« Tu es venu me voir parce que tu voulais t'envoler ». C'est sur ce rêve, ce défi et cette ambition que le coach et l'athlète (interprété par Jacques Gamblin et joué par Bastien Lefèvre) se sont mutuellement choisis.

 

La collaboration artistique des deux hommes date d'un précédent spectacle, déjà très physique, Tout va bien mon coeur scintille (2008). L'un auteur comédien, l'autre danseur, ils se retrouvent sur la place donné au corps dans la complicité qui les lie.

Le plateau est transformé en terrain de sport et surface de jeu : espace d'entraînement rectangulaire parfaitement délimité par des parois, deux bancs, marquages au sol aux formes et dispositions improbables, deux corps en survêtement s'échauffent en des mouvements pour le moins inattendus - interpellant les spectateurs sur ce qui va vraiment se jouer. « Y a que ça qui m'intéresse, l'impossible, parce que ça se tente ».

 

À coup d'onomatopées directives (« clac », « oye », « hipôn », « blop », « lifti »), le coach fait enchaîner à son élève des positions et des figures qui ne correspondent à un aucun sport connu : le « piaf », le « niac fluxi niac grund », etc. Rien de ridicule, et même si l'on rit de cette apparente absurdité, l'enjeu est des plus sérieux : « Qu'est-ce que tu veux dire avec ton geste? Qu'est-ce que tu sens? Qu'est-ce que tu défends? Qu'est-ce que tu fais là? ».

 

Pendant près d'une heure vingt, on voit se déployer sur le plateau une énergie qui coïncide tout à la fois dans la mise en mots et la mise en corps. C'est bien ce qui touche dans ce spectacle, cette coïncidence, le rapport juste qui fait que ni le corps ni l'esprit ne prend le pas sur l'autre, ne sont en aucun cas une illustration de l'un ou de l'autre. De ces deux hommes à la différence d'âge évidente, l'un vient transmettre, l'autre recevoir. Ce corps de toute une vie. La performance (textuelle et physique donc) est sublimée en furieuse envie de vivre.

 

« Ca me sauve heureusement que j'ai mon corps »

« Si tu freines le plus tard possible, qu'est-ce qui va sortir? Ton instinct, ta confiance obligatoire »

« Accepter son poids sur terre (…) pour être plus libre »

« J'adore quand tu tombes, comme ça tu connais ta limite provisoire »

« Le poids que tu laisses derrière toi, tu le traînes jusqu'à la sortie »

« Ce que je vois dans ton corps, c'est ce qu'il y a dans ta tête »

« De quoi t'as peur ? T'as peur de toi ? De cet espace libre ?

Mais si tu as peur de cet espace libre, t'as peur de tout. »

« La peur c'est pas le bon moteur, jamais »

« Un rendez-vous, c'est beaucoup d'inconnu(es). C'est l'humain»  

 

Et les peurs et les doutes qui vont avec, le vide derrière la ligne...d'arrivée ou de départ car, parfois elles se confondent, il faut toujours recommencer. L'importance alors du premier pas – celui qui compte - de la respiration, de l'intention tenue, du rapport que l'on établit avec les autres, de penser à plaire ou pas, le pas dans son pas ou pas...

 

Dans cette pièce, on sait d'où l'on part et où l'on veut arriver mais entre les deux tout se joue. Une impressionnante maîtrise du verbe et du geste qui se dépasse elle-même pour laisser effectivement toute la place à l'impossible et à l'improbable, à la poésie de tout ce que peut un corps. Bastien Lefèvre sue, se tord, tombe, s'élance et propose au spectateur des mouvements qui déboîtent son regard et percute son imagination. On se sent terriblement vivant de voir les corps de Jacques Gamblin et de Bastien Lefèvre si libres, si audacieux, si engagés

 

 

 

« 1 heure 23' 14" et 7 centièmes » du 12 au 24 janvier 2016 au Cent Quatre (Paris)

Durée : 1h15

Textes : Jacques Gamblin

Chorégraphie et sélection musicale : Bastien Lefèvre