L'histoire de Tristesses se déroule à l’intérieur des rives resserrées d’une île du Danemark. Depuis la faillite des abattoirs qui fournissaient l’essentiel de son activité, il n'y a plus que huit personnes sur cette île. Non plus huit, mais sept, car on y découvre Ida qui paraît s'être pendue. Ida, la mère de Martha, une femme qui a quitté cette île pour mener une carrière politique sur le continent, dans les pas de son propre père. Lui-même est désormais un vieil homme plutôt indifférent, dont l’indifférence s’étend jusqu’à la mort mystérieuse de sa propre femme. Quant à Martha, lorsqu’elle revient sur l'île pour les obsèques de sa mère, c’est avec le projet cinématographie inattendu et troublant de tourner un film d’art et d’essai aux sombres visées idéologiques.
C'est Soren, le maire, qui découvre la morte. Soren et sa femme Anna forment un couple en déroute, dont l'une des deux filles a perdu la parole pour avoir découvert les cadavres suicidés de ses oncles. La situation va peser terriblement sur les deux enfants : l'une d’elle passera à l'acte. Et les caméras de Martha ne manqueront pas d’enregistrer ce second fait divers macabre.
Et puis il y a aussi un autre couple : Joseph le pasteur humilié et sa femme Margrete. Le premier aussi envahi de haine et d'impuissance que les autres habitants, la seconde au contraire qui, dans cette île de colère et de désespoir, est la moins haineuse de tous.

Les passions tristes développent entre les personnages une nécessité funeste. Elles génèrent « l'attristement des peuples », la terrible manipulation qui est aussi l’arme politique redoutable de l'extrême droite contemporaine aux yeux d’Anne-Cécile Vandalem. Depuis 2003, avec sa compagnie Das Fräulein, elle conçoit, écrit, joue et met en scène ses propres œuvres à Bruxelles. Cette année, avec Tristesses, elle apporte à Avignon un spectacle qui interroge d’abord la relation du pouvoir aux passions tristes. A partir de ce sujet central, le spectacle lui-même, en revanche, ne cultive pas la mélancolie. Le comique se développe au cœur du tragique ; car comme le dit Anne-Cécile Vandalem elle-même, c'est la seule manière de s'en sortir. Et de nous rappeler que la haine, dans la psychologie philosophique de Spinoza, découle de tout ce qu'on met en place pour éliminer l'objet de la tristesse. Cet objet qui est alors la cause de la diminution de notre puissance d'agir, il appartient aussi au théâtre de le représenter pour en exhiber tout le ridicule possible et le conjurer dans la dérision.

Dans cet entretien pour Nonfiction, Anne-Cécile Vandalem revient sur les différents thèmes qui traversent cette nouvelle pièce – le pouvoir des femmes, la disparition de la parole, la puissance de la mort – et sur son usage remarquable du cinéma dans une scénographie authentiquement théâtrale.



Nonfiction.fr : Anne-Cécile Vandalem, lorsque vous avez écrit Tristesses, avez-vous travaillé consciemment sur un canevas shakespearien ?

Anne-Cécile Vandalem : Non, pas du tout. Je suis partie de l'idée spinoziste de la tristesse, dont parle Gilles Deleuze. Il m'a semblé que cette idée permettait de comprendre un certain nombre de choses que j'ai eu envie d'analyser, de mettre à l'épreuve d'un travail de théâtre, que ce soit dans la dimension des relations intimes, des relations de couple, mais aussi dans celles du politique. Au-delà du terrain ordinaire des passions, celui de l'intimité ou du privé, j'ai voulu voir comment cette force à l'œuvre pouvait aussi être travaillée et utilisée de manière stratégique par le politique.
C'est pourquoi c'est plutôt les faits de l'actualité qui m'ont inspirée : une île scandinave, un carnage, la montée en puissance de l'extrême droite, et beaucoup d'événements qui se sont produits pendant que j'écrivais... J'avais envie de poser la question de l'attentat politique qui aurait été perpétré par des adolescents, dans la mesure aussi où je me suis retrouvée concernée de très près par les départs en Syrie.

 

NF : On est frappé par l’aspect de « palimpseste » de Tristesses, où on croit voir des transpositions de Hamlet. Notamment le Danemark et le « quelque chose de pourri » en son royaume, et puis la présence du spectre d'une personne assassinée...

