Si tout paraît plus compliqué pour les femmes, il leur est pourtant possible de reconsidérer les normes et oser tout vouloir pour vivre pleinement leur vie.

Face aux préjugés, aux stéréotypes et aux normes tacites, le parcours professionnel des femmes prend souvent l’allure d’une véritable course d’obstacles. La réalité du monde du travail, les marqueurs sociaux, la conciliation de la vie professionnelle avec la vie familiale : au bout du compte, tout semble bien plus compliqué pour les femmes. Sans doute parce que pour dépasser les barrières il faut en prendre d’abord conscience, Choisissez tout ! de Nathalie Loiseau est autant un manifeste pour l’abaissement de ces obstacles que le récit humble et optimiste d’une féministe soucieuse d’insuffler à chaque femme un élan de courage supplémentaire pour faire avancer les choses. Femme active au parcours brillant et directrice de l’ENA, l’auteur de l’ouvrage est aussi une mère de famille soucieuse de l’équilibre personnel de la femme dans une société qui voue un culte à l’hyperdisponibilité et ne ménage plus aucune forme de bien-être personnel.

La domination masculine à tous les niveaux

En dépit des avancées indéniables au cours des dernières décennies, à la faveur notamment des débats publics et des travaux sur le genre, les inégalités entre les hommes et les femmes sont toujours une réalité enracinée dans des domaines déterminants tels que la vie professionnelle ou la vie politique. Dans une multitude de cas de figure, « la parité ne va pas de soi »    : d’emblée, une inégalité salariale, qui excède les écarts de temps de travail et la qualification. En effet, « en moyenne, en France, les femmes touchent 80% du salaire des hommes »   , tandis que plus la qualification et le statut social s’élèvent, plus les écarts de rémunération se creusent. Retentissantes dans le monde professionnel, les inégalités entre hommes et femmes se manifestent dès la phase de recrutement où la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale devient un frein majeur. Dès l’étape du recrutement, la question de la maternité discrimine les femmes :
« La lutte contre les discriminations passe d’abord par des évidences, qu’il convient de rappeler : demander à une femme comment elle envisage de concilier sa future carrière et une vie de famille n’a de sens que si l’on interroge aussi les hommes. »   .
Ce traitement inégal est le symptôme révélateur d’un monde professionnel taillé pour les hommes. Complot masculin ? Pas tellement, souligne Nathalie Loiseau en précisant que « non, tous les hommes ne sont pas vautrés dans un confort professionnel d’où ils voudraient exclure les femmes »   . Cependant, les marqueurs sociaux sont particulièrement prégnants pour les femmes : « minoritaires dans le monde qu’elles pénètrent, elles y sont davantage observées et les marqueurs sociaux les épargnent moins »   . Par ailleurs, concilier vie de famille et vie professionnelle, devient aussi un combat de tous les jours, du fait que les femmes doivent généralement faire plus de concessions pour élever les enfants dans leur vie de couple, avec des compromis parfois impossibles à assurer. Sans parler des single moms « qui enchaînent trois jobs dans la même journée »   .

Outre ce traitement différencié subi par les femmes, les avancées en matière de professionnalisation féminine sont entravées par le fait que les responsabilités familiales leur reviennent presque en exclusivité. La représentation sexuée des rôles relatifs à la responsabilité parentale est toujours un fait. La situation des femmes dans le monde du travail s’inscrit dans un cadre plus général, qui excède le genre et qui correspond à la réalité sociologique d’une vie exclusivement rythmée par le travail, où tout ce qui excède ce cadre-là en dépend aussi. Faisant écho à la prison des apparences et aux préjugés dont les femmes sont victimes, Nathalie Loiseau dépeint un monde professionnel dominé par le paraître, où épanouissement et vie personnelle sont sacrifiés sur l’autel de l’efficacité à tout prix, du surinvestissement et d’un travail dans l’urgence, une « course au “ présentéisme ” effréné que l’on pratique depuis quelques décennies »   . L’ensemble de ces obstacles amène au constat que «la société change mais les employeurs évoluent moins vite qu’elle. »   .

