A travers une histoire de la littérature africaine francophone, Mabanckou  définit son travail d’écrivain.

La leçon inaugurale d’Alain Mabanckou au Collège de France peut se lire de deux manières : comme une brève histoire littéraire ou comme une paradoxale histoire personnelle.

 

Tout d’abord, on peut y voir une introduction à la littérature africaine francophone. En quelques pages, l’écrivain fait une habile synthèse des recherches menées sur ces littératures depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui. On retrouve les grandes étapes de cette histoire : le contexte colonial, les textes produits avec leurs représentations de l’Afrique auxquelles les écrivains africains réagiront ; l’émergence des premiers écrivains africains et les tensions qui animent ce champ littéraire en construction ; les évolutions de ces littératures après les indépendances et, finalement, les tendances actuelles.

 

On l’aura compris, la perspective d’Alain Mabanckou est résolument postcoloniale. Résolument et sans complexe, pourrait-on dire. Il enseigne à UCLA, dans un contexte académique nord-américain où les études postcoloniales ne suscitent pas les mêmes réticences que dans la vie intellectuelle française. Son texte est donc nourri par ces travaux, sans pétition de principe ni apologie : il s’agit simplement d’adopter une ligne qui donne cohérence au propos. Ce n’est d’ailleurs qu’une ligne directrice puisque les ouvrages qu’il mobilise sont surtout l’œuvre de spécialistes français de littératures francophones, comme Bernard Mouralis, ou de littérature française, comme Jean-Marie Seillan.

 

C’est sur ce mélange que se construit la dimension postcoloniale du propos d’Alain Mabanckou. Il ne s’agit pas seulement de montrer que la littérature africaine francophone naît des écrits coloniaux, mais de voir comment elle s’élabore dans les tensions que la colonisation fait naître dans le monde de l’écriture. En d’autres termes, les écrivains voyageurs, savants ou amateurs, donnent de l’Afrique une image que les écrivains coloniaux veulent rectifier. Il y a là une tension qui va permettre l’émergence des écrivains africains : puisqu’il y a débat sur la vérité de la représentation de l’Afrique chez les savants et écrivains européens, d’autres voix, non européennes, peuvent se faire entendre.

 

Dès lors, la question de la vérité de la représentation semble essentielle dans l’histoire du roman africain francophone telle que la conçoit Alain Mabanckou. Face à la colonisation, les écrivains engagés, comme Sembène Ousmane ou Mongo Beti, pour qui cette notion est absolument nécessaire à une dynamique d’émancipation par l’écriture, s’opposent à d’autres qui, comme Camara Laye, ne cherchent à représenter que certains aspects de la réalité africaine. Par une espèce de coup de force rhétorique, Alain Mabanckou considère que cette deuxième tendance l’emporte et, qu’à partir de Yambo Ouologuem et Ahmadou Kourouma, la liberté de l’écriture devient le principe fondamental des romanciers africains francophones contre toute injonction à l’engagement.

 

La fin de son histoire littéraire met en avant les écrivains migrants, ou plus exactement une diaspora littéraire africaine. Paradoxalement, la littérature africaine revient ainsi aux sources, ou plutôt à une de ses sources : celle des écrivains-voyageurs européens. Finalement, la figure s’inverse : c’est l’écrivain africain qui naît d’un déplacement. À ses origines, la littérature africaine francophone se distingue au sein de la littérature française, tout en lui restant liée ; et cette dernière tendance de cette littérature ne fait que rappeler ce lien : la littérature africaine francophone est aussi littérature française.

 

On voit alors comment lire ce texte sous un autre éclairage, celui de la trajectoire de l’écrivain Alain Mabanckou. En effet, nous lisons la leçon inaugurale de l’auteur au Collège de France, cela correspond donc à un moment de consécration. Il faut aussi préciser que Mabanckou est le premier écrivain invité à la chaire annuelle de « Création artistique ». C’est d’ailleurs ainsi qu’il situe sa parole au début de son propos : il s’adresse à son auditoire en tant qu’écrivain. Il précise et construit donc sa place et son écriture dans cette histoire littéraire ; en bon romancier, il construit un récit qui le situe dans le monde.

 

Ce bref roman de la littérature africaine francophone reprend la tradition du roman initiatique : la littérature africaine, comme l’indique le sous-titre, passe « des ténèbres à la lumière », d’objet de texte, elle en devient progressivement le sujet. Alain Mabanckou raconte ici une venue à l’écriture, non pas individuelle mais collective ; il met ainsi en miroir, en filigrane, sa propre réussite – il enseigne au Collège de France – avec les réussites de cette littérature africaine francophone.

 

Mais surtout il se situe lui-même, avec quelques autres, comme à la pointe de cette littérature africaine francophone puisque son œuvre est tout à fait représentative de la nouvelle écriture africaine diasporique. Le récit d’histoire littéraire qu’il construit vise donc à le situer, à expliquer l’émergence de son écriture – en oubliant peut-être au passage toute une production africaine francophone qui ne peut s’appréhender à l’aune de cette idée de diaspora.

 

En même temps, alors qu’on a tendance à voir en Mabanckou un écrivain de la singularité, ce récit lui permet de se mettre en relation avec un ensemble d’écrivains qui ont en partage la langue française, qu’ils soient africains ou français. Mabanckou s’inscrit donc dans une histoire littéraire complexe à la fois pour affirmer cette complexité originelle et pour expliquer l’originalité de sa propre écriture