Le Nouvel Odéon présente, samedi 7 mai, cette œuvre d’un cinéaste inconnu en France, un polar rêveur et cinéphile.

 

Depuis quelques années, le festival Cinéma(s) d'Iran s'emploie, en partenariat avec le cinéma Nouvel Odéon, à faire découvrir au public français la diversité du cinéma iranien passé et actuel, au-delà des monstres sacrés que sont Kiarostami, Panahi, Farhadi ou Makhmalbaf. L'édition de 2015 a ainsi été l'occasion de découvrir Kianoush Ayari, un cinéaste aussi intéressant que méconnu hors d'Iran : peut-être a-t-il émergé au mauvais moment, c'est-à-dire dans les années 80, où le cinéma iranien souffrait de la guerre et de l'isolement international de la République islamique.

 

À nouveau projeté au Nouvel Odéon samedi 7 mai (avec une présentation-débat animée par Bamchade Pourvali), Le Spectre du scorpion, l’un de ses premiers films, déconcertera les spectateurs habitués aux thèmes les plus courants du cinéma iranien d'exportation : l'enfance, l'oppression des femmes, la guerre… On est ici en présence d'un polar en bonne et due forme, mâtiné d'hommage au film noir hollywoodien.

 

L'intrigue est une parfaite mise en abyme : voyant son scénario (une histoire de braquage de bijouterie) refusé par un producteur, Mahmoud, cinéphile obsessionnel, décide de le mettre en œuvre, dans l’intention de financer le film avec le produit du casse. Il embarque dans cette aventure hasardeuse son meilleur ami, cascadeur dans des films de seconde zone, et – à son corps défendant – son frère ingénieur. Le problème, c'est que sans s'arrêter au braquage, Mahmoud entreprend de revivre à l'identique chaque page du scénario, qui se termine mal…

 

Conduit en zigzag par le comportement en apparence erratique de Mahmoud, poursuivi par ses deux comparses, Le Spectre du Scorpion prend la tournure d'un jeu de piste à la fois narratif et cinéphile ; un film à changements de ton, marqué par le motif du balancement : ainsi les situations de comédie s'emboîtent dans les péripéties de polar, si bien que le spectateur ne sait jamais sur quel pied danser. Cette ambiguïté est admirablement portée par l'acteur Jahangir Almasi – tout à tour violent, joyeux ou sournois, parfois franchement inquiétant mais le plus souvent absorbé dans des pensées mystérieuses – dont le caractère incontrôlable et obsessionnel rappelle Michele Apicella, héros des premiers films de Nanni Moretti. Un peu plus cinéphile que de raison, Mahmoud – dont l'isolement volontaire du monde est matérialisé par la balançoire installée chez lui, sur laquelle il semble passer le plus clair de son temps – a remplacé le réel par sa fiction.

 

Au-delà du dispositif narratif, le film est saturé de cinéphilie : au grand portrait d'Hitchcock dans l'appartement de Mahmoud fait écho le MacGuffin qu'est l'or volé dans la bijouterie (on oublie assez vite ce que Mahmoud compte en faire) ; et cet or qui fait perdre la tête à Mahmoud et à son comparse rappelle celui du Trésor de la Sierra Madre, qu'il va voir à plusieurs reprises durant le film. Enfin, la scène finale, perchée et particulièrement spectaculaire, reprend les dénouements paroxystiques de l'âge classique d'Hollywood   . Par ces références, Le Spectre du Scorpion s'éloigne résolument d'une réalité très sombre, celle de l'Iran des années 80, pour suivre les méandres du cerveau cinéphile de son héros et, sans doute, du cinéaste. Une œuvre déroutante, mais intelligente, attachante et profondément originale.

 

 

Le Spectre du scorpion

de Kianoush Ayari

1986

Au Nouvel Odéon (Paris 6e)