Toute action collective de lutte contre le changement climatique à l'échelle internationale est exposée au comportement, bien connu des économistes, de "passager clandestin", chacun des pays ayant intérêt à profiter des bénéfices collectifs d'une telle lutte sans en porter les coûts individuels.

En décidant unilatéralement de réduire ses émissions de 20 à 30%, l'Europe prend le risque de voir ses efforts anéantis par le comportement non coopératif d'autres pays qui refuseraient de limiter leurs émissions, et ainsi d'être réduite à jouer le rôle de l'"idiot du village global". Les activités fortement intensives en carbone telles que la sidérurgie, les industries de l'aluminium, du verre, du ciment, sont directement menacées par la contrainte carbone qui affecte d'une part leur compétitivité (dans le cas où leurs concurrents seraient stratégiquement exonérés d'une telle contrainte) et fait planer d'autre part la menace de migrations industrielles vers des pays plus cléments avec les pollueurs.

Comme les impératifs moraux promus par le développement durable suffisent rarement à contraindre les comportements, la théorie économique préconise plutôt l'envoi d'un signal transitant par des prix correctement ajustés, de manière à inciter les agents à faire les bons arbitrages. Cynique vérité économique : rien ne vaut une bonne taxe pour rendre les gens vertueux!

Ainsi, le gouvernement Villepin a émis en 2006 l'idée tonitruante d'introduire une taxe carbone sur les importations en provenance des pays refusant de s'engager en faveur du protocole de Kyoto. Une telle annonce, lancée avec un air de défi par le gouvernement français, n'est pas passée inaperçue au sein de la communauté internationale. Au premier rang des pays visés se trouvent évidemment les États-Unis qui refusent de s'engager sur des critères quantitatifs et contraignants de réduction des émissions, mais également les pays émergents qui se sont tenus à l'écart de Kyoto. D'un même mouvement, les thuriféraires du libre-échange mondialisé suspectent cette taxe d'être l‘excuse d'une nouvelle forme de protectionnisme, paré d'une bonne conscience climatique. Ils opposent à cette taxe les principes fondamentaux du libre-échange consacrés par l'OMC et qui interdisent toute discrimination entre produits sur la seule base de leur origine.

Dans ce texte, Medhi Abbas met à plat les conditions pour que ce mécanisme d'ajustement aux frontières soit compatible avec les règles de l'OMC et apparaisse non pas comme une mesure de protection du marché européen, mais comme un système de correction d'une défaillance du marché. Dans l'attente d'une jurisprudence stabilisée, il propose d'adopter une stratégie d'inclusion à l'égard des États-Unis et des pays émergents, dont la signature de la future convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) demeure une condition nécessaire à son succès. Vis-à-vis des pays en développement, il suggère  d'élaborer une offre commerciale incitative en assortissant tout mécanisme d'ajustement de mesures de compensations, et notamment de transferts technologiques. Enfin, il appelle de ses vœux la rédaction d'un texte ayant une valeur juridique internationale qui relierait la CCNUCC aux accords de l'OMC et réduirait ainsi l'incertitude qui entoure le règlement d'un différend au sein de l'OMC.  

Mais où est passée la taxe carbone parmi ces recommandations d'expert ? Il se peut que Medhi Abbas souscrive à la thèse selon laquelle la bonne idée d'une taxe carbone ne s'imposera au sein de la communauté internationale que si et seulement si la France cesse de la soutenir ouvertement...


Mehdi Abbas : "Environnement et fiscalité: l'enjeu de la taxe carbone", Notes de la Fondation pour l’Innovation Politique, février 2008


*Pour aller plus loin : un texte fort éclairant de J.C.Hourcade permet d’alimenter le débat sur la taxe carbone.


--
Crédit photo : Alain Bachellier / Flickr.com