Un face-à-face sous pression entre deux prisonniers d’un État totalitaire. Où l’on parle de nazisme au prix d’un ennui presque aussi mortel que l’issue de la pièce.
Oui confronte deux prisonniers d'un État totalitaire à huis clos : aux deux hommes, on a offert la vie sauve s'ils tuaient l'autre pendant la nuit qui précède leur exécution. Le pitch est alléchant, quoique connu et finalement assez absurde. Il évoque bien sûr le célèbre « dilemme du prisonnier », un problème philosophique et éthique qui joue un rôle important dans la théorie des jeux.
Le jeu, pourtant, est précisément ce qui fait cruellement défaut à cette pièce mise en scène par la compagnie de La Traversée. Le jeu des acteurs, d'abord, est rendu invisible aux spectateurs : la scène est plongée dans l'obscurité, épaissie par un brouillard artificiel, et les deux comédiens jouent le plus souvent au raz du sol – dissimulés aux regards de ceux qui n'ont pas la chance d'être assis au premier rang – ou dos au public. Ces choix de mise en scène qui entendent sans doute évoquer la réclusion ont pour effet d’étouffer la performance des deux comédiens, alors qu’une bande son peu soignée, faite de bruits de cachots qu'on croirait récupérés d'un jeu vidéo des années 1990, tente péniblement de poser l'ambiance.
Le jeu ne s'invite pas davantage dans le texte : à l'article de la mort, les deux personnages se lancent dans de grandes tirades sur le sens de la vie, la beauté du monde, les amours perdues... Autant d’envolées poussives et maladroitement sophistiquées. Les dernières répliques débouchent sur une étrange apologie de Jésus-Christ, probablement en forme d’évocation d’un dernier espoir de salut, mais qui se présente comme une protubérance peu utile et assez convenue. En général, l'accumulation de clichés semble finalement faire dire à la pièce le contraire de ce qu'elle semble vouloir dire.
Finalement la pièce, très longue, provoque un ennui dont on ne sait s’il gagne d’abord les spectateurs ou les comédiens eux-mêmes. Lorsque Joël Abadie énumère ses conquêtes amoureuses, il récite son texte sur un ton monocorde en quelque sorte équilibré par les hurlements proférés par Vivien Ernault, alias Max, tout au long de la pièce. C’est sans doute lorsque celui-ci invoque la situation économique du temps qu’on voit le mieux à quel point l’un comme l’autre ont du mal à y croire. On les sent fatigués, comme détachés du texte.
Enfin et surtout, l'histoire en elle-même est alourdie par l'inscription de l'intrigue dans une période précise : les deux prisonniers sont en réalité un tailleur juif et un ancien SA, partageant la cellule d'un camp d'extermination en 1944. Jamais mentionnée dans le résumé de la pièce, cette inscription historique peut en soi déconcerter. Elle conduit en tout cas à une restriction très nette de la portée de la pièce, puisqu'elle replie le dilemme sur le nazisme, érigé en horizon indépassable du mal. D'où une profonde sensation de lassitude, tant les discours, les références et les évocations sont connus. La pièce fait d'ailleurs penser à un Inconnu à cette adresse monté à l'envers : le juif et le nazi (qui s'appelle Max, comme dans le roman de Taylor) commencent ennemis et finissent comme des frères, faisant ainsi mentir des pans entiers de la littérature de témoignage.
En gommant toutes ses références historiques, la pièce aurait pris une dimension universelle, évoquant du même mouvement tous les régimes autoritaires et leur violence, convoquant du même geste Auschwitz et les bagnes de Guyane, les îles du goulag et les donjons médiévaux, Guantanamo et S-21. Au lieu de cela, en s'enfermant dans une situation historiquement définie et dans un énoncé caricatural du problème du totalitarisme, la pièce se heurte de plein fouet à la loi de Godwin, et à son jugement implacable
Oui
De Gabriel Arout
Mise en scène : Kader Roubahie
Au Théâtre de l'Atelier 44, du 7 au 30 juillet à 17h10
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