L’industrie chinoise monte en gamme et les entreprises françaises devraient en tirer les conséquences.

Tiré d’un mémoire de fin d’études de deux ingénieurs du corps des mines, ce petit livre fait le point sur la montée en gamme de l’industrie chinoise pour en tirer des recommandations pour les entreprises françaises. Allant à l’essentiel, efficace et d’une lecture aisée, il devrait intéresser tous ceux qui se soucient de l’industrie.

Une montée en gamme qui s’affirme progressivement

Faire croître sa production sur le marché mondial passe nécessairement pour une industrie, lorsqu’elle a épuisé les possibilités qu’offre sur ce plan une stratégie de bas coûts, par sa montée en gamme   . C’est-à-dire l’augmentation de sa valeur ajoutée, soit la différence entre sa production et ses achats, grâce à la vente de biens et de services plus sophistiqués ou de meilleure qualité. Une première indication de la montée en gamme des entreprises chinoises est donnée par la progression de la valeur ajoutée médiane de celles qui sont cotées en bourse. Celle-ci a ainsi crû, de manière somme toute relativement modeste, de 4,5% au total entre 2006 et 2011, avant de se stabiliser à partir de 2012 sous l’effet du ralentissement de l’économie chinoise et mondiale. Mais la valeur ajoutée correspondant chaque année au 95e centile de ces entreprises a progressé deux fois plus vite, une progression qui reflète davantage celle des fleurons de l’industrie chinoise avec lesquels les grandes entreprises françaises sont en concurrence.

La progression du poids relatif en termes de chiffre d’affaires et du nombre des entreprises chinoises figurant dans le classement Fortune 500 est encore plus spectaculaire. En effet, ceux-ci ont tous les deux été multipliés par 4 entre 2007 et 2013.

Cette montée en gamme des entreprises chinoises (les auteurs prennent l’exemple de l’entreprise Huawei qui est devenue en 15 ans un leader mondial dans les équipements de télécommunications) se traduit alors pour les entreprises françaises par des pertes de parts de marchés et de niveaux de marge face à ces nouveaux acteurs.

Un mécanisme à plusieurs étapes

Les auteurs expliquent ensuite la mécanique de la montée en gamme, qui requiert successivement : une qualité de fabrication, l’élévation du contenu technologique et, enfin, la maîtrise des aspects commerciaux, marketing, distribution et services. La première s’est aujourd’hui banalisée parmi les grandes entreprises chinoises. La montée en puissance technologique est attestée par l’augmentation des dépenses de R&D dans l’industrie chinoise et la multiplication du nombre de brevets déposés en Chine par les entreprises qui y ont leur siège.

Des facteurs propres à la Chine ont favorisé l’atteinte de ces deux premières étapes : un faible coût de main d’œuvre (même si cet avantage tend aujourd’hui à diminuer du fait de l’inflation salariale), un faible coût du capital, les programmes gouvernementaux destinés à porter la Chine à la frontière technologique dans quelques secteurs stratégiques, les partenariats avec les entreprises étrangères ou encore la taille du marché domestique.

La montée en gamme commerciale est beaucoup plus lente. Les produits chinois ne font pas rêver, y compris les chinois, les innovations de rupture et l’invention de nouveaux business models est rare et le service aux clients reste limité. Le gouvernement chinois cherche toutefois, désormais, à corriger ces aspects en favorisant l’émergence d’un soft power chinois à l’échelle du monde.

Pour développer leurs compétences techniques et commerciales, les entreprises chinoises ont, tout d’abord, recours à des transferts de savoir-faire, grâce en particulier aux joint-ventures avec des industriels étrangers dans des secteurs matures. Elles procèdent ensuite à l’acquisition d’entreprises étrangères et également, dans certains cas, à l’appropriation originale de business models occidentaux ou japonais. Mais certaines entreprises chinoises sont d’ores et déjà capables de réaliser des inventions de rupture, de construire des marques propres prestigieuses et de s’imposer ainsi sur les marchés les plus compétitifs, et tout laisse penser que leur nombre devrait s’accroître fortement au cours des prochaines années.

Des recommandations pour les entreprises françaises qui interviennent en Chine et ailleurs

Toute grande entreprise française doit désormais prendre en compte la Chine dans sa stratégie, que ce soit pour essayer de pénétrer son marché, de lutter contre une nouvelle concurrence chinoise sur tous les marchés du monde (notamment les marchés émergents) ou pour s’approvisionner, soit en biens de commodités, soit en prestations de R&D.

Les auteurs en viennent ainsi à formuler cinq recommandations stratégiques pour les entreprises françaises confrontées à la montée en gamme des entreprises chinoises, qui mettent toutes l’accent sur la haute valeur ajoutée des biens et des services offerts : vendre des solutions et systèmes plutôt que des biens seuls, s’associer pour aborder le marché chinois sous la forme d’une équipe d’industriels complémentaires, miser sur le rêve en mettant en avant des marques célèbres, des références industrielles prestigieuses, des technologies de rupture, l’assurance de produits de qualité ou encore de vastes réseaux de distribution qui garantissent une homogénéité dans le service aux clients, maintenir une avance technologique y compris en utilisant le potentiel local en scellant des partenariats avec des universités prestigieuses et en acquérant des start-ups innovantes et, enfin, être chinois en Chine, en s’adaptant aux attentes de la clientèle chinoise, en procédant à des acquisitions ou des partenariats, en développant l’approvisionnement local et, avant tout, en attirant des talents.

A ces cinq recommandations stratégiques, ils ajoutent de même quatre recommandations tactiques : nouer des alliances avec des industriels des pays de l’OCDE pour atteindre une masse critique et obtenir des économies d’échelle dans la conquête du marché chinois, privilégier, avec les entreprises chinoises, les partenariats financiers pour limiter les risques de transferts de technologies et de savoir-faire confidentiels, miser sur la compétitivité hors-prix et les aspects d’excellence industrielle (qui rejoint toutefois les recommandations ci-dessus) et profiter de la concurrence entre provinces pour négocier des aides aux investissements. Capitaliser sur les soutiens mis en place par les puissances publiques (diplomatie économique, aide politique, réseaux des entreprises françaises en Chine) est également une bonne pratique, expliquent-ils.

Finalement, les auteurs insistent sur quatre risques qui doivent être pris en compte, mais qui renvoient à des points désormais bien documentés par ailleurs : la défense et la protection de la propriété intellectuelle, la gestion efficace de son partenariat en joint-venture, la gestion prudente des transferts des technologies et savoir-faire et, enfin, la limitation du turn-over en matière de ressources humaines.

Le point le plus intéressant du livre reste la manière dont il présente la montée en gamme commerciale comme une étape encore problématique pour la majorité des grandes entreprises chinoises, en invitant les entreprises françaises à se demander comment elles pourraient chercher à tirer parti de cette situation, qui ne devrait durer qu’un temps mais offre encore, pour l’heure, des opportunités à saisir