ACV : Cela s'explique parce qu'il n'y a pas beaucoup d'histoires, en fait. Les histoires se ressemblent beaucoup.

 

NF : Au contraire de chez Shakespeare en revanche, les personnages les plus importants de votre texte sont féminins. Est-ce l'écriture assumée d'un auteur femme ? Voire une œuvre féministe ?

ACV : Oui, j'essaie d'assumer ce que j'écris. En tous cas, il est clair qu'il s'agit de questionner l'attitude d'un personnage politique, de le questionner sur sa stratégie politique. Qu'il soit féminin, ce personnage, c'est clairement une volonté de ma part. Non seulement l'interroger, mais l'interroger du côté de la femme, du côté du pouvoir de cette femme.

 

NF : Finalement, parmi les hommes de ce spectacle, il n’y en a pas un auquel on ait envie de ressembler.

ACV : Il n'y en a pas un qu'on ait envie d'aimer, non. Je ne suis pas sûre que les spectatrices aient envie de ressembler aux femmes du spectacle non plus. À part Margrete peut-être, la femme du pasteur, qui est la plus « innocente », qui est celle qui essaie de se débattre là-dedans.
Mais il est vrai que les femmes sont plus puissantes. Les hommes sont dans la recherche du pouvoir systématiquement, que ce soit le père (Heiger), que ce soit le maire (Soren) ou que ce soit le pasteur. L'un, le père, son règne est fini, son pouvoir disparu ; il passe son temps quasiment à dormir. Et les deux autres sont tout le temps en quête de pouvoir, ou d'asseoir leur pouvoir. La venue de cette femme sur l'île va décupler cette nécessité là.
Les femmes sont plus, en effet, en puissance. Le personnage d'Anna (la femme du maire), qui pleure tout le temps, est pour moi le personnage le plus puissant, parce qu'avec ses larmes elle a une puissance sur les autres. J'étais partie de cette figure en me disant que dans un monde où tout n'est que désespérance, la capacité à pleurer est une forme d'adaptation à ce milieu qui est la forme la plus juste. Avec ses larmes, elle a un pouvoir très fort sur son mari, un pouvoir très fort sur les situations. Nous, les femmes, nous avons la chance d'avoir dû développer, pour pouvoir exister, des stratégies de contournement qui sont assez fortes.

 

NF : Pourtant Anna souffre beaucoup : avec Soren, ils semblent former un couple de 1914. Et en même temps, elle protège son mari…

ACV : Oui, ils souffrent, mais ils s'entretiennent. Ils se nourrissent, ils ont besoin l'un de l'autre. On n'est pas que dans une relation de dominé et de dominant. Il y a quelque chose qui se nourrit parce qu'elle le domine aussi très fort, dans ce fonctionnement-là. Et ça c'est typiquement les schémas de la tristesse. Anna décide de sauver Soren malgré tout : elle a la porte ouverte pour s'en débarrasser et elle ne s'en débarrassera pas. Au détriment de sa fille, puisqu'ainsi elle doit laisser sa fille partir sur le continent avec Martha, la femme politique.
En revanche, ce personnage de Martha, que je joue moi-même, est très questionnant. Il y a de plus en plus de femmes qui prennent cette place là, en jouant sur les mêmes terrains que les hommes. Quand les femmes utilisent les mêmes stratégies que les hommes pour accéder à la même chose, je trouve ça extrêmement catastrophique.

 

NF : Dans le registre aquatique, Tristesses peut aussi faire penser à « la petite sirène », qui perd la voix quand elle trouve des jambes, c'est-à-dire la sexualité, et qu’elle doit en quelque sorte passer à la civilisation. Mais la jeune fille qui perd la voix dans votre pièce la perd plutôt à cause de la barbarie (la mort violente sous ses propres yeux). Est-ce que cela veut dire qu'on ne peut plus raconter d'histoire d'amour, est-ce que ça veut dire ça ?

