l'oeil du gardien par Nicolas Le Roy.

- Philippe Blanchet, Discriminations : combattre la glottophobie par Francis Grossmann.

- "La France et ses recompositions territoriales" par Damien Augias.

 

* A lire ailleurs :

Douzet Frédérick, Robine Jérémy, « Le rôle du quartier dans le vécu des jeunes : “Chicago”, “Le Bronx”, le ghetto et autres métaphores », Migrations Société, 3/2013 (N° 147-148), p. 111-126.

- Les articles du journal Le Monde sur la banlieue.