Les normes, leurs fondements et leur transgression

Ces multiples freins à l’épanouissement des femmes ne sont pas une fatalité car ils peuvent être dépassés. La prise de conscience de ces barrières et la compréhension des mécanismes sous-jacents peut permettre d’évincer certains freins. Aux multiples obstacles imposés par la domination masculine s’ajoutent ceux que les femmes s’imposent inconsciemment à elles-mêmes, du fait d’une autocensure ou bien d’une faible détermination. À l’origine de ces obstacles, l’image de la femme ou le conditionnement à travers l’éducation sont des facteurs contribuant à freiner l’évolution de la condition féminine. Le conditionnement dès le plus jeune âge est, en outre, une des sources de ces inégalités persistantes. En effet, les diverses activités de l’enfant passent au crible d’une différenciation genrée et induisent des représentations mentales qui en sont directement déterminées. À rebours du conte de fées et du modèle de femmes « passives, résignées sans autre espoir que de rencontrer le Prince Charmant »   , on peut alors songer à une autre identification des jeunes filles, à des valeurs et modèles de femme active et conquérante. Détaillant le diktat des canons de beauté, Nathalie Loiseau dénonce le mensonge du show-biz et ses règles cruelles, qui façonnent une société centrée sur le culte de l’apparence où les femmes doivent « se fondre dans la norme » et « être “ consommables ” »   . Pourtant, il n’y a « pas de domination masculine derrière ça, ou si peu »    : cette marchandisation du corps féminin est un phénomène qui s’impose insidieusement aux femmes, en arrachant leur accord de façon plus ou moins consciente.

Au fond, l’obstacle le plus insidieux est l’autocensure et le remède à cette tendance consiste à :
« Foncer. Saisir sa chance. Faire confiance à ceux qui vous font confiance. Si on vous propose quelque chose, c’est qu’on vous en croit capable. Arrêter de s’autocensurer. »  
Contre les femmes qui « se sont hissées en sacrifiant tout, à commencer par leur vie personnelle », Nathalie Loiseau invite à aller loin, à briser les préjugés et les clichés, à surmonter les innombrables obstacles, tout en restant femme. Vouloir tout à la fois réussir ses ambitions professionnelles et ménager son épanouissement personnel ne paraît plus une utopie irréalisable, si on en croit Nathalie Loiseau qui déclare : « eh bien oui, décidément, I would like to have it all. Parce que beaucoup d’hommes ont ce « tout » » sans qu’on les culpabilise. »   .

En Occident comme ailleurs, qu’il s’agisse de femmes actives occupant des postes à responsabilité ou de celles qui se consacrent à leur vie familiale, des obstacles similaires et des actes de bravoure traversent les frontières. Ayant beaucoup voyagé, Nathalie Loiseau relate comment sa destinée de femme occidentale a pu trouver des points de convergence avec d’autres femmes : des trajectoires exemplaires et inspirantes de femmes qui ont dû se battre contre les normes de leur société. Dans une vision œcuménique, la lutte pour une amélioration de la condition féminine devient une, universelle, rencontrant des cas de combats extrêmes, des cas d’excision, ainsi que des destins de femmes exilées, de réfugiées politiques ou de femmes bafouées…

L’analyse vivante de Nathalie Loiseau invite le lecteur à considérer la nécessité de repenser l’être humain dans les sociétés contemporaines, en dépassant le cadre habituel d’une seule distinction genrée. Le dépassement du dualisme homme / femme et des questions de rapports de domination amène le débat sur un autre terrain, en le reliant à un regard critique sur la société et aux choix de vie. Réussir en défiant les obstacles est une chose, savoir préserver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, en est une autre. Oser est synonyme de comprendre et de défier l’ordre établi pour une autre place des femmes dans la société, en analysant sa propre situation, son propre parcours et en le mesurant face à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. « Oser » devient alors le mot d’ordre et l’exhortation de Nathalie Loiseau « Choisissez tout ! » invite les femmes à dépasser les barrières établies par la société autant que celles instituées par elles-mêmes. Ce double dépassement est ambitieux, certes, mais sans doute les femmes n’ont rien à perdre à s’y aventurer