ACV : Moi, je ne sais pas raconter les histoires d'amour. L'amour c'est comme la beauté, ça surgit des situations. Mais chercher à le raconter, non. L'amour ce n'est pas quelque chose qui se raconte. C'est comme le bonheur, ce n'est pas quelque chose qui se met en formes. Par contre, à partir de l'impossibilité d’aimer, à partir de l'essai – parce qu'ils essaient... – il y a quelque chose à raconter.
Petersen, le maire, c'est quelqu'un qui est tout le temps en besoin d'amour : c'est la raison pour laquelle il passe son temps à gueuler sur les autres, à vouloir jouer. Il est systématiquement dans cette demande très forte, comme un enfant... Lorsqu’il apprend à sa fille à tirer sur les étoiles pour éteindre le ciel, c’est un geste d'amour ; assez maladroit, mais c'est sa manière d'être avec elle.
À une étape précédente de notre travail sur Tristesses, il n'y avait pas deux sœurs dans le scénario, mais une fille et un garçon. C'était le garçon qui ne parlait pas. Et il y avait aussi le rapport à cet homme qui n'arrive pas non plus à assumer que son fils soit un garçon « diminué » ; mais voilà, finalement j'ai changé parce que j'avais envie d'avoir ces deux filles, avec lesquelles le rapport d’amour filial se pose différemment.

 

NF : Ce couple de jeunes sœurs soutient vraiment bien l'intensité dramatique ; mais veut-il dire que le romantisme est devenu impossible ?

ACV : Il n'y a plus beaucoup de place pour le romantisme, non... Mais voilà, on hérite de ce qu'on a. Pour l'instant moi, en tous cas, j'ai l'impression que l'horizon est bouché. Donc on doit en prendre acte. Pour l’instant, on ne peut pas retrouver la voix. À la fin du spectacle, la jeune fille sans voix disparaît dans les abattoirs. On l'entend, elle chante, la même chanson qu’elle chante trois fois pendant l'histoire. Elle chante quand elle prend l'arme, elle chante au tout début. Il y a aussi une dame qui joue un spectre, mais c'est elle qui lui prête sa voix. La petite chante tout le temps la même chanson qui est la chanson des abattoirs, qu'elle rechante tout à la fin : à ce moment-là on n'entend que sa voix, sur les cartons qui expliquent la fin de l'histoire. Elle a perdu sa voix au moment où elle est tombée sur ces deux frères ; elle a vu le suicide des frères Rasmus. Et à ce moment-là elle n'a pu que chanter cette chanson des abattoirs.C’est à dire que malgré ce chant, elle n’a pas retrouvé et elle ne retrouvera pas la parole. La parole meurt avec eux. Il y en a huit qui ont été retrouvé dans les fours.

 

NF : C'est là qu'est le point pessimiste, nihiliste même, du spectacle : il ne reste même plus le germe de quoi que ce soit.

ACV : Oui, mais c'est le spectacle, c'est l'histoire. Et en réalité il y a bien un grand germe : c'est que Martha est repartie sur le continent (avec un film). Il reste tout ce qui va être créé à partir de ça.

 

NF : Ainsi tout se recentre autour d'un film, et la scénographie de votre spectacle ne cesse de le montrer.

ACV : Le film de la pièce est projeté en direct. Les moments qui échappent à la vue du spectateur, lorsque les comédiens sont à l'intérieur des chalets ou du temple, et même d'un sauna, lui sont accessibles sur l'écran. Ainsi, la projection cinématographique nous montre l'envers du décor. Et l'envers du décor est encore un décor.

 

 

NF : Ce qui est mis en scène, c'est le film lui-même ?

ACV : Il y a une tension entre la caméra et le plateau, car le propre de la caméra c'est d'abolir le plateau. Pendant très longtemps on ne voit pas de cadreur ni de caméra. On s'était donné la contrainte qu'on ne le voie pas, mais qu'il sorte à un moment donné. Il le fait juste avant que Martha explique son projet de propagande, et que soit ainsi réellement donnée la situation – ce qui rend aussi perceptible une certaine mise en abyme. Par ailleurs, l'extérieur, c'est la place publique : l'île, l'espace politique, tandis que l'intérieur, c'est l'espace intime où les choses qui se passent ne sont pas a priori censées être vues. En créant ces deux espaces-là, je crée la possibilité de faire des transgressions. Dans la mesure où cet espace intime est transgressé, la disposition devient intéressante. J'avais donc besoin de ces caméras au plateau car elles me permettaient d’écrire mon histoire.

 

NF : Mais il y a peut-être un prix à payer : la scène proprement théâtrale est un peu affaiblie (elle sert à tirer des coups de feu, à se battre autour du cercueil, etc.), c'est un simple « extérieur », souvent « extérieur nuit ». Est-ce que cette construction scénographique n'oriente pas vers un avenir du théâtre qui coûterait beaucoup, par rapport aux formes tout à fait « naturelles » du spectacle vivant ?

ACV : De fait il y a encore beaucoup de « théâtre naturel », et ceux qui le font le font très bien. Je pense que chacun doit faire ce qu'il sait faire. Pour ma part, je ne suis pas capable de faire un théâtre aussi « naturel ». La déclamation, par exemple, c'est quelque chose qui ne m'intéresse pas du tout. Je ne suis pas née avec ça, mais avec la technologie, et je l'ai tout de suite utilisée. Par exemple j'ai toujours travaillé avec des micros, même si je n'ai pas toujours travaillé avec des vidéos. Pour moi, ce sont vraiment des outils. Alors, oui, bien sûr, c'est peut-être au détriment d’autre chose. Mais ce qui m'intéresse, c'est la proximité, la possibilité de travailler sur du chuchotement. C'est l'amplitude de la modulation des effets, qui est beaucoup plus forte avec un micro ou avec une caméra, qui permet par exemple de travailler sur le gros plan tout en restant dans un rapport théâtral.
Je ne fais pas de cinéma. J'en ferai très probablement, mais là, lorsque je décide de faire du cinéma au théâtre, c’est très précisément pour le mettre au théâtre. Ce qui m'a intéressé ici, c'est d'essayer de vraiment faire cohabiter cela ensemble, lorsque c’était possible et nécessaire. Au contraire il y avait des scènes qui ne pouvaient absolument pas être filmées et qui devaient être vues dans leur globalité, dans ce plan large de la scène. D'ailleurs, elles sont sonorisées différemment. Les technologies sont des outils de travail, qui dans mon cas me permettent de raconter l'histoire d'un village, en racontant à la fois le village et les intérieurs. Et je pense effectivement que le théâtre évolue et va encore évoluer énormément en les intégrant.

 

NF : Est-ce qu'il y a encore beaucoup à explorer au point de vue scénographique, avec tous ces outils, et avec le numérique ?

ACV : Je ne suis pas extrêmement « technologique ». Pour l’essentiel, le cinéma n’est pas tant un ensemble d’outils technologiques qu’un langage que j'utilise un langage pour raconter l'histoire que je raconte. D’ailleurs je ne me projette pas non plus dans une technologie : par exemple je n'aime pas transformer les voix. Dans le passé, j’ai fait tout un spectacle où il n’y avait qu’un seul personnage, qui était dédoublé par des hologrammes :tout était joué en play-back. Or à un moment donné, j'ai eu la possibilité d'utiliser du « morphing », on a commencé à faire des recherches là-dessus, mais je me suis finalement rendue compte que ça ne m'intéressait pas. J’ai préféré faire tout le monologue moi-même, en transformant mes voix.

 

NF : Sur la scène, l’intérêt de la caméra qui filme est qu'elle n'est pas exactement cinématographique : elle tient plus de la caméra de sécurité, dans une banque ou dans le métro, et du téléphone mobile tenu à bout de bras. Pourquoi est-elle si étrange ?

ACV : Parce que cette caméra, c'est déjà la mise en œuvre du film de propagande que Martha est venue faire. On est à la fois dans l'histoire qui est racontée et dans le film qui est en train d'être tourné. On vit à la fois la situation, l'histoire, ce fait divers, ce qui leur est arrivé, et en même temps la récupération de ce fait divers à des fins politiquement malsaines.Mais je ne m'imagine pas qu'au moment où le fait divers lui-même se passe, Martha soit déjà avec ses caméras : elle retourne ce film par la suite, elle réutilise cette histoire et elle la reproduit.
Je réfléchis aux techniques de communication de l'extrême droite : ce sont des techniques qui sont très pauvres, en fait, parce qu'ils savent à qui ils parlent. Leurs vidéos doivent parler à des gens qui doivent se sentir comme faisant partie de ce monde-là, et non pas rejeté hors de ce monde qui ne les concernerait pas. Or là-dedans, on n'est pas dans le spectacle. J'ai essayé à un moment de partir de cette idée de vidéo non-spectaculaire, mais j’y ai renoncé car je m’inquiétais qu’on s’empare du langage du documentaire. Ce que je voulais, c’était travailler sur le langage propre du cinéma : finalement, le film de Martha n'est pas du documentaire, mais plutôt un film d'art et d'essai. Et de propagande.

 

NF : En tournant cette propagande, Martha donne à voir l'enseignement de la pièce qui semble être : « voyez, les femmes sont aussi bien fascistes, racistes et xénophobes que les hommes ».

ACV : J’essaye effectivement de dire que si les femmes commencent à venir jouer sur le même terrain que les hommes, c'est la catastrophe.

 

NF : Pourtant, à travers l’impuissance du personnage de la jeune fille sans voix, la pièce interroge aussi sérieusement la capacité des femmes à développer une voie alternative à celle de la haine.

ACV : Pour moi, la route de cette jeune fille qui ne parle pas est vraiment ailleurs. Cette gamine a mis un pas dans le terrain des morts, qui est pour moi un terrain extrêmement puissant – la mort et de la puissance de la mort sera d’ailleurs le sujet de mon prochain travail. En même temps, ce terrain est aussi celui de la sublimation et de la poésie. En mettant un pied dedans, cette jeune fille ne se situe plus du tout sur terrain politique des passions tristes. Elle ne peut sauver personne, parce qu'elle est ailleurs.
C'est aussi l'intérêt de toute la dimension musicale du spectacle. Je voulais que la musique soit prise en charge par les morts. Pour moi la mort a une puissance très forte. D'où ces spectres qui assurent la partie musicale. Si les vivants sont impuissants, les morts deviennent très puissants, notamment dans la sublimation de la mort – c’est ce qu’essaye d’exprimer le fait que la jeune fille voie les morts, qu'elle véhicule leur présence, qu'elle ne parle plus. Elle a une fascination pour la mort qui la rend puissante à son tour, d'une autre façon. La mort a une puissance et une attirance morbide, mais aussi joyeuse. Cette jeune fille est donc totalement étrangère à la haine et à la tristesse : c’est l’autre fille qui en est chargée.

 

NF : Il vous manque donc de compléter le dyptique, c'est-à-dire d'écrire votre prochaine pièce sur la joie spinoziste ?

ACV : J'espère que de la tristesse sort la joie ; mais la joie je ne l'écrirai pas ! J'espère augmenter la puissance d'agir en donnant ce genre de spectacle. J'espère, par réaction, produire cet effet. Mon but n’est clairement pas de désespérer les gens. Un objet artistique ne doit sans doute pas réconforter, mais à partir de la vision pessimiste d'un monde, il peut créer la nécessité absolue de ne pas tomber dans ce monde. Et donc augmenter la nécessité d'en sortir.

 

NF : Pourtant le cadre de vos personnages est extrêmement réduit désespérant. En fait, il leur manque le désir...

ACV : Oui. Il y avait au départ un peu de désir dans le personnage de Margrete, la femme du pasteur, qui avait un autre projet de réhabilitation des abattoirs. Et ce projet était évidemment empêché par le conseil communal, qui relaie en fait le parti en place. Mais je l'ai enlevé, parce que cela alourdissait le scénario. En revanche le désir était bien présent dans la réalité dont je me suis inspirée. L'île sur laquelle je suis allée travailler au Danemark est une île où il y avait aussi un abattoir qui a fermé, et où l'économie locale s'est complètement effondrée. Mais les habitants de cette île-là se sont totalement reconvertis et leur île est devenue un modèle écologique et économique mondial. Ils ont eu l'histoire que je n'ai pas racontée. Cette île est incroyable et les habitants y sont absolument incroyables. Ils ont réussi. Mais je ne pouvais pas raconter cela. Ça c'est notre puissance dans la vie, dans la vie civile, et le théâtre est ailleurs.
 


Tournée :

Bientôt à Zagreb, Vélizy, Modène, Namur, Le Havre, Grenoble, Annecy et Amiens.

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